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09. 03. 2008, 20:22

Ad vitam aeternam et aeternum vale [personnel]

Un village, perdu entre deux pics neigeux, au fond d'un vallon, qui par son calme et son silence, semblait n'être connu que dieux... Ce qui n'était pas faux. Ce lieu où le temps n'avait nulle prise, vivait sous la douce lumière divine, à l'abris de la folie des hommes de l'extérieur.

Les habitants de cet Eden caché n'avaient, à l'instar du reste de cette humanité dite civilisée, point oublié que leurs vies étaient entre les mains de puissances célestes, et part les hommages qu'ils rendaient à ces divinités sans visages, Ils restaient préservés, comme indétectables par les autres formes de vie, comme absents de la surface de la Terre. Non, eux n'avaient pas oublié les temps immémoriaux où les puissances occultes régissaient encore la vie de chaque être.

Privés de la technologie moderne, ils n'en étaient pas moins heureux, et menaient une vie paisible. Leur savoir était grand, leurs actes dirigés par la sagesse et la raison. Ce monde à part était comme une de ces utopies, une de celles qu'on en dit qu'elles n'existent que dans les livres, pour la simple raison qu'un bonheur trop parfait ne dure jamais assez longtemps pour être reconnu comme réel...


Ils étaient donc quelque trois centaines à vivre ainsi dans ce vallon au sol fertile et à la forêt giboyeuse. Ce commencement ressemble trait pour trait au début d'un conte de fée me direz-vous. Mais ce n'est pas le cas, car ces histoires-là, bonnes pour les enfants rêveurs, ne racontent jamais de faits réels et ne sont plus que de vagues souvenirs dans nos mémoires de sinistrés de la Grande Guerre. Les doux songes ne sont que ce qu'ils sont : des illusions. Non, seuls existent les cauchemards. Et ce joli petit monde de rêve allait bientôt être réduit à l'état de souvenirs, à l'image des contes de fée. Parmis eux, une seule survivrait à ce qui allait suivre. Une seule et unique personne, qui serait l'unique survivante, si la non-vie peut être qualifiée de survie...

Elle se prénommait Eleanore. Son nom quant à lui, jamais n'est parvenu aux oreilles de quiconque du nouveau monde, et il m'est donc impossible de vous le dévoiler. Son visage fin aux modelés harmonieux était presque toujours illuminé par un large sourire, tantôt joyeux tantôt moqueur, un rien la faisant rire. Cette lumière était parfois occultée par les reflets de ses larmes, qui, malgré ses efforts, coulaient trop souvent à son goût le long de ses joues. Ce beau visage était encadré par une épaisse et longue chevelure noire, brillante rivière de jais qui cascadait dans son dos. Et joyaux de cet ange aux tendances taquines, deux diamant pervenches aux reflets cristallins, qui, semblables à deux perles bleues, pétillaient de chaque côté du nez droit et fin de la jeune fille. Mais côté caractère, la demoiselle n'était si idéale que ça... Un tempérament de feu et une tendance à s'emballer très vite rendait l'adolescente beaucoup moins naive et innocente qu'elle n'en avait l'air... Un tantinet capricieuse, dotée d'une obstination et d'une détermination sans bornes, elle obtenait toujours ce qu'elle désirait, ou presque. Eleanore pouvait s'attacher à une personne aussi vite qu'elle pouvait la détester, et ses actions se calquaient presque toujours sur ce model sans demie-mesure en général. Mais ce coeur trop prompte à aimer d'amitié ou d'amour allait connaître la brûlure de la trahison et de la tromperie. Ce coeur, plus ou moins innocent, allait goûter aux affres de la folie de ces hommes, qui, poussés par leur ambition et leur orgueil, en voulant prendre la place des dieux en personne, détruieraient plus qu'ils ne créeraient, allaient semer désolation au lieu de paix...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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14. 03. 2008, 21:08

...

Mais qui était donc cet insolent qui osait ainsi prétendre connaître une telle histoire?!?! Qui était donc cet impudent qui se lançait dans le récit d'une vie qui n'était pas la sienne?!? Comment osait-il, l'impertinent, narrer de telle sorte cette histoire?!? MON histoire!! J'aurais volontier étriper cet effronté conteur de pacotille, mais il ne méritait même pas que le tranchant de ma lame mît fin à ses jours. Et surtout, l'éhonté avait éveillé ma curiosité. Comment pouvait-il ne connaitre ne serait-ce qu'une bribe de mon passé? Et qui pouvait bien être intéressé par une histoire aussi insipide et sans intérêt... Je ne sais plus laquelle de ces interrogations m'interpela le plus.

Je fus bien obligée de reconnaitre, en entendant l'homme commencer son récit, qu'il savait de quoi il parlait et que ce n'était pas un de ces charlatans que certains envoient pour souiller la réputation de leurs ennemis. Non, lui n'était pas de ceux-là, c'était évident. Il savait choisir les mots qui captent l'attention, sa voix grave aux accents harmonieux charmait les oreilles comme la flûte d'un charmeur de serpent hypnotise un cobra. Bien sûr l'histoire prenait des allures de grande épopée pleine d'actions héroïques et périlleuses dès les premières phrases, mais n'était-ce pas là un talentueux conteur qui savait embellir un récit sans lui ôter son authenticité...

Je bouillais d'impatience et d'irritation de ne pouvoir distinguer son visage, dissimulé par une grande capuche. L'individu, malgré le fait qu'il se trouvait loin de mon territoire, devait savoir que le danger rôdait en tous lieux de nos jours, et n'avait pas pris le risque de dévoiler sa figure... Il faut dire que dans un sens, je le comprenais, vu que je dissimulais également mes traits dans l'ombre d'un capuchon et derrière la barrière rassurante d'un haut col de cuir qui masquait mon visage jusqu'au milieu du nez. De plus, voici plus d'un jour que je n'avais pas bu une seule goutte de sang, et mes yeux, dont la clarté étaient d'habitude si voyante, étaient assombris par la soif, restant donc invisible sous l'étoffe qui recouvrait ma tête. Cela faisait déjà une semaine que j'étais partie en éclaireuse, et j'avais du limité au maximum ma consommation de sang pour éviter qu'on ne suive ma trace en pistant les endroits où esclaves et autres humains disparaissaient en formant un parcours. J'étais très douée à ce jeu, ayant passé une période de mon existance à tenter de me passer de fluide vital. Au moins, ce moment de rebellion et de souffrances insensées servait à quelque chose... J'aurais encore pu me passer de nourriture convenable pendant une bonne demie-journée, alors il était tout à fait dans mes possibilités d'assouvir ma curiosité au prix de quelques heures de privation supplémentaires.

La nuit était tombée depuis déjà une bonne heure, et si je n'avais pas eu l'idée d'aller à la maison de refuge du quartier où je me trouvais pour récuperer quelques forces avant de reprendre ma route, jamais je n'aurais entendu ce mortel commencer à interpeler toute cette vilonaille pour leur proposer une histoire des plus fameuses en échange d'une place autour de leur feu. Je m'étais jointe à eux, et écoutais désormais l'homme et son prélude, avec presqu'autant de fascination que les miséreux autour des flammes, dont la lumière vascillante faisait onduler les silhouette assises alentours et donnait des airs mistérieux à la scène. Les quelques arbres aux longues branches tordues et décharnées semblaient eux-aussi se pencher vers le foyer pour boire, à l'image des humains au sol, les paroles du conteur.

Ce dernier, tout en narrant mon apparence de jadis, semblait me fixer au travers des flammes, plus sombre et intriguant que jamais. Une chose me paraissait de plus en plus certaine, cet homme n'était pas humain. Non, ce ne pouvait être un simple mortel avide de la chaleur d'un feu. Déjà parce que s'il avait été ce qu'il voulait paraître, et bien un bol de cette immonde soupe, dont les bougres pouilleux assis en cercle semblaient se régaler, aurait été une de ses exigences, en plus de la permission de s'inviter prêt de la précieuse source de chaleur. En effet, nous étions en plein hiver, et c'était une bénédiction que de trouver nourriture et refuge au froid en un même endroit, et sans avoir à payer qui plus est. En outre, comme pour confirmer mes soupçons, j'entrevis un fugace instant, les rouges iris de ses yeux de fauve. Une seconde à peine, les flammes avaient pris de l'ampleur, assez pour faire luire ses pupilles insondables. En effet, il me fixait tout en parlant... Savait-il? Avait-il deviné? Je ne pouvais en être certaine, et ce doute, insupportable, me donna une brusque envie de lui sauter à la gorge pour lui faire cracher le morceau. La patience n'avait jamais été mon fort en présence de personnes inconnues ou indésirées et indésirables. Mais je me forçai à rester impassible, impatiente plus que tout de savoir jusqu'où allait sa connaissance de mon parcours. Je restai donc assise, immobile comme une statue, regardant là où devaient se situer ses propres yeux, défiant du regard à travers le feu et les ténèbres de sa capuche ce vampire qui se mêlait à ces misérables mortels pour leur raconter une histoire qu'il n'était pas censé connaître, attendant le moment propice pour exiger l'identité de cet inconnu qui n'en était peut-être pas vraiment un...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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20. 03. 2008, 20:39

Dernier jour de paix à Träumerei...

... Ainsi donc, ils vivaient en paix, simples êtres humains, riches de multiples qualités comme d'une quirielle de défauts, à l'image de tout être conscient.

Soucieux de rester tout de même informés de l'avancée des Hommes et de cette Humanité dont ils s'étaient volontairement exclus, chaque année, un volontaire était désigné et partait de l'autre côté de la "Limite", avant de revenir au bout de quelques semaines. Bien sûr, à l'occasion du retour de l'aventurier, une grande fête était toujours organisée, et après le repas, tous venaient écouter le récit des événements qui se produisaient dans le reste du monde. Les histoires changeaient peut-être chaque année, mais une chose restait immuable dans les impressions de ces gens qui avaient vu l'extérieur : tous louaient plus que jamais le ciel de leur accorder la grâce d'être à part du monde. D'ailleurs, personne n'avait jamais quitté définitivement le village. Il y a avait bien eu quelques tentatives sur le coup de la colère ou par simple curiosité, mais tous étaient revenus, définitivement persuadés de la chance qu'ils avaient de vivre ainsi protégés.

Mais cette année-là, l'inquiétude grondait dans les coeurs : celui qui s'était rendu dans le monde dit "des hommes", n'était toujours pas revenu après presqu'un mois d'absence. Tous se rongeaient les sangs de ne pas savoir s'il allait revenir ou non parmi les siens et surtout de ne pas savoir s'il était encore en vie ou non.

Mais comme de bien entendu, s'il y avait bien une personne qui ne s'inquiétait pas trop, c'était Eleanore. Rien ne parvenait à venir à bout de sa bonne humeur en général, et cette fois-ci ne ferait pas exception à la règle. Surtout qu'il faisait beau et qu'elle préférait ne pas penser à la possibilité d'un non-retour, car sa tristesse et sa peur pouvaient être bien plus coriaces que sa joie.

Tranquilement installée la tête en bas, sur la branche d'un chêne à l'orée de la forêt, elle s'efforçait de rassurer son meilleur ami et compère de toujours, Maxime, qu'elle appelait toujours par des diminutifs plutôt que par son prénom.

- Mais faut pas t'angoisser comme ça Maxchou!! Il a peut-être simplement trouvé un endroit où il se plait et il a décidé d'y rester!!

L'intéressé, assis sur une branche en contre-bas, grommela une réponse, peu convaincu.

- Roooh!! D'accord, c'est peu probable! Hum... si ça se trouve, c'est qu'il ne retrouve plus l'entrée!

L'autre pris une mine encore plus déconfite et lâcha finalement :

- Et tu trouves que c'est une raison pour ne pas s'inquiéter? --________--" Moi je pense plutôt qu'il s'est fait choper par les services secrets de je ne sais quel pays de fous et qu'ils le torturent sans pitié pour lui faire dire d'où il vient et comment ça se fait qu'ils ne puissent pas nous voir! Et ptêtre même que...

Elle le coupa net dans ses hypothèses,qu'elle trouvait d'ailleurs complètement délirantes :

- Mais arrête!! Tu racontes n'importe quoi! Et arrête d'être à cran comme ça dès qu'il s'agit de l'extérieur...

Maxime marmonna amèrement qu'elle savait très bien pourquoi avant de sauter à terre et de s'éloigner rageusement sur le sentier de terre battue qui menait au bourg.

- Rooh!!! Boude pas Maxsou!!

Elle se laissa tomber de sa branche, se rattrapa à une seconde pour se redresser la tête en haut, et se réceptionna avec l'aisance d'un chat sur le sol meuble. Elle s'élança derrière lui et le rejoignit en quelques enjambées.

- Excuse-moi, je voulais pas te vexer... Mais tu connais ma délicatesse naturelle...

Il éclata de rire et lui mit une tape derrière la tête, signal de départ d'une joute amicale. Mais alors qu'ils commençaient à se donner des coups et à s'empoigner, une voix ahurie s'éleva, toute proche :

- QUELQU'UN VIENT DE PASSER LA FAILLE!!! QUELQU'UN VIENT DE PASSER LA FAILLE!!!

Tous deux se précipitèrent, oubliant leur début de jeu. Ce devait être le villageois retardataire qui avait causé tant de souci aux villageois!! Quel soulagement!! Mais malheureusement, ce n'était point une bonne nouvelle, ce n'était pas Fangorn qui était de retour, ce n'était que le début d'un drame qui n'allait faire qu'empirer. En effet, le jeune homme qui hurlait la nouvelle était tout sauf joyeux ou soulagé. Sa voix tremblait alors qu'il essayait d'expliquer ce qu'l avait vu aux autres, ses jambes n'allaient sans doute plus le porter longtemps, et il était pâle comme un linge. La panique gagna tout l'attroupement de villageois qui avaient été attirés par les cris : quelqu'un, une personne de l'extérieur, avait traversé la Limite. Un ou des intrus s'étaient introduits dans leur monde. Leur existence venait d'être découverte. Leur secret avait été violé.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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21. 03. 2008, 21:12

...

Tout en l'écoutant raconter, je frissonnais malgré moi. Les émotions et les sensations telles que les odeurs et les sons, remontaient de ma mémoire, fleuve bouillonnant à vous donner la nausée. Je ne voulais pas entendre la suite. Je ne savais que trop bien ce qui allait arriver. Je ne voulais pas, par son récit, revivre une deuxième fois ma vie. Trop douloureuse, l'expérience n'allait me valoir que des ennuis. Je sentais que je risquais à chaque instant de perdre mon sang froid. Mais j'aurais été bien en peine d'esquisser le moindre geste. J'étais comme hypnotisée par ses paroles.

D'un autre côté, il fallait absolument que je sache QUI il était. Ainsi que COMMENT il connaissait aussi bien mon histoire et POURQUOI il la racontait à qui voulait bien l'entendre sous le prétexte d'un bol d'une soupe douteuse et d'un peu de chaleur. La curiosité et la captivation dont je faisais étrangement preuve l'emportèrent sur le reste, et je mobilisai toute ma concentration et ma maîtrise pour rester calme et impassible.

Lui continuait à narrer avec brio, parfaitement serein. Les flammes faisait onduler les ombres, et le bas de son visage, faiblement éclairé, était étiré en un grand sourire énigmatique. Mas j'étais sûrement la seule à remarquer mille et un détails gênants chez lui, car les autres restaient complètement captivés, certains oubliant même de manger, et n'avaient de toute manière aucune raison de se méfier du conteur et de le détailler sous toutes les coutures. En outre, je doutais fortement de leur capacité d'analyse et de leur sens de l'observation. Après tout, ce n'était que des sans-abris tout juste bons à aller glanner des informations pour le compte de tel ou tel vampire... Il ne fallait pas trop en attendre de leur part.

Essayant avec acharnement de ne plus écouter ce qu'il disait, je tentais de trouver des réponses plus ou moins logiques à mes questions. Personne n'était censé connaître cette histoire, alors que lui fût capable de citer autant de détails était une totale abération. Rien qu'en partant de là, ce qui se passait était absurde. Et j'avais beau chercher avec obstination, retourner la situation dans tous les sens, et considérer toutes les possibilités encore et encore, je ne voyais pas comment il pouvait être au courant. A moins que... non, ce n'était pas possible! Même pas envisageable! Il était mort avec tous les autres, j'en étais sûre. Ils étaient TOUS morts, sans exception.

