" Oublie la pitié. Celle envers les autres autant que celle pour toi-même. A force de te faire des cadeaux, tu vas finir par en attendre des autres... "
Il la regarda s’éloigner en courant, les cheveux en bataille et pleine de sang pour s’être serrée contre lui. Il avait encore sur les lèvres le goût de leur baiser, et son cœur qui battait la chamade, lui hurlait de la suivre. Mais il savait que cela les mettrait en danger tous les deux, car il la ralentirait, et que de toute manière il n’en avait plus la force. Au moins comme ça, avec lui ici, elle avait une chance de s’en sortir.
L’adrénaline qui l’avait fait tenir debout jusque-là déserta bientôt ses veines, et il sentit ses forces l’abandonner en même temps qu’elle.
Quand le mercenaire s’était jeté sur la jeune fille, Phobhos avait été obligé de baisser sa garde et de se séparer d’une de ses armes pour lui sauver la vie. Il lui en avait coûté un coup de poignard dans le flanc, qui lui avait déchiré les entrailles.
Heureusement qu’il était déjà dégoulinant de sang, sinon elle s’en serait aperçu et n’aurait jamais voulu fuir en le laissant en arrière dans cet état.
Sa blessure commença à le faire sérieusement souffrir et il tituba jusqu’à un gros arbre auquel il s’adossa. Le jeune homme se laissa glisser au sol, épuisé, incapable de tenir debout plus longtemps.
L'agent traître savait qu’il n’avait aucun moyen de stopper l’hémorragie, et qu’il allait se vider petit à petit de son sang. Son agonie serait longue, mais il préférait mourir ainsi sans avoir à subir le courroux de ces scientifiques sans vergogne, et sans qu’elle le sût. Avec un peu de chance, elle croirait qu’il en avait réchappé mais qu’il s’était enfui ou qu’on l’avait enfermé quelque part en guise de punition… mais il y avait peu de chance pour qu’elle gobât de pareilles histoires.
Sa respiration devint difficile, laborieuse et chaque inspiration une véritable torture. Sa faiblesse n’avait d’égale que sa douleur. Il avait déjà perdu beaucoup de sang… plus qu’il ne l’aurait cru.
Soudain, une voix s’éleva, moqueuse, méprisante, acide. L'horreur lui fit sursauter le cœur.
- Quand je pense que tous te considéraient comme le meilleur agent de la base, insensible, et incapable de se laisser distraire dans son travail. Un véritable prodige pour son âge! Plus prometteur encore que les prototypes humains! S'ils savaient ce que tu as fait… Tu sais, c'est à cause de petits emmerdeurs comme toi que nous, créatures supérieures crées par les hommes, ne sommes pas encore soldats pour le compte de l'armée, et que nous croupissons pour la plupart dans des geôles putrides. Mais quand les grands manitous sauront… sûr, ils t'enverront dans un laboratoire, toi aussi. Il serait peut-être préférable que tu meurs ici… à moins que je ne la leur ramène morte avant, cette garce! Dans ce cas il faudra bien uqe j'ai un autre déchet à offrir à la place!
Ces derniers mots le firent bouillir de rage et sa vue redevint claire d’un coup.
Mais il n’avait pas besoin de ça pour savoir à qui il avait affaire. L'homme le regardait avec arrogance et dégoût, le dominant de toute sa hauteur, pour bien marquer l’infériorité et l’impuissance du jeune homme. Ses yeux rougeâtres le scrutaient avec dédain et cruauté, et il ne put s'empêcher de frémir de dégoût à la vue de cette couleur significative.
- Ta gueule, enculé! Cracha-t-il.