Et pourtant, je ne pus empêcher ce stupide et pathétique élan d'espoir de me remuer les entrailles. L'espoir, les rêves... que de choses dont le seul mérite est de briser les coeur en même temps qu'ils se brisent eux-même. Les savant qui ont crée nos races, ceux-là même qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourd'hui, et qui nous ont arraché notre humanité, se sont bien gardés de nous libérer de ces entraves-là. Ils nous ont condamnés à vivre avec une éternelle soif de sang, incapables de supportés bien longtemps la lumière de l'astre solaire, et certains prétendent même qu'ils ont pris nos âmes. Mais ils nous ont laissé le pire dans l'humanité, ou en tout cas, un sacré paquet d'inconvénients.

On vit tous d'espoirs. Si vous y faites attention, vous vous rendrez compte que vous espérez beaucoup... sans jamais faire grand chose pour que vos espoirs se réalisent d'ailleurs. Les rêves, c'est un peu pareil, on rêve beaucoup, mais on attend que les choses se fassent d'elle-mêmes. C'est pour ça que les rêves ne sont que ce qu'ils sont : des songes, des souhaits irréalisables, des désirs qui ne sont que très rarement assouvis. Et même si l'on en a marre d'être déçu, même si on ne veut plus rêver, on ne peut s'en empêcher, car c'est comme une drogue dont le coeur et l'esprit ne peuvent se passer, un réflexe dont il est impossible de se défaire.

Mon coeur donc se serrait malgré moi à l'idée que quelqu'un ait pu survivre à Träumerei. Alors j'osai formuler en penser la question qui me rongeait et me taraudait avec violence : Et si c'était Maxime? Non, tout cela était trop saugrenu et incohérent. Il fallait que je me contrôle un peu et que je revienne à la raison. Pour éviter de penser à ces hypothèses délirantes dont mon coeur avide se rassasiait, je dus me résoudre à reporter mon attention sur le récit du mystérieux vampire. Le vent froid avait arrêté d'agiter en tous sens les pans de son long et ample manteau, tout semblait s'être statufié. Chaque être et chaque chose semblait être à l'écoute de cette voix suave et entêtante qui s'élevait telle une délicate et harmonieuse mélodie. Non, décidément, je ne connaissais pas cet homme... Mais je me jurai de tout lui faire avouer, quitte à jeter aux orties toute discrétion. Il fallait que je sache, sinon j'allais me consumer de l'intérieur à force de questions sans réponses et d'hypothèses insensées. Foi de vampire assoiffé, je ne partirais point de ce quartier tant que je ne saurais pas ce que je voulais...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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26. 03. 2008, 16:57

Tandis que tout le reste du village commençait à pérorer sur ce qu'il fallait faire et continuait à questionner le jeune homme apeuré, Eleanore, ne supportant plus de rester plantée comme une asperge sans rien faire, tourna discrètement les talons et se dirigea d'un bon pas vers la Faille, décidant de couper à travers le bois pour éviter de se faire moucher pour son imprudence en cas de rencontre sur le sentier. Elle ne connaissait que trop bien les mentalités des gens de Träumerei. Elle avait toujours vécu avec eux, et savait donc leur penchant pour les longs palabres qui semblent ne jamais finir. De ce côté-là, en plus de beaucoup d'autres, elles différait du reste de ce micro-monde. Elle se laissa donc guider par son instinct, qui lui disait clairement que rester là à écouter sagement, en attendant qu'ils se décident à réagir, n'était pas le mieux à faire.

Mais tandis qu'elle atteignait la lisière et qu'elle commençait à s'enfoncer entre les branches feuillues, une main la retint par l'épaule.

- Elea! Tu vas où comme ça?!? Ne me dis pas que tu veux aller voir toute seule?!

Elle se retourna et le fixa droit dans les yeux, sans un mot, le regard brûlant d'une farouche détermination. Cela suffit pour que Maxime comprenne que ce n'était même pas la peine de l'en dissuader. Il avait l'habitude, savait ce que ce regard ardent signifiait chez la jeune fille. Depuis toujours, quand une idée lui entrait dans la tête, il en fallait des tonnes pour qu'elle en sorte sans avoir été mise à exécution. Mais quand ses yeux se mettaient à briller de la sorte, même un ouragan ne l'aurait pas détournée de son but. Il la lâcha donc, et la laissa s'éloigner. Autant que lui savait qu'elle irait de toute manières, autant elle savait que lui ne viendrait pas. Dès qu'il était question de ce si dangereux monde extérieur, Maxime perdait tout courage et toute audace, lui d'habitude si prompte aux imprudence et aux bêtises. Son père était mort là-bas, et ça, jamais il ne le pardonnerait aux humains de derrière la limite.

Eleanore s'enfonça donc sous le couvert des arbres, bouillonnante de rage car son ami ne la suivait pas. Au moins, elle savait qu'il ne la dénoncerait pas... Qu'est-ce qu'elle le trouvait lâche de ne pas affronter cette peur idiote! Elle avançait rapidement dans les taillis, sautant au-dessus des buissons épineux et des énormes troncs vermoulus, évitant les branches basses qui lui barrait la route. Son enfance, elle l'avait passée à jouer dans les bois, elle connaissait par coeur la zone où elle était autorisée à aller. Agile et souple comme un chat, elle adorait faire des acrobaties dans les hautes cimes, au grand damne de sa mère qui avait des vertiges rien que de la voir grimper sur le tronc. Ce trajet qui pour certains aurait pris des heures et aurait été plutôt ardu, ne lui pris donc qu'environ trois quarts d'heure assez agréable si ce n'était le fait qu'elle marchait le plus vite possible, courant même parfois.

Elle arriva bientôt devant l'entrée d'une immense grotte. C'était là que se trouvait la Faille, l'unique passage sûr qui menait à l'extérieur en passant outre la barrière divine. En effet, quiconque tentait de franchir en un autre endroit la Limite, ne revenait jamais. Les parois extérieures, de granit sombre, étaient ornées de peintures et de symboles anciens, témoignages d'un savoir oublié et d'une protection censée être inviolable. *Foutaises!* pensa-t-elle, * A force de se croire à l'abri, on se laisse toujours surprendre! Le renard finit toujours par entrer dans le poullailler...* . L'adolescente pénètra à l'intérieur de l'antre ténébreux sur la pointe des pieds. Elle avait beau être téméraire, les lieux l'impressionnaient. N'importe qui ayant un peu de respect vis à vis de dieux l'aurait été. L'intérieur, un vaste corridors, était faiblement éclairé par des torches qui faisaient onduler les ombres d'immenses statues d'un marbre clair et uni, qui, formant une haie d'honneur, représentaient des personnages à la beauté éclatante et marmoréenne. Ces êtres colossaux semblaient sur le point de s'avancer vers vous pour vous demander en quel honneur vous veniez perturber ce lieu sacré, tant le grain de leur peau était fin et tant les détails de leurs physiques figés étaient réalistes. Une seule chose confirmait leur nature de pierre : leurs yeux, à qui personne n'avait donné l'étincelle de la vie, sphères lisses et inexpressive, qui jamais ne verraient le monde.

Respirant à peine, elle s'enfonça dans le long et sombre couloir qui s'enfonçait dans les entrailles de la montagne. Voilà presque une dizaine d'années qu'elle n'était pas revenu ici. La punition qu'on lui avait administrée après sa première escapade avait été telle que l'idée ne lui avait même plus effleuré l'esprit de retourner voir la Faille. L'antre était aussi impressionnant que dans ses souvenirs. Elle avait pensé que l'endroit lui avait fait plus d'effet que de raison à l'époque à cause de son jeune âge, mais elle se rendit vite compte que la naïveté d'une enfant de six ou sept ans n'était pour rien dans la grandeur et l'aura imposante de la caverne sacrée. Au bout de quelques minutes de lente progression, elle se retrouva devant la Faille elle-même. Un grand cercle de métal blanc aux reflets moirés malgré l'obscurité laissait voir au travers de son anneau la paroi de la grotte. A côté, un panneau sculpté d'étrange symbole et de critaux ancrés trônait, panneau de contrôle au mystérieux fonctionnement. Un seul indice laissait voir que quelque chose d'inhabituel s'était produit : le sol était jonché de débris de cristal mordorés et noirs. C'était la barrière de sécurité qui était censée empêcher les intrus tels que les animaux de passer. Un être humain avait tout de même dû avoir du mal à la briser. Certains éclats étaient tout luisants de sang, signe que celui ou ceux qui avaient passé le passage en force n'en étaient pas forcément tous sortis totalement indemnes...

Eleanore, surmontant l'inquiétude qui montait (enfin) dans sa poitrine, suivit les discrètes gouttes écarlates sur le sol glacé et humide. Les traces passaient derrière les statues avant de se diriger vers la forêt, et plus précisément vers la zone où le terrain devenait glissant et escarpé par endroit, là où les villageois ne se rendaient jamais parce qu'il n'y avait rien à voir à part des cailloux, une végétation touffue et dense, ainsi que quelques ours bruns plutôt pacifiques quand on ne les appochait pas de trop prêt. Alors, ce que certain aurait considéré comme du bon sens pris le dessus et elle se résigna à retourner au village pour voir où en étaient les autres. Mais les choses ne devaient pas se passer ainsi, le destin en avait décidé autrement. Et alors qu'elle s'engageait sur le sentier du retour en réflechissant à l'excuse qu'elle allait donner pour justifier sa présence vers la Faille, elle entendit un branche craquer derrière elle. Eleanore connaissait la nature, ses bruits, ses odeurs, et ele sut immédiatement que c'était bien QUELQU'UN qui était à l'origine de ce craquement. Mais elle n'eut même pas le tmps ni de se retourner, ni de se mettre à courrir. Quelqu'un la tira brutalement en arrière, la baillonnant d'une main, et lui enserrant le cou de l'autre avec poigne et fermeté. Elle savait que malheureusement pour elle, personne ne l'entendrait si elle criait, le bourg était trop loin. Et alors qu'elle commençait à se débattre comme un beau diable, une voix glaciale sussura à son oreille :

- Si tu continues de t'agiter de la sorte, je te tue sur-le-champ. C'est clair?
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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28. 03. 2008, 23:07

Conteur exceptionnel et immitateur talentueux avec ça... On aurait cru entendre la voix de la personne qu'il narrait. J'en avais des frissons terribles le long de l'échine. Une véritable torture psychologique. C'en était trop. Il fallait que cela cesse. Je voulais que ça s'arrête. Ma maîtrise avait ses limites, mon expérience était encore trop restreinte pour me permettre de supporter pareille situation. Un seau d'eau glacée jeté en pleine figure n'aurait pas eu moins d'effet sur moi. Je me retenais à grand peine de trembler comme une feuille. " VAS-TU TE TAIRE?!?! ça SUFFIT!!! " hurlai-je intérieurement. Toute ma concentration était focalisée sur l'effort pour ne pas perdre le contrôle. Tant d'émotions rendait la résistance à la soif bien plus difficile... J'aurais dû me nourrir avant, car quelle que pouvait être mon habitude à retenir mes pulsions meurtrières, si je perdais mon sang-froid, je perdais également ma retenue. Et une erreur dans ce quartier-ci m'aurait été fatale à coup sûre. Raaaaah!!! Mais comment pouvait-on être aussi bête?!? S'attarder aussi longtemps et pour des raisons aussi futiles en territoire ennemi!!! Quelle folie!! Quelle imprudence!! Et comme il venait de le faire remarquer, la raison et le bon sens ne daignaient venir qu'après qu'il soit trop tard!! Pourquoi les bons aspects disparaissent toujours et pas les mauvais?!?

Tout en parlant, l'homme me fixait désormais ouvertement. L'étrange sourire s'étira encore plus en voyant mes réactions et mon malaise piètrement dissimulé. Mon côté impulsif et émotif refit des siennes et je passais de l'angoisse à l'énervement. Il se moquait de moi ou quoi?! Je n'étais qu'une novice par rapport à beaucoup, et il ne fallait pas s'attendre à des miracles de contrôle et de je ne savais quoi!! Après tout, si ça l'amusait de raconter ça à tous les vents, et bien soit, qu'il gaspille sa salive!! Ce n'était pas mon problème!!! J'allais partir, égorger un quelconque imbécile, me repaître de son sang jusqu'à la dernière goutte pour calmer mes nerfs, et je reprendrais ma route en oubliant cet imbécile de conteur à la noix!! Telles étaient mes pensées, bouillonnantes et acides.

Mais alors que j'esquissais le geste de me redresser pour m'en aller. Une voix, SA voix, retentit dans mon crâne : *reste*. Je me figeai de surprise. Comment avait-il fait ça? Normalement, seules les consciences faibles peuvent être pénétrées de la sorte! Le phénomène se reproduisit : *affronte ton passé*. J'étais aussi crispée que si j'avais été suspendue au-dessus d'une mer d'eau bénite ou d'un soleil aux ardents rayons. Immobile, retenant mon souffle, je le regardai avec des yeux ronds, incrédule et à nouveau inquiète. Je remarquai alors qu'il s'était tu et qu'il semblait légèrement essouflé. Au moins, je pouvais me rassurer sur ce point, cette intrusion ne lui avait pas été simple, même pour quelques mots à peine. A quoi jouait-il à la fin?!? Que me voulait cet importuné vampire?! Je ne le connaissais absolument pas, alors que lui semblait savoir les moindres détails de mon existence, et il se permettait, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde, de m'ordonner d'affronter mon passé, en s'immisçant dans mon esprit avec ça!! Non est-ce qu'il m'avait bien regardé celui-là?! J'avais une tête à faire ce que me dit le premier venu?! Et pourtant, tout en pestant intérieurement et en le maudissant, je me résignai à rester. Très bien, il l'aurait voulu! Mais si l'un de ces sans abri venait à perdre la vie à cause de ses bêtises, ou si j'étais repérée, ce serait entièrement sa faute!

Je vrillai à nouveau mon regard sur ses pupilles de feu sanglant. Il y avait toujours à l'intérieur cette lueur moqueuse et amusée qui me mettait hors de moi. Les flammes se faisaient de moins en moins vives, comme si le silence qui pesait désormais sur ce qui était censée être une maison de refuge, sans murs ni toit. La tension dans l'air semblait peser un peu plus à chaque seconde. Mais bientôt, l'un des bougres assis prêt du feu lança une boutade du plus mauvais goût, avant d'inciter le conteur à poursuivre. Pathétique... ces créatures étaient tout bonnement pathétiques. Mes lèvres se tordirent en un rictus méprisant tandis que je jaugeais ces imbéciles qui riaient à gorges déployées de la remarques de leur compagnon. Le vampire eut simplement un autre de ses sourires énigmatiques puis reprit le fil de son récit.

Et la nature, le temps, semblèrent reprendre leur cours normal. Le vent se remit à agiter mollement, de son souffle glacial, les rameaux décharnés et osseux ainsi que les pans de manteau des uns et des autres. Une chouette recommença son chant nocturne quelque part vers l'Est, le feu reprit de son ampleur et dispensa à nouveau une chaleur bienfaisante à tous ceux qui l'encerclaient, tels des loups avides de la chaire tendre d'un agneau. Respirant un grand coup, j'écoutai à nouveau la voix fascinante et singulière de l'individu au long manteau à capuche noir. Et malgré mon tempérament plutôt indécis et changeant, une choses restait claire et inchangée dans mon esprit. Ma détermination restait ferme et indiscutable sur un point. J'aurais des réponses à mes questions, cet homme ne s'en irait pas comme si de rien n'était, il ne fallait pas compter là-dessus... Sur ce point, qui qu'il puisse être, j'aurais le dernier mot.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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7

01. 04. 2008, 19:51

Son coeur, un instant, s'était arrêté de battre. Qui était-ce? Que lui voulait-il? Allait-il la tuer même si elle se laissait faire? Tant de questions angoissantes l'assaillaient qu'elle en avait la tête qui tournait. Son coeur reprit sa chamade endiablée, tambourinant à tout rompre contre ses côtes avec un radam d'enfer qui lui faisait bourdonner les oreilles. Maxime avait eu raison sur ce point : c'était trop dangereux d'y aller seule, l'adolescente aurait dû l'écouter et rester, ou emmener quelqu'un avec elle. Mais maintenant, c'était trop tard pour les regrets, le mal était fait.

Les paroles de l'individu l'avait statufiée sur place. Et ainsi, littéralement figée, raidie des pieds à la tête, Eleanore attendait. Mais rien ne venait, le silence avait reprit ses droits sur la forêt alentours. Et cette absence de bruit ne faisait qu'enfler l'angoisse qui lui opressait la poitrine et accentuer les battements affolés de son coeur. *Calme. Calme.* S'intima-t-elle intérieurement. Et alors qu'elle tentait de se calmer et que son souffle commençait à se réguler un peu :

- Je vais enlever ma main de ta bouche pour que tu puisses parler. Tu vas me dire ton nom, et répondre sagement à mes questions sans essayer de m'embobiner. Si tu cries ou si tu tentes quoi que ce soit, je te tue.

Elle n'esquissa pas un geste, retenant son souffle, le coeur à nouveau lâché la bride au cou, cavallant à toute allure comme un cheval de course dans sa poitrine. Considérant cette absence de rébellion comme un assentiment, il ôta lentement sa main gauche du visage de la jeune fille qui put à nouveau respirer à plein poumons. Elle avala une grande goulée d'air, qui lui parut glacée en comparaison à la main moite et brûlante. C'est à ce moment-là seulement qu'elle se rendit compte d'à quel point l'individu était bouillant. Le bras qui lui enserrait le cou la faisait transpirer à grosses gouttes, tout comme celui qui lui maintenait désormais les bras dans le dos. Au travers même de ses vêtement, l'inconnu semblait irradier. Peut-être que tous les gens de l'extérieur étaient-ils ainsi? Elle repoussa les questions qui recommençaient à affluer dans son esprit et s'appliqua à faire trembler sa voix et à paraître effrayée plus que de raison :

- Eleanore. Je... je m'appelle Eleanore.

- Très bien. Alors dis-moi, combien êtes-vous? Quels sont vos effectifs militaires? Disposent-ils de l'arme atomique?

Ces questions la laissèrent peplexe. Mais de quoi parlait-il? Pourquoi voulait-il savoir combien de gens vivaient à Träumerei? Le passage de la faille devait lui avoir fait perdre la tête! Qu'est-ce que c'était d'abord l'arme à Tom Ick? Et qui était cet individu? Il y a avait bien un Tom au village, mais il avait à paine deux ans, et la seule arme qu'il possédait était un petit glaive en bois. Mais peut-être parlait-il d'autre chose... quelque chose de l'extérieur dont elle n'avait jamais entendu parler... Mais ravalant les répliques cinglantes qui lui venaient aux lèvres ainsi que son orgueil qui ne supportait pas qu'elle soit ainsi maintenu, elle répondit, utilisant au maximum ses talents de comédienne, qui n'étaient pas moindres d'ailleurs :

- Nous sommes environ trois cent trente, je crois... mais pour le reste, je... je ne vois... pas de qu... quoi vous voulez parler messire... Pardonnez mon... mon ignorance!! Ne... Ne me faites pas de mal, je vous en prie!! Bredouilla-t-elle, feignant d'être totalement désemparée et soumise.

Au moins, elle était quasiment sûre d'avoir endormit sa méfiance. Qui se serait méfier d'une frêle jeune fille toute tremblante et apeurée qui ne demande que la vie sauve et qui ne fait pas de difficulté pour répondre à vos questions, même bizarres? Intérieurement, il en allait bien différemment. Eleanore réfléchissait à toute allure à un moyen de retourner la situation à son avantage et de rendre la monnaie de sa pièce à son agresseur. Elle tentait d'analyser la force de cet adversaire déjà en nette position de force. Bien sûr, elle s'était maintes fois battues comme une furie avec les autres garçons de Träumerei, et était d'ailleurs réputée pour faire mal à ceux qui la cherchait un peut trop, mais là, c'était nettement différent. Elle avait affaire à un parfait inconnu dont elle ne connaissait rien, et donc rien non plus sur sa façon de se battre. Elle sentait des muscles puissants contre son dos, mais le menton de l'homme lui effleurait la tête, signe d'une taille plutôt petite par rapport à sa carrure. Sa voix d'ailleurs, était plus celle d'un jeune homme, et non celle d'un homme d'âge mur et expérimenté. Ce ne devait pas être impossible de reprendre le dessus... surtout qu'il semblait essoufflé et fébrile. Et avec un peu de chance, il était seul et c'était donc lui qui avait perdu du sang dans la grotte sacrée.

En entendant la réponse de son otage, l'individu lâcha un grognement de mécontentement. Il déserra légèrement sa brûlante étreinte de fer, relâchant un peu la pression qui tordait cruellement les bras de l'adolescente dans son dos. Cette dernière sauta sur l'occasion. Elle se souleva de terre prenant à son avantage l'étau de son adversaire, et frappa simultanément avec ses talons les deux tibias de l'autre, avec toute la force dont elle était capable. Profitant qu'il venait de la lâcher de douleur et de surprise, elle fit volte-face et lui flaqua un grand coup de genoux dans le bas-ventre et lui asséna sur la nuque une grande tape précise et impitoyable, avec la tranche de la main, qui le fit s'étaler face contre terre, à demi sonné, avant d'avoir put pousser un troisième cri de douleur. Eleanore s'installa lourdement sur son bassin, et lui tordit à son tour les bras dans le dos, sans ménagement. Maintenant, elle était sûr qu'il ne se relèverait pas...

Agacée d'attendre qu'il daigne arrêter de geindre et de se débattre inutilement et plutôt mollement avec ça, elle lui appuya la tête dans le sol jusqu'à ce qu'il cesse de s'agiter. Victorieuse, elle arborait un sourire triomphant. Son goût pour la victoire et la réussite était gâté par ce succès, et elle n'était pas peu fière. Son côté taquin et moqueur reprit bientôt le dessus, éclipsant sa peur le temps d'une raillerie :

- Alors! Je vais t'enlever la tronche de la terre, pour que tu puisses me dire ton nom maestro! Se moqua-t-elle.

Elle le laissa donc relever la tête, tout ahanant et suffoquant, crachant de l'herbe et de la terre, et se pencha pour voir à qui elle avait affaire...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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8

05. 04. 2008, 00:39

Oui, je me souvenais comme si c'était hier de cet instant. Ses traits étaient aussi clairs et nets dans ma mémoire que si je venais des les avoir devant les yeux. Mon esprit avait enregistré chaque détail, la moindre petite chose, à partir de ces instants-là, comme si inconsciemment, je savais que plus jamais je ne connaîtrais la paix...

Je l'avais donc laisser respirer un peu mieux et m'était penchée en avant pour voir son visage. Quelle n'avait été ma surprise de découvrir un jeune homme à peine plus âgé que moi! Ses yeux, d'un vert foncé, presque sapin, qui ressemblaient à deux puits de verdure, étaient rougis d'épuisement, mais lançaient des éclairs vengeurs qui m'auraient volontier réduite en cendres sur-le-champ. Il y brillait une détermination farouche, sauvage, brutale, effrayante, la rage de ceux qui n'aiment pas perdre. Ses cheveux, châtains clairs, coupés court, luisaient de transpiration. Sa mâchoire carrée et son cou de taureau, additionnés à ses biceps musculeux, lui donnaient des allures de colosses, voire d'Hercule imberbe, qui malgré sa taille peu impressionnante, devait faire des ravages par sa force et sa puissance. Son front large et dégagé, son visage entier étaient tout dégoulinants de sueur. Sa bouche aux lèvres minces mais bien dessinées, était fendue, et un abondante flot de sang ruisselait sur son menton jusque dans son cou. Un rictus haineux tordait la figure, ôtant ainsi tout charme au garçon. Je me souvenais avoir frissonner de peur de voir tant de rancune dans son regard.

En cet instant, j'oubliai totalement ma hargne envers le conteur, tout comme j'avais oublier ma combattivité devant ce visage. Le vampire décrivait tout exactement comme je l'avais ressenti, à la nuance de couleur prêt, jusqu'à l'étrange reflet noir qui semblait cerné son iris aux couleurs de la forêt. J'avais de plus en plus l'impression de revivre ce passé tant honni, mais avec la rage en moins pour le moment, de plonger dans les méandres sinueux de la mémoire d'un esprit torturé par des images impossibles à oublier et tiraillé par un dégoût de l'existence et du destin. Un esprit qui, malgré le fait que ce soit le mien, me paraissait souvent celui d'une étrangère.

Cela me fit penser à cette sensation que l'on a parfois au début de la non-vie. Ce sentiment étrange, qui vous fait douter de votre propre identité. En effet, qui ne se demanderai pas "Est-ce vraiment moi?" alors qu'il vient de se jeter à la gorge d'un inconnu, poussé par un instinct irrésistible, une soif infernale, qui vous fait perdre toute raison et toute réflexion. Cette impression d'être quelqu'un d'autre, d'avoir changé au point de ne pas se reconnaître et de ne plus savoir avec sûreté si l'on est encore la même personne ou si autre chose vous pousse à agir, comme si vous étiez possédé. En vérité, vous n'êtes plus la même personne, en tout cas pas en entier. Et vous finissez par vous habituer à cette nouvelle "vie", à cette force qui vous taraude perpétuellement et qui fait briller vos yeux à la moindre fragrance d'hémoglobine. Et bien de cette même façon, j'avais l'impression que cette adolescente irréflechie et bornée à la fois si naïve, n'était pas moi. N'était plus moi. Le changement va dans les deux sens, on devient quelque chose que l'ont était pas, et l'on était quelque chose que l'on est plus.

De sombres pensées s'agitaient de nouveau dans mon crâne, tourbillons chaotiques échappés d'une boîte de Pandore que ce conteur de malheur avait réouverte avec ses bêtises d'histoires inutiles! En effet, cette sempiternelle question qui tant de fois avait troublé mes nuits et mes pensées, cliquetait à nouveau à l'intérieur de ma tête. Stupide et pathétique, voilà tout ce que c'était! Autant que les humains! Pathétique et absurde! A quoi bon se torturer ainsi une âme que l'on est même plus sûre d'avoir encore?!? Pour chasser ces interrogations qui risquaient de reprendre des allures obsessionnelles, je me répètais en boucle : "Non, ce n'est pas possible. Non tu ne dois pas rêver à de pareilles stupidités. Chacun est ce qu'il est et s'y tient, chacun pour soi et s'est très bien comme ça.". Mais le bourrage de crâne n'avait jamais été très efficace... Dernière bouée de sauvetage : la voix grave et chaude de l'individu et son côté hypnotique. J'obtins l'effet escompté, mon esprit dévoré de regret et en proie à la tourmente se fixa à nouveau sur cette histoire qu'il connaissait pourtant déjà mieux qu'aucune autre, comme si c'était la première fois qu'il l'entendait.

La personne la plus dure à manipuler, c'est soi-même. Mais il est étrange de constater que quand on y arrive, on a toujours l'impression de se laisser berner, et donc la réussite n'est jamais complète. Mais qu'importe, tant que la réussite est au rendez-vous... Car de toutes manières, l'angoisse, la colère, les affres dits "communs" à tous, que l'on soit vampire ou humains, reviennent toujours à un moment ou à un autre, qu'on le veuille ou non... En y regardant de plus prêt, le plus grand point commun entre les mortels et nous, c'est notre capacité à souffrir rien que par le simple fait de penser et à toujours revenir à des pensées qui nous lacèrent le coeur, encore et toujours inlassablement...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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9

06. 04. 2008, 16:17

Prise d'un doute, sans même attendre la réponse de son interlocuteur, elle lui lâcha soudain un bras pour aller coller sa main contre son front. Oui, comme elle s'en doutait, il était bouillant. Elle venait tout juste de comprendre la raison de cette température, pourquoi ses yeux étaient aussi vitreux, et pourquoi elle l'avait mis à terre aussi facilement : Il était déjà à moitié terrassé par la fièvre. Mais qu'est-ce que c'était que cet histoire?! Il fallait être un imbécile heureux pour passé la faille en mauvaise santé!! Surtout quand on sait pertinament que l'on passe en territoire hostile! A moins que celui-ci n'ait des tendances suicidaires... Bref, elle ne pouvait de toute manière pas le laisser dans cet état! Son tempérament et son éducation allait à l'encontre du fait de le livrer aux villageois ou de le laisser là en plan dans un état pareil. Se faisant douce mais ferme, elle déclara :

- Tu es malade. Si on ne fait rien, tu n'iras pas loin et ils t'attraperont. Et même si tu arrivais à te cacher, seul, tu ne survivrais pas longtemps. Alors tu vas venir avec moi. Je vais t'emmener dans un endroit où personne n'ira te chercher et où je pourrais m'occuper de toi.

- J'ai pas besoin de ton aide sale garce! T'as gagné! Tue-moi!! Le vainqueur n'a pas à aidé le perdant!! Ne t'amuse pas à m'humilier avec ta pitié! Cracha-t-il, plein de morgue et de mépris.

Chose à laquelle il ne s'attendait pas : elle le giffla. Une tape cinglante du dos de la main, qui claqua sèchement sur la joue moite du jeune homme, qui deumera interdit face à ce geste dont il ne comprenait pas la raison.

- Ne dis pas des ânneries pareilles!! Ta fierté, garde-toi la où je pense! C'est pas le moment de jouer les fiers à bras! Là, il est question de ta vie crétin! Déclara-t-elle, aussi sèche que son coup, avant de rire tout en poursuivant. Et puis, réfléchis deux secondes! J'ai une tête à te tuer? Et même si c'était le cas, avec quoi je le ferais? Tu veux que je t'égorge avec les ongles peut-être?

Pouffant de rire à la pensée de telles absurdités, elle se releva, et lui tendit la main pour l'aider à faire de même. Il lui jeta un regard encore plus noir que les précédents, avant de saisir cette perche de mauvaise grâce. Il savait qu'elle disait vrai. Et comme pour lui donner encore plus raison, à peine fut-il sur ses pieds qu'il se mit à chanceler dangereusement et s'écroula de nouveau, l'esprit embrumé, la tête douloureuse. Eleanore avait bien tenté de le retenir, mais son poid l'avait entraînée dans sa chute, et elle s'était retrouvée par terre à côté du colosse à demi inconscient désormais. Ce dernier semblait respirer avec difficulté, et sa poitrine se soulevait de manière de plus en plus saccadée. Réfléchissant ardemment à un moyen de le transporté, la jeune file se releva et saisit sa gourde. Elle versa un peu d'eau fraîche sur les lèvres désechées qui burent avidement. C'est alors qu'elle remarqua les égratignures, nombreuses et profondes, sur ses avant-bras, et la large déchirure qui fendait son vêtement de cuir au niveau du flanc. Il devait avoir eu beaucoup de chance de ne pas savoir été touché... le coup aurait été à coup sûr mortel au vue de la situation dans laquelle il se trouvait.

- Mais tu as été attaqué par un ours?!? En cette saison, ils sont particulièrement agressifs, c'est un miracle que tu sois encore en vie! En règle générale, ceux qui vivent dans cette zone poursuivent leur proie jusqu'à ce qu'elle soit morte...

En entendant ces mots, il se raidit brusquement et devint livide, soudainement parfaitement alerte. Il tenta de se redresser tant bien que mal, mais la jeune file l'en empêcha d'un geste de la main, lui intimant de se tenir tranquille. Il commença à s'agiter encore plus, tentant de se débattre pour pouvoir se relever. La panique envahissait peu à peu son regard mi olive mi sapin tandis que la jeune fille, utilisant les grands moyens, lui grimpait à nouveau dessus pour l'empêcher de bouger.

- Mais qu'est-ce qui t'arrive bon sang!!!! Arrête de t'agiter comme un détraqué et explique-moi à la fin!!