L'autre éclata d’un rire cristallin avant de lui faire remarquer, enchanté :
- Tu n'es pas vraiment en position de donner des ordres ou de faire le malin, mon cher… Tu n'es même plus officier! Phobhos, l'agent de terrain virtuose, n’est plus qu’un traître à son rang désormais…
Il observa quelques secondes le visage efféminé et pâle de son interlocuteur, et son cou masqué par le col de sa combinaison anti-UV à capuche, puis il lâcha avec un sourire aussi méprisant que celui de son interlocuteur :
- Oh! Excuse-moi, je me trompe de terme… je voulais dire « Ta gueule, rat de laboratoire! »
L'individu poussa un rugissement enragé, et lui flanqua un coup de pied dans les côtes, s’arrangeant pour que le talon de sa botte touchât la plaie béante. Phobhos se retint à grand peine de ne pas hurler, mais ne put s’empêcher de pousser un gémissement de souffrance. Mais il continua, malgré la douleur, à le provoquer :
- On ne peut pas dire que tous ces binoclards en blouses blanches t'aient loupé… Tu es sûrement encore plus moche et plus bête qu'avant… et ni plus fort ni plus rapide à ce que j'ai pu constater! Fais quand même attention à ne pas trop m'abîmer, sinon tes chers maîtres risqueraient d'être mécontent de toi, gentil chien-chien...
Ces mots lui donnèrent droit à un nouveau coup, plus violent celui-ci. Là encore, il contint le hurlement qui ne demandait qu’à sortir. L’écho portait loin dans cette forêt, et Eleanore ne manquerait pas de l’entendre. Il ne doutait pas une seconde qu’elle ferait immédiatement demi-tour… Mais il fallait également qu’il capte l’attention de cet "homme", sinon il se lancerait à coup sûr à la poursuite de la jeune fille en fuite. Et ça, il devait l’éviter par-dessus tout. S'il devait mourir, il ne le ferait pas pour rien. Il s'en faisait la promesse.
L'insulté se pencha vers lui, fourrant sa main sur sa blessure, l’obligeant à serrer les dents de toutes ses forces pour résister à la douleur, et lui murmura à l’oreille, doucereux :
- Ne dépasse pas les limites, Phobhos! Fils de général ou pas, déchu de tes privilèges ou non, je te tuerai si l’envie m’en prend! Est-ce assez clair pour toi?
En un éclair, la main du blessé vola au col de son tortionnaire, tira prestement sur la fermeture qui s’ouvrit, et passa sur la nuque glacée comme celle d'un cadavre. Y plaquant ses doigts pour mieux palper les contours qu'il pouvait y sentir, Phobhos eut un rictus triomphant.
- Très clair, 231AC445.
L’impertinent reçu un énorme coup de poing qui faillit lui décrocher la mâchoire. Le pied botté s’enfonça impitoyablement dans son ventre, faisant sortir des flots de sang et de boyaux de la plaie. Heureusement qu’il s’y attendait, sinon, il aurait hurlé à s’en arracher les poumons. L'absorbeur recula promptement et referma sa combinaison, faisant cesser le grésillement causer par le contact de sa peau avec la lumière du soleil. Une odeur de chair brûlée flottait désormais dans l'air, mêlée à celle du sang.
- Petite enflure!! Persifla-t-il,
j’avais prévu de lui réserver à elle, mais tu vas y goutter également!
Il tira d’une discrète poche une minuscule fiole, aux parois épaisses, empli d’un liquide translucide. Il eut un sourire pervers, et ouvrit le petit récipient.
Le blessé, haletant et fiévreux, tenta de reculer, mais c’était à peine s’il arrivait désormais à bouger ses membres. Il le regarda, impuissant, approcher et incliner la fiole au-dessus de sa blessure. Une goutte, une seule, tomba de l’exigu goulot de verre.
La douleur le lacéra de part en part, dévastant tout, le brûlant de l‘intérieur comme si son flanc avait été un volcan en éruption, comme si des milliers de mâchoires aux crocs acérés se disputaient ses entrailles. Son corps tout entier se crispa. La souffrance était trop forte, il perdit tout contrôle, ses membres se tordant comme pour tenter de fuir la torture.
Un hurlement déchirant se répercuta dans le silence de la forêt.