Il se stoppa net, étourdi par l'effort qu'l venait de fournir inutilement, avant de dire d'une voix blanche :

- On était deux! Je le soutenais parce qu'il avait été blessé pendant la traversé du portail, et j'ai rien pu faire quand l'ours a débarqué! Et comme d'habitude, il a réagit au quart de tour, et il m'a ordonné de courrir!! et moi, con comme je suis, j'ai obéit! Foutue habitude de mes deux!! Mais qui est le crétin qui lui a filé autant de charisme à cet abruti! Laisse-moi me relever!! Faut que le retrouve!!! Il va se faire bouffer!! Vire-toi de là et aide-moi au lieu de me barrer la route!!

Il avait déblatéré ça à toute vitesse, et se retrouvait maintenant tout essoufflé et encore moins en état de faire quoi que ce soit. Alors comme ça, ils étaient deux? il fallait s'en douter... suicidaire mais pas trop! En effet, il avait raison, l'autre, si ce n'était pas déjà fait, allait mourrir sous les griffes du plantigrade. Et ç'aurait été de la folie que de tenter quoi que ce soit seule. Mais comment lui dire qu'il n'y avait rien à faire pour son compagnon?

- Calme-toi... ça ne sert à rien de t'énervé comme ça! Tu n'es pas en état de l'aider. Il s'en sortira tout seul...

Il la fusilla du regard. Et alors, il se mit brusquement à tousser à s'en arracher les poumons et à cracher du sang. Sa voix se fit alors suppliante, à la grande surprise de l'adolescente :

- S'il te plait...

Longuement il se regardèrent, les yeux dans les yeux. Jusqu'à ce que la jeune fille se retire de sur son torse et ne le traîne jusque dans les fourrés. Là, elle le camouffla de façon à ce que personne ne puisse le voir depuis le sentier, et lui mit sa veste sous la tête. Elle se pencha vers lui, se plaçant à quelques centimètres à peine de son visage, et souffla :

- J'y vais. Tu ne bouges pas, tu ne parles pas, tu ne fais rien. Tu attends que je revienne. Et si ça n'arrive pas... et bien appelle au secours dès que tu entendras du bruit. Si tu plaides bien ta cause, peut-être qu'ils accepteront de négocier...

Puis, sur un dernier sourire, elle se redressa vivement et fila comme une flèche avant même qu'il ait eu le temps de broncher, le laissant étendu à terre, seul dans le silence pesant qui retomba très vite sur la forêt déserte.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

Ce message a été modifié 2 fois, dernière modification par "Evangéline" (06.04.2008, 16:24)


10

18. 04. 2008, 00:23

L'ours était tout proche, il entendait le froissement des feuilles mortes et le craquement sec des brindilles sous le poids de l'animal qui avançait à pas lourds sur le sol de la forêt. C'était une bête monstrueuse à la tête de démon, la gueule écumante de bave, les crocs dignes de ceux d'un dragon, jaunâtres, effilés comme des épieux, des pattes énormes et massives aux griffes redoutables. L'humain avait peu de chances de s'en sortir. Au mieux, il réussirait peut-être à blesser mortellement le plantigrade... s'il en vait le temps avant de se faire broyer la tête comme une vulgaire coquille de noix. Il avait réussi à s'adosser à un vieux troncs à moitié pourri qui le cachait à la vue du prédateur, tout du moins pour le moment. Heureusement, si l'on peut dire, le dernier coup griffu de la bête, qu'il n'avait pas été assez leste pour éviter complètement, avait répendu beaucoup de sang dans la clairière, dissimulant ainsi sa position au niveau olfactif. Son flan béait, répandant des flots rouges sur la mousse imbibée de sinistre façon. Il était incapable de bouger son bras droit, qui pendait inerte sur son côté indemne. Décidément, cette mission était une réussite! Le passage en force dans le périmètre inconnu l'avait affaibli, en annihilant sa motricité et sa sensibilité au niveau de son membre supérieur droit, et cet ours était sur le point de mettre un terme à ce fiasco total. De toutes manières, il ne supportait pas l'échec. Alors s'il y restait, et bien tant mieux! Ainsi, il n'aurait ni à se justifier devant la haute hiérarchie du Q.G, ni à supporter l'opprobe d'une défaite cuisante, face, non pas un quelconque ennemi surentraîné, mais à la traversée d'un passage d'une technologie franchement bizarre ainsi que dangereuse, et à un colossal ours brun particulièrement teigneux. C'était à en pleurer tellement c'était ridicule. S'il l'avait pu, il se serait levé et exposé de lui-même au gargantuesque animal. Mais premièrement, il n'en était physiquement pas capable, et deuxièmement, l'instinct de survie restait malgré tout plus fort que cet égaux et cet honneur démesurés.

Il se laissa doucement glisser sur le sol humide de son propre sang, et tenta tant bien que mal de se traîner jusqu'à une crevasse dans la paroie rocheuse, qu'il venait d'apercevoir. S'il devait crever ici, au moins il ne laisserait pas le plaisir à cet ours de l'éventrer comme un sac de plumes! (Comme les idées changent vite dans le crâne d'un mortel parfois...) Ses blessures le faisait souffrir. Les nerfs de son bras avaient vraiment dû être sérieusement touchés pour qu'il ne puisse même plus agité le petit doigt! Le blessé sentait que ce passage dans le "périmètre rouge", comme on l'appellait au Centre, avait également laissé d'importantes lésions internes, qui ne tarderaient pas à lui faire cracher bile et sang. Comme s'il n'en perdait pas déjà assez comme ça!? Ah! Si seulement cet ours pouvait avoir autant de cervelle que de muscles!! Il pourrait aisément trouvé sa proie et mettre un terme à se cache-cache inutile!

Jamais il ne s'était senti aussi humilié et impuissant, autant rabaissé. Il ne pourrait même pas assurer la survie de son ami. L'autre s'en sortirait à coup sûr (mais de toute façon il se fichait comme d'une guigne de son sort), en revanche Jake n'était pas assez expérimenté pour se sortir de pareil pétrin seul et dans un état plutôt critique, si ses prévisions au sujet d'éventuel lésions étaient justes. Ce qui devait être le cas, vu qu'il sentait déjà un écoeurant liquide chaud remonter lentement le long de son oesophage.

Il fallait qu'il atteigne cette fente à tout prix avant qu'il n'ait perdu trop de liquide vital pour pouvoir agir. La clairière n'était pas très vaste, encombrée des cadavres d'arbres que l'ours avait éparpillé là. Apparemment, ils étaient en plein dans son territoire, voire dans son "coin favori". L'intrus n'avait malheureusement pas eu la force d'aller plus loin dans sa fuite. Désormais, sa seule chance de salut, même provisoire, était cette falaise qui bordait tout un côté de l'endroit et était fendue en un point qu'il pouvait atteindre s'il agissait au bon moment et avait un minimum de chance. Il attendit que l'ours, qui tournait en rond depuis qu'il l'avait perdu, soit à l'opposé en train de renifler avec attention une branche ensanglantée, pour commencer à ramper le plus vite et le plus silencieusement possible. Des brindilles et des cailloux se frottaient à sa plaie, lui arrachant des grimaces de souffrance, mais il continuait sans ralentir, se lacérant les chairs sur le sol terreux et inégal couvert d'aiguilles de pin. Il y était presque, le flot bileux qui lui brûlait la gorge restait contrôlable, sa perte de sang ne l'empêchait pas encore de se mouvoir, la douleur, bien que lancinante et vive comme un fer chauffé à rouge, il pouvait également la soutenir encore.

Mais un grondement sourd aux nuances furieuses vint mettre fin à ses possibilités de réussites et à ses espoirs. Lentement, il détourna le regard de son but, mince fente noire dans la roche, et fixa l'ours qui le regardait également, bien en face, de ses grands yeux de feu infernal qui se consumaient littéralement d'une sauvage envie de tuer. Il était perdu, c'en était fini de lui. Il ancra son regard dans celui de son bourreau, ses yeux dans les siens, prêt à affronter la mort face à face.

Le plantigrade sanguinaire s'élança, ouvrant grande sa gueule monstrueuse, laissant échapper de grands filets de bave, pour permettre à sa rage d'éclater, en un formidable mugissement retentissant qui aurait fait fondre de terreur n'importe quelle proie censée. Seulement, celle-ci était loin de l'être au combat, surtout quand la défaite était courrue d'avance. Il regardait venir vers lui la mort avec un calme apparrant déconcertant, et une lueur de défi insolente qui luisait au fond de ses yeux et en aurait fait enrager plus d'un. Il attendait la fin sans ciller, bouillant de colère au fond de ne pas avoir su être à la place du tueur. Le prédateur avait fait de lui sa proie, il avait perdu au jeu du chat et de la souris.

Et soudain, alors que la sentence sauvage allait s'abattre, impitoyable, sur l'humain à terre, une détonation, suivie d'un rugissement furieux de douleur, puis une autre, et une autre encore, à chaque fois succédée d'un bruit sourd et d'un grognement de douleur, de moins en moins prononcé. Il savait ce que c'était. Il avait entendu ces sons tant de fois, en avait été l'auteur si souvent... Mais déjà, l'hémoragie l'emportait, le tirait vers le gouffre d'une léthargie qui lui serait peut-être fatale. Sa vue se brouillait à une vitesse déconcertante, et il ne put voir ce qui se passait, ne put distinguer les traits du tireur, voir s'il s'agissait d'un ami ou d'un ennemi. Même lui, qui n'avait pas pour habitude le défaitisme, se dit que cette fois-ci était bien la dernière. Lentement, le reste de son corps, à l'instar de son bras droit, s'engourdissait. Il entendit pourtant le bruit sourd du corps de l'ours qui s'effondrait lourdement à terre, masse inerte et sans vie. Il perçut un vague bruit de pas, un fin filet de voix étouffé, puis plus rien, le silence et le vide total. L'inconscience vint l'envelopper de ses doux bras de songes et le plongea dans la noire mer de l'oubli, qui finit de l'arracher à sa douleur
.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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11

18. 04. 2008, 16:07

J'allais découper en cubes ce pourceau du diable! Il faisait tout son cinéma, et vas-y que j'te racontais la vie d'autrui à tous les vents, que j'te rentrais dans le ciboulo allègrement, que j't'ordonnais d'affronter ton passé, que ça vous retournait de fond en comble à force de mistères et que ça vous stressait comme c'est pas permis! Et voilà que mossieur se lèvait comme une fleur, en souriant toujours de son petit air satisfait, en déclarant tranquillement, et sans la moindre gène avec ça, qu'il était temps pour lui de reprendre sa route et que si par hasard il repassait par là un beau jour, il se ferait un plaisir de leur conter la fin de l'histoire. Les pauvres crétins, complètement sous le charme, acquièssèrent tous en silence, sans protester. Non mais de qui se moquait-il à la fin?! Encore, s'il n'y avait eu que ça! Mais pour couronner le tout, cet imbécile, après s'être lever et avoir commencé à s'éloigner de sa démarche altière de prince, ne trouva rien de mieux que de lancer par dessus son épaule, sur un ton on ne peut plus détaché : " La femme encapuchonée, là... c'est une créature de la nuit mes amis... Je suppose que votre maître serait heureux de l'avoir entre ses griffes... Bonne soirée compagnons...". Et il s'était enfoncé dans les ténèbres, silhouette sombre, puis simple ombre parmi les ombres.

Ah le chien!! Je lui ferais ravaler son air de monsieur-je-me crois-tout-permis! Autour de moi, les hommes me dévisagent à travers les ténèbres de ma capuche. Puis l'un d'entre eux sort son couteau, un sourire sadique aux lèvres qui découvrait ses dents gâtées, en annonçant : "Mes amis, ce soir, nous festoierons, nos assiettes seront remplies d'autre chose que cette pisse! Le maître nous récompensera! Alors créature maudite, qu'est-ce que ça fait de voir la proie devenir le prédateur? Hein? Tu as peur, avoues?" Avait suivi un ricanement qui se voulait triomphant, voire effrayant, mais que je n'arrivait pas à élever plus haut que "pathétique" et "minable". Non mais pour qui ils se prenaient ces imbéciles de mortels? D'accord, ils étaient une vingtaine, armés de misérables couteaux et autres matraques aussi solides que des brindilles, contre moi, seule. Mais à mes yeux, ces pouilleux sans aucune grâce ni habileté au combat, ne valaient pas plus que de la vermine que j'allais écraser du pied. Je me levai d'un bond, prête à éviter les premiers coups, qui ne tardèrent pas à pleuvoir. Vu leur manque de précision, je n'aurais même pas besoin de sortir mes sabres, et encore moins mes bons magnums. Un mouvement d'air derrière moi : les lâches, ils n'ont vraiment jamais vu un vampire se battre ou quoi? S'il croyaient que me prendre en traîtres suffiraient pour m'atteindre... ils se trompaient lourdement, leurs corps d'humains maladroits et lourds faisaient tant de bruit qu'on les auraient entendu venir à des kilomètres. D'un ridicule affligeant vous dis-je.

Je me retournais donc, lançant ma jambe, fracassant le nez de l'idiot qui avait naïvement tenté de me frapper dans le dos. Et ainsi tourbillonnant, je fis céder un certain nombre de nuques et d'os divers, dont les craquements secs étaient ponctués de cris de douleurs particulièrement amusants. Qu'il était agréable parfois de calmer ses nerfs sur de pareils imbéciles qui méritaient, plus ou moins, leur sort... L'odeur du sang me fit redoubler d'ardeur, car j'avais de plus en plus hâte de m'abreuver du liquide vital de mes adversaies. Même si le met serait de bien piètre qualité, c'était toujours un plus à prendre. En effet, il fallait impérativement que je me nourisse avant de me lancer aux trousses de ce conteur de malheur. A force de revers cinglants et de coups de pied dans la figure, ils furent bientôt tous à terre, les uns morts, les autres soit rampant pour tenter d'échapper à leur bourreau soit feignant la mort. Ces imbéciles oubliaient que j'entendais les battements de leur coeur... Après mettre repue de sang, je finissai le travail à coup de sabre dans les coeurs, proprement et sans fioritures, je n'avais pas le temps de m'attarder en effets théatrals et autres fantaisies que j'aimais parfois m'accorder. Mais je m'appliquai malgré tout à cisailler de la pointe de mon arme le visage de l'éhonté qui avait osé se moquer de moi.

Quand les cris d'agonie et les grognements de douleur se furent définitivement tus, j'essuyai ma lame ensanglantée avec un pan de mon manteau et me mis en route, silhouette floue à la vitesse surhumaine filant comme une flèche, allant d'ombre en ombre, silencieuse tel le battement d'ailes d'un papillon noir, invisible dans les profondeurs de la nuit. Je cherchais la piste de ce foutu vampire qui me faisait perdre mon temps. Que me voulait-il à la fin?! Raaah!!! Décidément, ce n'était pas mon jour! A cause de lui, mon quartier allait subir de sérieuses représailles, puisque j'avais été répérée. Heureusement, ces sans-abris étaient également sans cervelles, et ils n'avaient pas eu l'idée d'appeller en renfort des policiers, voire leur maître en personne. Ma vie était sauve pour le moment, c'était déjà quelque chose. Enfin, ça m'apprendrait à jouer les mercenaires! Mais que voulez-vous, quand vous êtes dans un besoin de ressource colossal, il vous faut bien trouver de quoi boucher les trous...

Mais je n'avais rien trouvé de mieux que d'accepter cette foutue mission! Evidemment, aussi grassement payée, l'expédition avait pris un charme fou, et j'avais sans hésiter laisser à mes policiers le soin de veiller sur mon territoire tandis que je partais en "mission". Mais j'aurais dû me méfier un peu plus. En effet, on ne m'avait communiqué que le montant de la prime, et pas la tâche en elle-même. Résultat, je m'étais retrouvé avec pour objectif d'espionner un grand ponte de l'empire, dans le genre mission impossible à la limite du suicide. Mais à force de se sortir d'embarras en permanence, on en vient à être habitués aux ennuis, et donc à avoir une certaine longueur d'avance sur eux. Enfin, j'avais réussi (un énorme coup de chance comme je n'en ai plus eu depuis...) et même réussi à m'éloigner du quartier ciblé (bah oui, faut pas croire, sinon les "sans-abris" n'en auraient pas été, et j'aurais eu beaucoup beaucoup beaucoup plus de mal à m'en tirer face à eux... Et maintenant, j'allais avoir sur le dos un "apprenti big boss" de l'empire, qui bien que moins redoutable que ce que j'avais risqué avant de m'arrêter dans son quartier, était réputé pour être un vrai petit teigneux particulièrement retord et acharné. Donc je n'étais pas tirée d'affaire tant qu'il y avait un risque qu'on me répère à nouveau et qu'on m'identifie. Misère, de sals moments en perspectives!

Soudain, une odeur connue... la sienne!! Ah!! Il allait voir ce qu'il allait voir le vaurien! Oubliant toute prudence, je me ruai sur la piste comme une enragée, courrant à perdre haleine dans les ruelles sombres et glauques, tandis qu'au loin, on entendait déjà les aboiements furieux des chiens de garde qui se précipitaient aux trousses de l'intrus qui osait défier leur propriétaire. Décidément, cette nuit n'allait pas être de tout repos...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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12

19. 04. 2008, 10:28

Le vampire s'était levé, lentement, avec prestance, avait jeté sa bombe, et s'en était allé, laissant le loup manger les agneaux. Cela débarrasserait la surface de la Terre d'une vingtaine de bons à rien... Et l'absorbeuse serait encore plus énervée. Cela allait être amusant, vraiment...

Il avait déambulé un moment, tournant plus ou moins en rond, avant d'aller se poster sur le toit d'un vieil entrepôt. Comme ça, il pourrait voir comment s'en sortait la fille. C'était la nouvelle lune, et le sombre manteau du conteur se fondait parfaitement dans le ciel d'un noir d'encre. Les étoiles elles-même semblaient avoir déserté la voute céleste, octroyant par le auguste absence un camouflage visuel parfait au vampire. Hum... elle était plutôt rapide, bien que manquant sérieusement d'entraînement encore. Il y aurait du travail, mais si tout se passait comme il l'escomptait, cela risquait d'être follement intéressant. Les capacités et qualités physiques, ce n'était pas ça qu'il cherchait. Non, car l'entraînement et la rigueur pouvaient combler bien des lacunes de ce type. En revanche, la loyauté, la fermeté, et la détermination, ça, ça ne s'apprenait plus. Il fallait une base à tout, et celle qu'il forgeait serait solide, indéfectible, fiable. Sans ça, ce n'était même pas la peine de continuer ce projet. Insensé certe, mais l'individu savait que le bon sens n'était pas le bienvenu quand il s'agissait d'une cause où il fallait se jeter à corps perdu.

Un léger vent agitait mollement les pans de son manteau, lui donnait des allures d'esprit venu des profondeurs du néant. Ses yeux de prédateurs, empli de volonté, brillaient d'un éclat étrange dans la noirceur de la nuit. Et toujours, cette assurance qui paraissait sans faille, cet air énigmatique, et cette aura de secret impénétrable qui fascinait certains comme elle en effrayait d'autres. Non, il n'était pas parmi les plus puissants, il n'était pas un grand chef plein de pouvoirs et de morgue. Mais il était en revanche des plus redoutables, un dangereux stratège, doublé d'un habile combattant, qui avait mis maintes fois à terre nombre d'ennemis supérieur en puissance. Un esprit d'analyse impressionnant lui avait donné une réputation non négligeable auprès de certains membres éminents, et son charisme, digne des plus grand meneurs, lui avait fait bien plus d'amis que d'ennemis. Mais, il avait son but désormais, et beaucoup d'obstacle se présentaient. La tâche se révélait bien plus hardue que prévu. Son chef de clan s'était opposé à son départ, le menaçant de siège en cas de désobéissance à cette proscription. L'absorbeur était donc obligé d'agir dans l'ombre. Mais il était habitué, les ténèbres étaient son éléments, l'ombre sa compagne, la nuit son alliée. Il réussirait, ou tout du moins, il ne faillirait point.

Voyant que la jolie vampire s'en sortait admirablement contre les molosses enragés qui venaient de lui tomber dessus au coin d'une ruelle sombre, le conteur décida qu'il était temps pour lui de partir, avant qu'elle ne se rende compte qu'il l'avait encore bernée, ce qui n'aurait pas dû tardé. Il s'élança avec la souplesse d'un chat, bondissant de toit en toit, plus silencieux que la nuit elle-même. Il devait attendre qu'un signe se manifeste, et ensuite il aviserait. Il sortit bientôt du quartier en émoi, et se retourna une dernière fois, regardant ce lieu où se trouvait la personne qui maintenant remuerait sûrement ciel et terre pour le retrouvé, si on ne lui avait pas menti au sujet du caractère bien trempé de l'absorbeuse. Puis il se remit en marche, sans hâte excessive, songeant que la nuit devait lui porter chance, et espérant que la suivante serait toute aussi amusante et instructive que celle-ci. Oui, demain, il devrait continuer son histoire, pour voir si cette fille à l'éternelle jeunesse saurait faire face à ses démons, qui était devenus immortels en même temps qu'elle.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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13

23. 04. 2008, 21:49

Je plongeai la pointe de mon sabre dans la gorge du dernier molosse encore capable de grogner. Et dans un dernier glougloutement, sa tête retomba sur le sol humide de sang canin. Ah! Ces bêtes m'avaient fait perdre un temps fou! Et aller ressortir indemne quand cinq énormes "chiens" vous tombent dessus sans ménagement et vous sautent à la gorge tous en même temps!! Vampire ou non, leurs crocs transpercent votre chair comme d'un rien, comme si c'était du beurre. Bref, je me retrouvais donc avec une jolie marque de morsure sur le biceps gauche, et pas mal d'égratignures aux jambes, mon manteau et mon pantalon n'ayant pas fait long feu face aux griffes de mes prédateurs, qui malgré tout avaient bien fini par devenir mes proies. Décidément, cette soirée allait de mal en pis. Un éhonté de conteur rentrait dans ma tête, une bande d'andouilles puants pleins de puces se mettait en tête de me saigner comme une oie, et une meute de batards me confondait avec leur bifteck du soir. Vraiment, une très charmante soirée...

Je ne m'inquiétait pas plus que ça au sujet de la morsure, qui pourtant me faisait un mal de chien (quelle ironie...), vu que je venais tout juste de vider de son sang le plus baraqué des sans-abri qui s'en étaient pris à moi, et que donc la plaie se résorberait vite. Je m'élançait de nouveau sur la piste de cet empaffé de vampire qui me causait tant d'ennuis. Ah celui-la, quand je le tiendrais, je le jetterais dans une fosse pleine d'humains fous et de chiens enragés, jusqu'à ce qu'il se mette chanter son histoire en verlan. Enfin, vous voyez le tableau quoi... complètement enragée, je ne pensais plus qu'à une chose : le retrouver, et lui faire ravaler ses mistères. J'humais l'air à chaque coin de rue, scrutant chaque parcelle d'ombre, à l'affut du moindre bruit qui aurait pu venir aussi bien de ma cible que de quelconques poursuivants. Et je tournai ainsi en rond pendant un bon moment, avant de me rendre compte que je m'étais faite avoir comme un lapin de six semaines. Je me stoppai, comprenant que je m'étais ENCORE fait jouer un mauvais tour, respirai un grand coup et éclatai finalement de rire. Je venais de dépasser le stade de la furie folle furieuse qui se laisse aveugler par sa rage et qui frôle la crise cardiaque toutes les deux minutes. Alors comme ça, il voulait faire mumuse le gros chat? Et bien la souris allait lui donner de quoi se divertir! Il ne serait pas déçu du spectacle. Et moi, j'aurais mes explications, et ma chanson en verlan avec ça. Je reprenai ma course avec plus de calme, me dirigeant vers la frontière du quartier où je me trouvais, me faufilant dans les étroites ruelles enfumées par les vapeurs d'ordures en décomposition, passant d'ombre en ombre, silencieuse comme la nuit. Je réussis à sortir de ce territoire hostile, non sans avoir dû faire nombre de détours plus que longs pour éviter les nombreuses patrouilles qui commençaient à grouiller d'un bout à l'autre de l'endroit, quadrillant tout le périmètre pour me retrouver. Mais apparemment, ceux-la ne devaient pas être dans le métier depuis longtemps, un peu comme leur propriétaire ( à mon avis une belle équipe de bras cassés qui pétaient plus haut que leurs fesses, pour rester polie), et ils ne me remarquèrent pas. Enfin un coup de chance...

Je traversai une bonne dizaines de quartier, faisant de larges détours pour tenter de retrouver son odeur, ou un indice qui aurait pu m'indiquer la direction qu'il avait prise. Encore fallait-il que je sois sortie du bon côté... Puis l'aube vint mettre un terme à mes déambulations, me forçant à trouver un abri pour la journée. Je dénichai une vieille cave pleine de sacs vides et de poussière. J'y pénétrai par un soupirail aux barreaux tordus et rouillés, la porte étant condamnée. Après m'être introduite tant bien que mal par ce passage plutôt étriqué, je fus soulagée de trouver un véritable nid de ténèbres, alors que le soleil commençait déjà à répandre sa vive lumière à l'extérieur. Pour être sûre de ne pas risquée d'être brûlée par l'astre tout puissant du jour, je m'enterrai sous une pile de ces sacs en toile grossière, parfaitement protégée de tous les angles que les rayons nocifs prendraient au cours de la journée.

Je sombrai immédiatement dans un profond sommeil, qui fut agité par tout un bataillon de cauchemards, tourbillon d'images de forêt et de paroles sur fond d'ours brun courroussé. Je me réveillai en sueur, complètement déboussollée, et il me fallut un moment pour me rappeler ce que je faisais sous ce tas de sacs poussiéreux. Je m'extirpai de ma cachette, me redressai, m'étirai comme un chat, avant de me figer sur place. Un grondement sourd résonnait dans mon dos, sinistre, menaçant. Je fis volte-face, et m'aperçus enfin de la présence d'une personne, tapie dans un coin de la cave. La silhouette était ramassée sur elle-même, prête à me bondir au visage au moindre geste brusque. Je décalai légèrement mes mains, imperceptiblement, de manière à pouvoir saisir mes armes en un clin d'oeil. Etait-ce un lycanthrope? Si c'était bien une de ces sales bestioles qui vous égorgent avant même de savoir si vous avez quelque chose contre elles ou non (et oui, tous les vampires ne font pas la chasse aux lycanths...), j'étais mal barrée. J'avais déjà eu affaire à une de ces créatures, et mes membres avaient mis un sacré paquet de temps avant de se reconstituer entièrement, et j'avais dû tirer entre les deux yeux du loup-garou pour m'en sortir moi-même en vie. Je gardais dons un très mauvais souvenir de cet affrontement, et mes bras protestaient avec véhémence, s'emplissant de picotements pour le moins génant à l'idée d'être à nouveau broyés. Vraiment, c'était bien ma veine ces temps-ci. Après tout le reste, j'avais un joli cabot qui me tombait sur le coin du nez... Franchement, la chance n'est qu'à ceux qui n'en ont pas besoin!

Un rugissement se fit entendre, et l'être s'élança, pénétrant dans la zone inondée par les rayons lunaires qui fusaient par le soupirail, dévoilant sa nature inhumaine et une paire de crocs aiguisés comme des lames de rasoirs qui fondaient droit sur ma gorge.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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25. 04. 2008, 22:08

Et là, vous vous demandez : "Mais si cet être était là, pourquoi il ne l'a pas becquetée plus tôt? Il attendait de finir la digestion de son dernier repas ou il a un petit pois à la place du cerveau?". Et bien tout bêtement parce que, finalement, ce n'était pas un loup-garou (ouf ). En effet, ms craintes à se sujet s'estompèrent lorsque mon agresseur (et un de plus!) s'était avancé dans la lumière de la lune. Par contre, restait le problème de ne pas se faire déchiqueter comme une vulgaire tranche de jambon. Je me jetai sur le côté, dans le genre "sauvetage catastrophe", et m'écrasai sur le sol, à l'instar de mon prédateur, qui alla s'écraser la face contre le mur avec un craquement sinistre. Enfin, plutôt ma prédatrice, dont les protestations de douleur ne tardèrent pas à se faire entendre :

- Putain de merde!! Bordel à cul! Chiotte! Mon nez!! Saleté!! J'vais tout vous y crever moi!! RAAAh!!! Et merde!!!! C'est quoi cette connerie!!! Qui est le couillon qui m'a refilé une emmerde pareille?!

Déjà je m'étais relevée et commençait à dégainer mes deux bons glocks, récemment acquis et encore tout reluisants. Mais au son de cette voix familière, je me figeai dans mon geste, ouvrant des yeux ronds comme des soucoupes, essayant de discerner plus nettement dans la pénombre la silhouette qui pestait et jurait toujours comme un charetier, semblant oublier totalement la raison de son état... pour le moment.

- Nom de Dieu!! J'ai l'tarin en bouillie de troll!! Fais chier putain!!! Je déteste quand ça craque comme ça ce nasal de mes deux! Et puis y a fallut que j'aille m'éclater l'groin contre ce putain de mur de merde! Et pis ça pisse le sang maintenant!! Sandys! Ca m'fout encore plus la dalle maintenant!! Quelle merde!! J'vais éviscèrer le couillon qui m'a foutu ce mur là!!!

C'était bien elle. Et elle n'avait pas changé de vocabulaire entre temps... sauf peut-être le "Nom de Dieu"... Un sourire fendit bientôt mon visage, et je m'accoudait contre la façade blanche de salpêtre à côté de moi, observant en silence l'autre vociférer à pleins poumons. Elle finit par se calmer, après tout de même cinq bonnes minutes à injurier les dieux, les nez, les murs, et les abrutis qui les avaient construits. Elle s'immobilisa soudain, se rappelant qu'elle n'était pas seule, et réalisant qu'encore une fois, ses élans de colère auraient pu lui coûter la vie. Elle fit volte-face, prête à repasser à l'attaque, dévoilant ses crocs luisants du sang qui coulait de son nez. C'est vrai qu'avec son air sauvage et incontrôlable, elle faisait quand même un peu peur...

- Et bah alors, on ne reconnait même plus ses vieilles amies? Ou c'est ta nouvelle façon de dire bonjour? Lançai-je, amusée

Elle me regardait avec des yeux aussi ronds que les miens quelques instants auparavant. Ses longs cheveux couleur écorce étaient emmêlés et semblaient ne pas avoir connu de lavage depuis un certain temps, ses yeux verts tirant sur le doré semblaient toujours aussi prompts à lancer des éclairs. Ses vêtements étaient crasseux, couverts de boue et déchirés par endroits. Mais malgré cet état qui n'était pas des plus reluisant, se dégageait de la belle seigneur des bêtes un aura de force et de détermination à faire trembler les murs (pas assez pour les faire se pousser mais bon, on ne peut pas tout avoir...). Ses bras musclés auraient pu casser des murailles par leur seule puissance d'ailleurs (mais pas son nez apparemment...), et sa voix avait la capacité de fermer le caquet de tous ceux qui la contredisaient. Bref, une énergumène de première classe, un caractère bien trempé qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Et mon coeur se gonflait de joie de la revoir. Cela faisait si longtemps...

- LuneRouge?

Un silence, puis son visage s'illumine et les retrouvailles commencent. Apparemment, ma chère Dena s'était encore énervée après un "abruti à la con qui voulait pas arrêter de faire chier son monde", et lui avait fermé son clapet de manière assez cinglante, et résultat, le " crétin intersidéral qu'a rien dans le slibard" avait ramené son clan tout entier, et la vampire sans alliance avait été mise à la porte, sans autre forme de procès qu'une course poursuite. En guise de lapin : Dena, plus que ravie d'avoir tout un clan à ses trousses. Je n'aurais pas aimée être à la place de ceux qu'elle avait dû croiser en chemin, sérieusement.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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25. 04. 2008, 22:10

- Bon, cette bande de glandus m'a laissé le contenu de mon armurerie, j'allais pas dire non. Mais maintenant, je me retrouve sans le sous, et j'ai pas l'air cruche à dormir dans la rue! Et pour une fois, je me trouve un ptit trou bien au sec bien dans l'noir, et trop crevée, je me rends pas compte qu'une andouille s'y est déjà mise, pour me flanquer une peur bleue au réveil!! Et me balancer la tête dans le mur avec ça! Raah!!! Tu paies rien pour attendre toi!!! J'te l'ferais bouffer le mur un jour!! Tu verras!

- He he he, j'ai un nez de fer moi mademoiselle...

Grondement sourd, j'évitai de justesse la main qui siffla à quelques centimètres à peine de la protubérance en question.

-Calme Dena! Calme! J'ai pas le temps de me faire amocher!

Je lui expliquai alors cette histoire à dormir dehors qui m'était tombée dessus la veille. Je lui racontai comment et pourquoi je m'étais retrouvée là-bas, le comportement de ce vampire, ma colère et mon vif désir de lui mettre les crocs dessus. Aaaaah, quelle joie j'avais tout de même de la revoir!!! Notre dernière rencontre datait de la période juste après l'explosion des bombes atomiques, et nous ne nous étions jamais recroisées depuis. Mais je devais quitter mon amies plus tôt que je ne l'aurais voulu, car il ne fallait pas que l'écart se creuse entre moi et ce fichu conteur. Non, ça sûrement pas! Je ne devais pas me laisser amolir et ralentir par mon amitié sincère envers Dena, qui me disait pourtant de l'aider. Ne me résignant tout de même pas à ne rien faire du tout, je réfléchis un instant, avant d'entrevoir une solution. Je lui glissai à l'oreille le nom d'une connaissance qui avait deux trois services à me rendre, certaine qu'il pourrait lui dégotter un quartier tout beau tout neuf. Elle me "remercia" avec un grognement vexé de celle qui ne voulait pas qu'on l'aide mais qui au fond était bien contente quand même. Je commençai donc à m'éloigner, quand elle décida de se venger et me balança un gros coup de pied qui m'envoya m'écraser la tête par terre. Mon nez s'en tira indemne, mais ma lèvre inférieur était dans un sal état.

- A la prochaine Luninette! Me railla-t-elle en s'éloignant de sa démarche leste et rapide. On se revoit quand j'aurais un quartier! Je t'apprendrai enfin comment rudoyer correctement tes esclave!

Et elle disparut au coin de la ruelle, après m'avoir jeté un dernier sourire goguenard. Décidément, on ne pouvait la rencontrer de manière normale, il fallait toujours que ça prenne des allures de "grand n'importe quoi". Enfin bref, je ne lui en voulait pas vu l'état de son nez... Je repartai donc, lapant distraitement le sang qui suintait de ma lèvre inférieure, fendue nette, et qui commençait à peine à se refermer. Mes blessures de la veille étaient quant à elles totalement résorbées. Je me renseignai dans les différents quartiers alentours, avant de trouver enfin quelqu'un qui savait ce que je voulais. L'homme, un humain totalement terrorisé à l'idée que je le prenne pour dîner, m'indiqua l'endroit où il avait vu un étrange homme encapuchonné, en train de parler au milieu d'humains. Le pauvre bougre était trop appeuré pour que je le soupçonne de mentir et je filai donc comme une flèche vers l'endroit qu'il venait de m'indiquer.

Je déboulai sur un petit parc miteux, aux arbres tordus et décharnés, dont la pelouse se résumait à une dizaine de brins d'herbe jaune, et au milieu duquel brûlait un feu entouré d'individus assis en tailleur. Je le voyais, il était là, assis comme les autres, le visage dissimulé, exactement comme la veille. Les mortels, moins miséreux et pitoyables à voir que les ivrognes dont je m'étais occupé, étaient en revanche tout aussi captivés. Cette fois-ci, il y avait des femmes, et même un enfant, dont je voyais dépasser la petite tête blonde de derrière l'épaule de sa mère. Et alors que j'allais m'approcher, avec la ferme intention d'aller régler mes comptes de manière plus ou moins délicate et discrète, au moment où j'avançai le pied, je sentis une odeur, une fragrance inquiétante, celle d'armes neuves prêtes à vider leurs chargeurs sur le moindre intrus. Je reculai précipitament dans l'ombre d'un bâtiment, scrutant les alentours, cherchant d'où provenait ce parfum. Et là, je les vis enfin. Ma colère et mon empressement avait encore faillit me coûter cher, peut-être pas la vie, mais quand même. Il me fallait me résigner à rester en arrière sans faire de remous. Je me postai sur le toit d'un immeuble, le plus près possible de ma cible, dont j'entendais nettement la voix. Comme par hasard, il en était exactement au même point que quand je l'avais quitté la dernière fois. Il se fichait vraiment de moi cet insolent!! Il le faisait exprès!! J'en étais sûre et certaine! Mais bizarement, au lieu de supprimer un à un les policiers postés avant de continuer mes projets tranquillement, je m'assis et écoutai. Une légère brise faisait voleter mes cheveux, me rafraichissant après ma longue quête à travers les rues sombres et encombrées de détritus les plus variés. A quoi bon tuer ces hommes? Apparemment, le propriétaire, bien que coincé dans un quartier délabré, ne lésinait pas sur la sécurité, et d'autres débarquerait sûrement, avec de quoi me mettre hors d'état de nuire. Autant attendre le moment opportun, en écoutant ces paroles suaves, mais qui pourtant, me glaçaient les sangs...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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26. 04. 2008, 20:21

La jeune fille tremblait de tous ses membres. Entre ses mains, blanches à force de serrer l'objet de toutes leurs forces, le revolver, dont un filet de fumée s'échappait, témoignant des quelques coups qui avaient été tirés. Ele fixait le cadavre devant elle, de l'ours immobile et déjà poisseux d'un sang noir et épais qui collait à la belle fourrure sombre.

Elle avait couru comme une dératée, suivant la piste de l'imposant animal. Et à force d'avancer de branches cassés en plantes couvertes de sang, et d'empreintes griffues en trace de mains ensanglantées sur les troncs, elle avait rejoint le prédateur et sa proie, dont la course poursuite s'était enfin stoppée dans une clairière en cul-de-sac contre la paroie abrupte de la montagne. Heureusement qu'elle avait pris ça à l'autre! Quand elle avait vu dépasser cette poignée brillante de la ceinture du jeune homme, une intuition irrésistible lui avait soufflé de lui "emprunter". Si elle n'avait pas suivi cette petite voix, elle aurait fini déchiquetée par le plantigrade enragé. Eleanore n'avait pas tremblé quand son instinct lui avait fait brandir l'arme et appuyer sur la détente. Elle n'avait même pas sursauté en entendant ce son à vous percer les tympans qui provenait de l'objet, en voyant le fauve mugir de douleur avant de s'effondrer. Elle avait tiré, tiré, et tiré encore, jusqu'à ce qu'il ne bouge plus, jusqu'à ce qu'elle soit certaine qu'il ne se relèverait pas. Mais maintenant, elle ne pouvait pas contenir les secousses qui l'agitait des pieds à la tête. Et si elle s'y était prise dans le mauvais sens? Elle se serait tuée bêtement, condamnant par la même occasion l'autre humain, étendu sur le sol de l'autre côté de la clairière, au milieu déjà d'une marre vermeille. Les larmes perlaient à ses paupières. Elle se rendait seulement compte des risque inconsidérés qu'elle avait pris, et du danger auquel elle venait échappé. Mais contenant le flot salé qui lui brouillait la vue, elle se précipita, contournant le cadavre de l'animal, et se jeta à genoux aux côtés de l'humain immobile.

- Tu m'entends?! Allez!! Ouvre les yeux!! S'il te plait!!

Mais rien. Aucune réaction. Il ne bougeait pas. A travers la buée de ses larmes, elle n'arrivait pas à voir s'il respirait ou non, elle distinguait seulement qu'il était couvert de sang de la tête aux pieds. Elle essuya alors tant bien que mal ses yeux, et elle put contempler le spectacle qui s'offrait à elle. L'adolescente resta saisit, émue, incapabvle du moindre mot ou du moindre geste. Un instant, elle crut voir un ange. mais réflexion faite, vu la quantité de fluide vital qui s'échappait de ses diverses blessures, ce n'en était pas un. Un filet écarlate s'écoulait du coin de ses lèvres fines et pâles, glissant jusque dans son cou aux modelés gracieux. Malgré les nombreuses écorchures et coupures qui barraient en tous sens sa peau de porcelaine qui semblait de satin, sa beauté brillait comme un soleil au millieu de la nuit. Ses longs cheveux blonds lui faisaient une auréole dorée, maculée de sang. Sortant de sa torpeur, la jeune fille plaqua sa tête contre la poitrine du bel inconnu, à l'écoute d'un coeur qui peut-être ne battait déjà plus. A son immense soulagement, elle perçut un battement, faible, mais qui prouvait que la vie était encore dans ce corps inanimé à la beauté surnaturelle. Elle tenta de le traîner en l'aggripant sous les aiselles, mais il était trop lourd. Son compagnon semblait dans un trop mauvais état pour pouvoir l'aider, et de toute manière, elle n'aurait pas le temps d'aller le chercher et de le ramené jusqu'ici, surtout si elle devait l'aider à se mouvoir en le soutenant. En effet, vu le raffut de tout les diables qu'avait provoqué les coups de feu, les villageois ne tarderaient pas à débarquer en masse. Il fallait qu'elle trouve une solution, et vite, si elle ne voulait pas avoir à expliquer sa présence prêt du jeune homme blessé, et qui plus est trop gravement pour avoir pu se servir lui-même du mystérieux objet. Alors, elle avisa la faille dans la paroie. Avec un peu de chance, la cavité s'élargissait à l'intérieur de la falaise. Elle se rua sur cet espoir inattendu, se faufilant par l'ouverture avec son habituelle souplesse. Elle se retrouva dans un couloir assez large pour qu'elle puisse le transporter sans risque de le cogner aux murs de pierre. Poursuivant au pas de course son exploration, elle atterrit dans une petite caverne, jusqu'à laquelle parvenait la lumière du jour, déjà faiblissante, qui passait pourtant encore au travers du couvert des arbres. Elle ressortit précipitament, et saisit à nouveau le jeune homme qui perdait des quantités inquiétantes de fluide vital. Transpirant à grosse goûttes à cause de l'effort, elle le tira tant bien que mal jusqu'à la crevasse, usant de ses dernières forces. Elle mit un bon quart d'heure à accomplir cette tâche ardue. Quand il fut étendu à l'intérieur, dans la cavité du fond et ainsi à l'abri des regards indiscrets, elle selaissa tomba par terre, épuisée. Mais elle ne pouvait pas encore se reposer. Il fallait encore qu'elle s'occupe de ses blessures et qu'elle retourne voir l'autre. Décidément, elle s'était fourrée dans un sacré pétrin! Prenant son courage à deux mains, elle se redressa, et sortit de la poche intérieur de sa tunique, une petit boite circulaire en fonte. Se rapprochant du blessé, elle déchira ses vêtements pour mieux avoir accès à ses plaies. Le flanc gauche de l'étranger était sérieusement touché, et son bras droit avait toutes les veines et les nerfs sectionnés. A Träumerei, on n'apprenait peut-être pas la géographie ou la littérature, mais l'anatomie et les bases de médecines étaient en revanche au programme... Le pauvre avait dû souffrir le martyr avec de pareilles blessures. Par contre, une chose était sûre, ce n'était pas l'animal qui avait mis son bras ohrs d'usage... Non, ça c'était l'oeuvre d'une couteau, d'une lame très aiguisée, mais pas des griffes énormes et mal dégrossies d'un ours gigantesque. Eleanore, encore tremblante, étala avec le plus de douceur possible le baume que contenait le récipient sur les zones qui nécessitianet un traitement urgent. Voilà, une bonne chose de faite. Mais il lui fallait ecore rejoindre le sentier et ramené l'autre garçon en lieu sûr, et de préférence avec son compagnon, sinon, vu le caractère, il allait faire un scandale et se mettrait bêtement en péril. Elle allait devoir être prudente si elle ne voulait pas se faire pincer. Sortant de l'étroite fente, elle se mit en route, courant au milieu de la forêt. Ses jambes commençaient à flageoller après tant f'efforts et tant d'émotions, mais elle s'interdit toute pause, sachant que la vie des deux intrus étaient en jeu. Elle arriva toute décoiffée, les vêtements tachés de sang pour avoir cotoyé de prêt le blessé, les mains et le visage terreux pour être tombées plusieurs fois face contre terre à cause de racines sournoises que sa fatigue l'avait empêché de distinguer. Le jeune homme était toujours étendu sur le sol là où elle l'avait laissé. Il la regardait avec un air ahuri, blanc comme un linge, et le menton tout ruisselant de sang à force de tousser et cracher sa bile. Sa voix, rauque, tremblait d'épuisement et de panique quand il prit la parole :

- Mais qu'est-ce qui t'es arrivé? Tu es blessée? Et lui? Tu l'as trouvé?

Elle lui intima le silence et le rassura quant à l'état de son ami. La jeune fille lui indiqua ce qu'il fallait qu'ils fassent, c'est à dire rejoindre l'endroit où elle avait laissé l'autre, sans se faire repérer. mais alors qu'elle commençait à l'aider à se relever, des éclats de voix se firent entendre, tout proche. " Vite!! l faut partir avant qu'il nous voient, ou tu es fichu, et moi avec!" Chuchota-t-elle. Ils s'enfuirent donc précipitament, prenant soin l'un comme l'autre d'éviter les branches mortes qui jonchaient le sol, tands que dans leur dos, la lumière mouvante de torches jetait déjà des éclats mouvants et inquiétants à l'endroit où ils se trouvaient à peine une minute auparavant.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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17

01. 05. 2008, 20:53

Leur progression était longue et laborieuse. Le terrain accidenté ne leur facilitait pas la tâche, les branches basses leur fouettaient le visage dans l'obscurité, les flaques leur trempaient les jambes, l'effort les mettait en sueur. Eleanore le soutenant, le jeune homme avançai tant bien que mal sur ce sol qui lui était totalement inconnu. Derrière eux, les lumières mouvantes avançaient lentement, sondant chaque pouce de terrain pour retrouver les intrus. Le jeune fille le pressait, sachant qu'il lui en coûtait de se hâter, mais s'ils n'atteignaient pas leur destination à temps, les ennuis pleuvraient par tonnes entières, et le garçon y risquait peut-être sa vie. Au bout d'un moment, alors qu'ils avaient réussi à prendre de l'avance, malgré la nécessité de progresser sans le moindre bruit, il osa lui dire dans un murmure, essoufflé :

- Au fait, moi c'est Jake...

Elle ne répondit pas, se contenta de sourire dans le noir, même s'il ne pouvait pas la voir, continuant d'avancer le plus vite possible en silence. Ils prenaient une bonne avance sur la battue qui se poursuivait en arrière. Et bientôt ils seraient arrivés à destination, malgré leur allure lente et pénible. Mais des cris s'élevèrent, affolant les battements de leur coeur déjà gallopant :

- Des empreintes!!!!! Il y a des empreintes ici!!! Elles se dirigent droit sur le territoire des ours!!

-Vite!!!! Dépêchez-vous!! Elles sont encore fraîches!!! Ils ne peuvent pas être bien loin!!!

Malheur, ils étaient repérés. Plus le temps, plus la peine d'avancer silencieusement, de toute manière ils étaient assez loin pour courrir, le bruit de leur précipitation étant couvert par les exclamations de leurs poursuivants. Ils se mirent donc à détaler comme des lapins, elle le tenant par la main et le guidant, pour éviter qu'il ne se prisse un tronc ou ne tombât dans une crevasse. Elle était habituées à ces courses nocturnes. Certes pas dans cette zone, mais tout de même, l'expérience était presqu identique, bien que nettemetn plus périlleuse, autant par les circonstances que par les lieux. Trébuchant à chaque pas, il se laissa entraîner dans les ténèbres opaques, se disant que de toutes façons, sa vie était en les mains de cette fille, et qu'il lui fît confiance ou non ne changerait pas grand chose, alors autant que ce fût le cas, cela rendrait les choses plus faciles. Derrière les deux fuyards, les hommes du villages se rapprochaient dangereusement. Les deux jeunes gens pouvaient désormais entendre les bruits de leur course précipitée martelant le sol à leur instar. L'adolescente se rendit compte alors d'une chose qui risquait de poser problème : le cadavre de l'ours, qui gisait toujours en plein milieu de la clairière. Malheur! Ils ne pourraient jamais déplacer seuls cette énorme masse, et encore moins en si peu de temps! C'était une preuve flagrante de leur passage par là, et vu que les taces s'arrêteraient là, les Träumerisch devineraient facilement qu'ils étaient cachés dans les parages! Ils étaient perdus, seul un miracle pourrait les sauver. Si seulement une bête avait pu passer par là et laisser toute une quirielle de traces!! Mais quel créature terrestre et mortelle se serait approchée du repère d'un énorme prédateur, ou celui-ci étant mort, d'un cadavre? Seul une grâce des dieux pouvait les sauver. La jeune fille adressa mille prières tandis qu'ils se rapprochaient fatalement de leur destination.

Tout en sueur, ahanant comme des chevaux après un long galop, ils déboulèrent en trombe dans la clairière, que la lune éclairait de sa lueur blafarde de spectre céleste. Et là, stupeur : plus traces du plantigrade. Le sang semblait s'être évaporé, et l'animal s'être envolé. Comment était-ce possible?! C'était insensé!! Elle l'avait pourtant bien abattu!! Et toute cette mare de sang, autant celui de l'ours que celui du jeune homme, elle ne l'avait pas rêvé non plus!! C'était à n'y rien comprendre. Réalisant qu'elle s'était stoppée devant ce spectacle aberrant qu'éclairait l'astre nocturne, elle se remit brusquement en marche, tirant violement son compagnon vers leur refuge de pierre. Elle le poussa vivement à l'intérieur de l'aspérité, juste assez large pour accueillir la stature imposante de l'étranger. Elle e força à avancer à tatons jusqu'à la caverne du fond. Ils allaient être à l'étroit, mais au moins en sécurité. Elle frémit un instant à l'idée que l'autre ausi se soit volatilisé. Mais cette angoisse-là s'estompa bien vite qund elle aperçut avec soulagement la silhouette sombre étendue sur le sol rocailleux et humide. Il faudrait changer d'abri le plus tôt possible, l'endroit proposant des conditions défavorables à la guérison des deux intrus. Elle l'obligea à s'étendre tandis qu'il protestait à voix basse, assurant qu'il pouvait très bien rester debout ou assis, tout en chancelant dangereusement. Elle souffla bien vite sa résistance, et, quand il fut enfin installé aux côtés de son compagnon toujours inconscient, le silence tomba, telle une chape de plomb angoissante et étouffante. Les paroies de roche atténuait les sons de l'extérieu. Les conversations à voix haute de leurs poursuivants devenaient de vagues murmures feutrés, les bruits de pas des échos incertains, le bruissement des feuilles sous le vent léger un lointain souffle sussurant une mélodie inaudible. Puis, plus rien. Ils étaient partis. Jake semblait avoir sombré lui aussi dans les limbes d'un sommeil agité et fiévreux, rejoignant son camarade dans sa léthargie. Les ténèbre lenveloppaient Eleanore comme un linceul, compactes et oppressantes, qui la dissimulait au regard du monde, la lune ne parvenant pas à étendre son royaume spectral à cette cavité dans le flanc de la falaise. Alors le belle Träumerish s'accorda un sanglot. Un seul suffoquement, juste une coulée salée sur sa joue. Puis elle se recroquevilla du mieux qu'elle put pour laisser de l'espace aux deux autres, et elle attendit avec angoisse un sommeil libérateur, tout en pensant ardemment au lendemain, qui ne s'annonçait ni plus doux ni plus clément que son prédécesseur...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

18

02. 05. 2008, 21:39

Eleanore se réveilla en sursaut. Tous les muscles tendus, ruisselante de sueur, elle ouvrait de grands yeux ahuris, se demandant où elle se trouvait. Pourquoi faisait-il si froid? Pourquoi ne sentait-elle pas la couverture chaude et le matelas confortable de son lit? Puis, les derniers évènements lui revinrent en mémoire, et sa respiration s'apaisa quelque peu. Il faisait encore nuit noire, et on n'y voyait goutte au fond du trou dans la falaise. Elle se faufila à l'extérieur, prenant bien garde de ne point heurter les deux jeunes hommes inconscients. Au dehors, le ciel était moucheté d'un foisonnement d'étoiles, qui faisaient une haie d'honneur à l'imposant astre lunaire, qui malgré sa phase décroissante, brillait d'un éclat d'argent irréel sur un fond d'encre à la noire profondeur de néant piquée de blanc. Les silhouettes inquiétantes des arbres vénérables étendaient leurs sombres contours irréguliers sur cette immensité céleste scintillante.

La jeune fille devait se hâter si elle voulait être revenue et repartie avant le levé du jour. Vite, elle se mit à courrir, évitant les pièges du terrrain accidenté et bourbeux. Elle mit de côté sa fatigue grandissante, qui la fit s'essouffler plus vite qu'à l'accoutumée, jusqu'à la lisère des bois, où elle se stopa pour souffler un peu. Puis elle se dirigea droit vers le bourg endormi, évitant soigneusement les postes de garde, qui avait été remis en service suite à l'intrusion de l'extérieur dans leur cocon. Elle n'eut aucun problème, étant donnée sa connaissance des lieux, à rejoindre son but sans encombre. Arrivée devant une petite maison aux murs de pisé et au toit de tuiles d'ardoise, elle ramassa un cailloux, et le jeta sur les volets d'une fenêtre du premier étage. Aucune réaction au bruit sec du gravillon heurtant les battants clos. Deuxième tentative, puis une troisième, et enfin les volets et la fenêtre s'ouvrent, laissant paraître une tête châtaine échevelée.

- Maxime! J'ai besoin de toi! Habille-toi et descends s'il te plait! C'est important!

Lui jetant un regard noir de reproche, l'interpelé referma les portes de son antre. Quelques minutes plus tard, il était avec elle sous sa fenêtre. Il la tança sur son absence, sur le fait qu'il avait dû lui trouver une excuse et prétendre à sa mère qu'elle était chez lui pour la nuit, et lui jura que plus jamais il ne la couvrirait de la sorte, surtout quand elle se mettait bêtement en danger. La jeune fille fut submergée par une bouffée de culpabilité, mais elle n'avait pas le temps de se répendre en excuses, bien que sincères, car le temps allait venir à manquer s'ils ne se dépêchaient pas. Elle lui expliqua vaguement qu'elle avait rencontré les individus de l'extérieur, et que tous deux étaient en fort mauvais état. Elle le supplia de l'aider à les déplacer, affirmant qu'il serait immoral de les laisser mourrir ainsi ou des les vendre aux villageois, qui n,e les écouteraient sûrement pas, trop appeurés à l'idée d'être attaqués ou envahis. Elle rajouta que s'il ne le faisait pas par bonté de coeur, il n'avait qu'à le faire pour elle, qu'elle sautait le remercier, et qu'elle n'avait que lui comme allié. Comme d'habitude, le garçon se laissa attendrir, malgré ses réticences plus que fortes. Alors, bougonnat et jurant par tous les diables que plus jamais il ne lui rendrait service, il lui emboîta le pas, gagnat au passage un regard larmoyant de reconnaissance et un baiser sur la joue. Elle l'entraîna par la forêt humide de rosée, dans la nuit faiblissante. Il ne restait que peu de temps avant l'aube par rapport àla tâche qu'il leur restait encore à accomplir. Bientôt, les deux Träumerish arrivèrent à la clairière, qui semblait n'avoir jamais connu le moindre passage d'ours, où rien ne laissait deviner qu'une mare de sang s'était trouvée là à rougir le paysage et à souiller le sol vierge. Une mauvaise impression lui tordant les entrailles, la jeune fille ne s'arreta pourtant pas et se dirigea d'un trait vers la fissure, ligne sombre et tordue sur le flanc rocheux de la montagne qui naissait là, brisant la ligne du sol, s'élevant brusquement barrant tout passage possible, telle une muraille infranchissable érigée par une nature désireuse de protéger ses mystères. Elle guida son ami, peu rassuré et inquiet de ce qu'il allait découvrir au fond de ce trou noir et humide qui s'enfonçait dans la paroi de pierre et semblait ne pas avoir de fond. A tatons, elle lui montra l'emplacement des deux "Wirklish", comme on nommait les gens du reste du monde dans cet Eden caché, qui bientôt tournerait à l'enfer.

Précautionneusement, ils les tirèrent de leur abri glacial et humide. La mine désaprobatrice de Maxime exprimait clairement sa désaprobation totale et complète avec les agisements de son amie. Il regardait d'un oeil mauvais, presque haineux déjà, le jeune homme blond qui respirait à peine. Son torse dénudé offrait aux regards le spectacle délectable de ses muscles finement sculptés, de sa peau immaculée qui semblait si douce, de cette poitrine délicate et à la fois imposante et fière même dans l'inconscience, qui se soulevait lentement et laborieusement. Le son de sa respiration sifflante laissait soucieuse l'adolescente, qui se demandait comment elle pourrait se procurer les remèdes nécessaires. Mais là n'était ps encore la question, il fallait d'abord les mettre en lieu sûr, là où on n'irait pas les chercher. Et ce lieux était tout désigné. Un endroit où les deux jeunes gens allaient souvent se réfugier, lorsqu'ils étaient en quête de tranquillité. C'était également une grotte, mais plus vaste, plus lumineuse, moins humide, plus proche du village, mais en revanche bien mieux camouflée. Quand elle lui confia son idée de les emmener là-bas, il protesta vivement. Comment?! Elle osait vouloir les cacher dans "leur sanctuaire à tous les deux"? Et puis, d'ailleurs, pourquoi prenait-elle autant de' risques pour de parfaits inconnus?! Elle était folle à lier!!
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

19

02. 05. 2008, 21:41

Elle retorqua sèchement que elle ne pensait pas qu'à sa petite personne et sa propre sécurité, qu'elle ne se sentait pas le coeur assez sec pour laisser deux personnes blessée agoniser ou se faire prendre par des gens ne leur voulant pas le moindre bien, alors qu'elles ne son pas en état de se défendre, qu'elle continuerait avec ou sans lui, et que grand bien lui fasse de fuir comme un lâche et de retourner dans les jupes de sa mère. Décidément, elle ne comprenait plus le raisonnement de son ami, qui était dans la même profonde incompréhension de son côté. Mais Maxime se décida, encore une fois, à céder, et il sortit de sa poche un couteau, en lançant, acide :

- C'est bien beau, de vouloir jouer les sauveuses. Mais ils sont deux, je ne peux en porter qu'un seul, et j'ai des doutes sur ta capacité à transporter une de ces montagnes toute seule sur une aussi longue distance! Tu aurais au moins pu y penser, bredine!

Et il commença, de fort mauvaise grâce, à couper des branches basses et à élaguer à grands coups de couteau. Eleanore, penaude, n'osait piper mot, et commença à examiner Jake pour ne pas passer pour une totale idiote. Le Wirklish était pâle comme un linge, et la fièvre semblait avoir encore augmenté, ce qui tenait vraiment de la catastrophe, quand on savait à quel point il était déjà bouillant avant d'arriver auprès de son compagnon. Décidément, ce n'était vraiment pas sûr qu'i s'en sorte l'un et l'autre... Mettant bientôt un terme à ses sombres conclusions, Maxime lui signala qu'il avait terminé et qu'il ne restait plus qu'à mettre le brun sur le brancard improvisé. Comme le sol était tout glissant de rosée, elle pourrait facilement le tirer, en dépit de son état de fatigue. Il l'aida à installer Jake sur cette couche de branches poisseuses de mousse et plutôt inconfortable. mais c'était ça où se risquer à faire deux voyages. Lui-même prit de la ficelle dans sa poche et fit une série de noeuds plutôt complexes, jusqu'à obtenir une sorte de harnet, qui lui permettrait de transporter le blessé plus aisément, de manière à moins s'encombrer le bras. Il pris le blond garçon dans ses bras, le plaça sur le mince lit de cordelette, et se mit en marche d'un pas vif, n'accordant même pas un regard à Eleanore, qui s'empressa de le suivre sans protester, sachant qu'avec lui, il ne servait à rien pendant des heures. C'était soit il changeait d'avis tout seul, soit il s'entêtait jusqu'au bout. Donc, rien ne servait d'insister, valait mieux attendre, et laisser passer la tempête.

Le trajet se fit ainsi en silence, tandis qu'ils avançaient péniblement avec leur fardeau respectif, au milieux de la végétation dense. Il arrivèrent sur la corniche d'une petite falaise calcaire qui dominait un étang et une rivière, à quelques kilomètres à peine du village, là où personne n'allait jamais, puisqu'un lac bien plus poissonneux se trouvait de l'autre côté et qu'à part cet étang pour le moins inutil, il n'y avait rien à voir d'intéressant. Des arbres centenaires se dressaient, majestueux ancêtres qui avaient tout vu et tout entendu, sans jamais prononcer un mot et sans jamais pouvoir détourner le regard, qui portaient avec eux l'histoire d'un peuple et d'une fragile idylle entre dieux et mortels trop insouciants. Ils avaient emprunté un sentier dissimulé par des buissons touffus et une multitude de fougères aux longues feuilles vertes qui emplissaient l'espace tout autour de ce chemin que les deux amis entretenaient de leur mieux depuis leur enfance. Au bout de quelques minutes à peine, ils arrivèrent enfin à l'entrée d'une caverne, sur une large corniche, d'où on surplombait le point d'eau et la rivière. Cela ressemblait à un paradis aquatique et végétal perdu au milieu d'une jungle, enfermé dans l'étau des arbres immenses qui masquaient l'horizon. Le ciel palissait sous l'aurore naissant, se teintant de rose et d'or, d'orange clair et de mauve doux. L'astre solaire montra le bout de ses premiers rayons, illuminant le paysage, balayant cette semie obscurité dans la quelle les quatre jeunes gens avaient traversé la forêt du début à la fin. Enfin la lumière revenait. Eleanore regardait les feuillages se teinter d'or pâle sous les timides raies de lumière qui perçaient les nuages bas. La jeune fille s'était stoppée pour mieux admirer le sublime spectacle du jour naissant, de l'eau s'irrisant de mille reflets et de la vie s'éveillant pour une nouvelle journée dans ce vallon protégé des dieux. Son coeur pourtant, restait simplement admiratif devant l'aube doré. Car à ses yeux, rien n'égalait la perfection argentée de la lune, pleine de mystères et de secrets, accompagnée de sa brillante cohorte de diamants célestes à l'énigmatique éclat, qui voguait chaque nuit telle une armada des cieux, vers une destination inconnue qui semblait ne jamais devoir être atteinte...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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09. 05. 2008, 17:22

Tout était paisible. Le chant des oiseaux commençait à s'élever, mélopée fraiche et ondulante aux vifs accents. Pendant que la jolie brune admirait impassiblement le paysage, son compagnon encore debout s'occupait de récupérer sa cordelette, défaisant laborieuseemnt chaque noeud. Quand il eut fini, il sortit de la caverne et ramena la jeune fille à la réalité. Il fallait qu'ils se hâtent se rentrer avant que tout le village ne soit debout. Alors ils se mirents à courrir comme des dératés, après qu'Eleanore ait vérifié une dernière fois l'état des deux fugitifs. Ils arrivèrent au village en sueur, mais à temps. Seuls quelques matinaux arpentaient déjà les rues, et les membres les plus éminents du Conseil étaient déjà réjoins la bâtiment des réunions de crise. Les deux adolescents se faufilèrent discrètement dans les allées encore brumeuses, préférant tout de même ne pas être remarqués par les rares passants. Ils s'introduisirent en silence dans la demeure du jeune homme et s'enfermèrent sans plus tarder dans la chambre de ce dernier. Un lourd silence tomba. Lui bouillant de rage et n'osant déverser son fiel, elle préférant se taire, n'ayant rien à dire à son ami qui décidément refusait de comprendre. Et ils restèrent ainsi durant un long moment encore, assis à quelques mètres l'un de l'autres, risquant à peine quelques regards en coin qui s'écourtaient bien vite. Puis, Maxime se décida à déserrer les lèvres :

- On devrait se changer. Sinon, la boue sur nos vêtements risquent de faire se poser certaines questions indésirables...

Elle acquiesça sans un mot, et se dirigea vers l'armoire où se trouvait quelques unes de ses affaires, rangées là pour les fois où elle restait à l'improviste chez son ami. Celui-ci était déjà sortit avec ses propres effets, lui laissant la chambre. Elle enfila les vêtements propres, et se laissa tomber sur le bord du lit, assallie de remords et de questions obsédantes. Son ami avait raison : pourquoi avait-elle agit de la sorte? Qu'avait-elle à gagner à aider ces deux intrus, dont le premier avait même d'abord menacé de la tuer? Où tout cela la mènerait-elle? L'incertitude étouffante et une soudaine peur lui firent monter les larmes aux yeux. Mais entendant les pas de Maxime dans le couloir, elle essuya d'un revers de manche son visage et respira un grand coup, se promettant de pas montrer le moindre trouble. Le garçon frappa, puis entra. Et le silence reprit sa place dans l'air frais de la pièce. Cette immobilité silencieuse et gênée dura jusu'à ce que la maîtresse de maison appelle les deux "marmottes" pour le petit déjeuner. Le repas se fit en silence, au grand étonnement de la mère qui était habituée à bien plus d'agitation et de bruit. Puis, prétextant d'aller se promener dans le village et vers le bios, sans trop s'éloigner puisque tout risque n'était pas écarté, ils sortirent, l'air de rien, sous le soleil du matin qui illuminait la nature environnante et les pavés clairs de la route principales. Quand il se furent suffisament éloignés et qu'ils eurent la certitude d'être seuls, Maxime lâcha en bifurquant brusquement sur sa droite :

- Vas-y toute seule, moi je me mèle pas de tes folies!! Et si l'un des deux te tranche la gorge au réveil, faudra pas t'étonner, je t'aurais prévenue! Débrouille-toi, maintenant, j'en ai assez fait pour toi comme ça.

Et il s'en fut sans un regard en arrière, la démarche vibrante d'irritation. Les larmes ne vinrent pas, comme s'y attendait Eleanore. Non, ce fut la colère qui vint à leur place. Bouillonnante, l'insultant de sal lâche, elle fit volte-face et se dirigea droit vers l'hôpital. Ce n'était pas comme ces immenses bâtiments de l'extérieur où se pressent des centaines de personnes, dans un continuel flot de malades et de blessés graves. Non, c'était une simple et vaste bâtisse aux murs d'un blanc immaculée, où logeaient le personnel soignant en service et les quelques rares patients. On y stockait surtout les médicaments et autres baumes que le village produisait. Et c'était cela que la jeune fille allait chercher. Elle connaissait nl'exiqstence d'une petite porte à l'arrière qui débouchait pile dans le local de stockage. De toutes manière, comme il n'y avait jamais de vols, à part peut-être ceux d'enfants inconscients et trop attirés par un bonbon, les inventaires n'étaient que rarement faits, et la disparition d'une infime quantité des ressources ne serait sûrement pas remarquée. Il suffit à l'agile brunette d'un saut de clotûre et d'un habile crochetage de serrure pour pouvoir pénétrer les lieux. Elle fourra dans sa sacoche, prise au préalable, tout ce dont elle aurait besoin, dont du fil et une aiguille, et repartit en ne laissant aucune trace flagrante de son passage. Revenue dehors, elle fut prise de remords, qui furent bien vite balayés d'un geste de la main nonchalant, tandis qu'elle se disait que c'était pour le bien de deux vies humaines. Elle s'enfonça dans la forêt, puis, prise d'une brusque angoisse, elle se mit à courrir le plus vite qu'elle pouvait, pour rejoindre la grotte.

Elle y arriva tout essouflée, mais fut soulagée de voir que les deux blessés étaient encore là, inconscients et toujours à la même place. Elle commença tout de suite par nettoyer les plaies de celui qui avait dû affronter l'ours. Le jeune homme, à la pleine lumière du jour, était d'une beauté solaire, avec sa longue chevelure d'un blond clair qui l'auréolait d'un éclat aux consonnances angéliques. Sa peau pâle fut bientôt vierge de toute trace de sang, et reprit son immaculé aspect de porcelaine fine. La jeune fille n'arrivait même plus à détâcher son regard de ce visage à la pureté et à la finesse inégalées à ses yeux. La perfection sereine de ces traits étaient troublées par un froncement de sourcil inquiet et tourmenté qui y était fixé depuis sa chute dans l'inconscience. Un pli soucieu barrait son front, et pourtant il paraissait l'incarnation même du calme. Il paraissait surnaturel, comme un mirage, un rêve éveillé, qui allait s'évanouir dans les airs d'un instant à l'autre. Et la jeune fille, intérieurement terrifiée à l'idée d'être privée de cette vision, le buvait avidement du regard, troublée jusqu'à plus profond de son être, sans trop savoir pourquoi. Au bout d'un moment, elle réalisa son immobilité, son geste suspendu au-dessus de la plaie de son flanc, et se sentit bête, ridicule. Elle secoua la tête pour chasser cette admiration à la proportion incensée, et finit sa tâche. Puis elle entreprit de recoudre les blessures, qui risquaient, malgré le baume appliqué la veille, de reprendre l'hémoragie à tout moment. Du tréfond de son sommeil, le jeune homme s'agita lorsqu'elle rapprocha les lèvres de la déchirure et planta l'aiguille dans la chair meurtrie. Elle dut attendre un long moment, la main posée sur son front brûlant, qu'il arrête de se débattre, calmé enfin par ce contact frais sur sa peau enflammée par la fièvre. Elle, troublée par ce contact, reprit tout de même sa besogne, s'appliquant à faire en sorte que la cicatrice ne soit pas trop visible par la suite.

Son esprit se troublait, s'emplissant d'un étrange tourbillon irrésistible, qui telle une mélodie mistérieuse et envoûtante, agitait son coeur et ses pensées. Soudain, un grognement s'éleva, la coupant dans son émoi venu d'elle ne savait où. Elle tourna la tête et lança, un grand sourire aux lèvres :

- Bien dormis Jake? Ne t'agite pas trop, tu vas te faire mal...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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21

13. 05. 2008, 21:00

La Lune brillait de mille feux, abreuvant de son tendre aura laiteux le ciel d'encre, constellé des points éparses des étoiles, qui perdues dans cette immensité, étaient en majorité dissimulées derrière le voile opaque des nuages bas, comme de pudiques marquises célestes, n'osant montrer leur éclat de diamant, et dissimulant ainsi leur piquante beauté et leur corps d'argent derrrière la toile veloutée d'un sombre et imposant éventail. Ainsi, la Reine de la nuit régnait sans partage sur les ténèbres de cette nuit déjà bien entammée, illuminant l'univers de l'obsurité de son auguste présence.

Il sentait une odeur, celle du sang, celui de l'absorbeuse, celle qui le guettait. Alors comme ça, elle était assez aveuglée par la rage pour s'approcher aussi prêt alors qu'elle avait perdu du sang... intéressant. Comme quoi, la peur que nos secrets soient dévoilés mène souvent les individus à l'erreur. Cette jeunette avait encore beaucoup à apprendre si elle voulait survivre et monter en puissance. Mais l'heure n'était pas encore tout à fait venue de donner des leçons, encore fallait-il que l'élève soit apte à les recevoir. Et lui n'avait de toutes maières pasq encore envie de mettre un terme à ce petit jeu. Cette partie de "chat" l'amusait beaucoup. Surtout qu'il n'y avait pas vraiment de souris, et que l'adversaire avait tout du comportement emporté et irréfléchi d'un seigneur de bête courroucé, en cet instant où elle se sentait menacée. Oui, encore bien des choses étaient à rectifiées, mais autant profiter de la distraction qu'offraientt les lacunes du moment.

L'absorbeur avait passé la nuit chez le propriétaire du quartier, une de ses connaissances, et lui avait recommandé de ne pas abattre "son cobaye". Son hôte lui avait rapporté que ses hommes, envoyés sur son ordre en ce but, avaient bien localisé l'intruse, évitant ainsi à son invité de longues heures de recherche dans le quartier. Le propriétaire des lieux, ayant demandé la raison d'un tel intérêt (plutôt inhabituel chez l'absorbeur) pour cette inconnue sans renom, avait beaucoup ri en écoutant son ami lui raconter la chose. L'homme était de ces puissants, dénués de méchanceté, qui aiment se rire des autres et dénigrer le monde, tout en débordant de bienveillance par derrière. C'est pourquoi, fort amusé de l'histoire, il avait proposé de venir en aide au "mistérieux conteur", en donnant des ordres très précis à ses hommes, de façon à ce que les choses soient facilitées.

Seulement, les choses n'avaient finalement pas tournées comme il l'aurait fallu, et suite à une attaque plutôt brusque et violente, il avait dû reprendre tous ses effectifs, et enjoindre son ami de partir au plus vite. Maintenant, le territoire n'était plus neutre, encore moins amical, et au moindre faux pas, de graves représailles étaient encourues. Mais c'était une occasion de plus de mettre du piquant à la nuit et de tester plus en profondeur cette jeune femme qui l'intriguait beaucoup, malgré ce qu'il aurait voulu croire. En tout cas, la suite promettait d'être fort intéressante. C'était pendant son sommeil cette fois-ci, que le signe était arrivé. Le phénomène s'était manifesté, comme à chaque fois, et il avait su où aller pour poursuivre son récit. Mais surtout, il avait pu connaître la suite de cette histoire, élément sans lequel il lui aurait été dur de continuer son entreprise, des plus étranges certes, mais capitale, même si le sens devait échapper à beaucoup.

Il avait vu les images, il avait entendu, sentit, ressentit. Le passé avait montré son visage de marbre, s'était défigé, avait pris vie, telle Galaté sous les mains de Pygmalion. La glace des souvenirs tus était devenue soie ondulante, le temps, un moment, avait dévié son cours et était venu se glisser dans la main du vampire, se pliant à une volonté mortelle, lui qui pourtant était censé être des choses les plus indomptables, les plus incontrôlables. Chaque fois que sa non-vie était ainsi effleurée par cette force imprévisible à la superbe divine, le ténébreux brun au regard de fauve tranquille se trouvait pris de frissons, qui l'agitaient et le secouaient jusqu'au plus profond de son être. L'excitation de cotoyer pareille puissance, l'émotion de toucher au cours du temps, comme une langue de sable perdue en plein coeur d'écueils et inaccessible en principe depuis le rivage. Ses yeux bleus vibraient d'une palpitation confuse et joyeuse à la fois, au rythme des battements de son coeur. D'un côté, son côté stratège avait peur qu'un jour cela ne tourne mal, mais une autre partie de lui même s'ennivrait de cette sensation d'omniscience et de liberté intra-temporelle qui envahissait chacune de ses cellules lorsqu'il "voyait".

Ce pouvoir étrange, dont lui-même ne connaissait ni la raison ni la provenance, était devenu comme une arme, un outil, un instinct qui se fait prier, mais qui sauve toujours. Ainsi, il avait su que c'était sur cette place, au milieu de ces humains soumis et impressionnés par cette prestance inhumaine, qu'il devait allé pour continuer son oeuvre. Et il racontait à nouveau, avec l'impassibilité qui lui était coutumière, avec le talent dont il était doté, captivant chaque regard, chaque oreille, avec la poigne d'un maître redouté, mais plus de douceur et de miel encore qu'un charmeur de serpent. Il avait fait en sorte que tout coincide avec sa vision de la journée précédente. Et, à nouveau, tout s'était passé exactement comme il l'avait perçu. Elle s'était posté sur le toit d'un édifice proche, silencieuse et invisible comme une ombre, mais dégageant une odeur de sang qui la trahissait fatalement.

Et lui jubilait intérieurement en la sentant enrager et bouillir. Il savait que bientôt elle allait craquer et abandonner toute prudence. Ses pensées exactes seraient : "Qu'il aille au diable ce chien! Je ne me laisserais pas bafouer de la sorte plus longtemps!". Seulement, elle ne savait pas la surprise qu'il lui réservait, une petite carte dans sa manche, qui la mettrait totalement hors d'elle. La rage l'aveuglerait, et elle ne verrait pas venir la menace dans son dos, elle ne prêterais pas attention aux alarmes de son intuition, et elle se laisserait prendre comme une nouvelle-née. Il savourait déjà de voir sur son visage séraphique ce rictus haineux et débordant de fureur qui allait succéder à la surprise. Les réjouissances n'étaien pas encore finies. Il avait encore l'intention de se distraire un peu, de chercher plus de certitudes. Le moment n'était pas encore venu d'agir à découvert. les signes ne s'étaient pas encore prononcés, il faudrait attendre le bon vouloir des dieux. Et eux seuls savent à quel point il peut être long à venir...

Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

22

20. 05. 2008, 20:47

Les semaines passèrent, lentement, et la fuite monotone et sans hâte du temps, qui obstinément défilait à une vitesse plate et morne, semblait devoir garder ce rythme fade pour toujours. Jake s'était vite remis de ses blessures. Externes tout du moins, et il n'était pas retombé dans l'inconscience depuis qu'il s'était éveillé, le second jour. La jeune fille lui avait fourni, vêtements, nourriture, soins, et il s'était peu à peu rétabli, dans l'ombre brune de la grotte, à l'abri de l'étouffante chaleur du dehors. En effet, c'était l'été qui commençait à envahir la nature, avec son soleil brûlant, sa chaleur écrasante, sa végétation luxuriante et sa vie grouillant à toute heure du jour et de la nuit. La grotte avait été aménagée pour pouvoir procurer les traitements nécessaires aux deux jeunes gens : une pile de couvertures dans un coin, les nuits se faisant tout de même encore un peu fraîches, une petite malle pleine de baumes et de médicaments en tous genres, deux couchettes à même le sol, un foyer de pierre, où la viande grillait, et où le feu venait réchauffer et éclairer un peu l'air nocturne. Certes, l'installation était des plus rudimentaires, mais c'était tout de même un confort qu'ils n'auraient jamais pu avoir en d'autres circonstances.

Le bel ange blond, comme elle ne pouvait s'empêcher de l'appeler intérieurement, était lui, en revanche, rester dans cet état comateux dans lequel il était tombé suite à sa trop importante hémorragie. Aucun frémissement ne venait faire palpiter ses paupières pâles de statue plongée dans un éternel sommeil de marbre. Seules le frémissement de ses veines et sa lente respiration prouvaient que la vie habitait encore cette enveloppe charnelle à la beauté trop pure et trop parfaite pour paraître totalement réelle, ou même seulement mortelle. Son teint d'albâtre était comme un transparent linceul qui laissait paraître, à travers son funeste voile neigeux, la limpidité d'une splendeur froide, éteinte dans ce qui semblait être une mort impavide. Et pourtant, le cœur battait toujours dans cette poitrine, la vie coulait encore dans ces artères. Et Eleanore n'attendait qu'une chose, bien qu'elle eut des réticences à se l'avouer : que la lourde tenture noire de ses cils charbonneux s'ouvre, et qu'enfin elle puisse voir briller l'âme au fond de son regard.

Maxime refusant de venir avec elle, et étant de plus en plus distant, la compagnie de Jake lui était particulièrement agréable, et d'un certain réconfort. Le solide jeune homme, un peu bourru, doté d'un tempérament bouillant, rendait les journées moins monocordes. Au départ bien sûr, il avait eu quelques réticences, un regain de méfiance, mais très vite, il avait bien dû avouer que cette "campagnarde" était l'innocence et la sincérité incarnée, en comparaison à tout ce qu'il avait pu connaître à ce jour. Il l'avait alors considérée comme une alliée, puis comme une amie. Seulement voilà, il ne savait que faire : lui avouer la raison de leur présence sur les lieux, se taire et attendre le réveil de son compagnon, tenter de contacter le troisième, la tuer. Cette dernière possibilité, bien qu'elle le dégoûtât profondément à présent, était tout de même encore envisageable, puisque les enjeux étaient énormes, et que ses coéquipiers n'étaient pas du genre à laisser des traces de leur échec derrière eux, encore moins pour une "pseudo-amitié", même au prix de la vie d'une personne qui aurait peut-être permis leur réussite finale. Son regard de fougère incrusté d'un or fauve changeant la regardait à la dérobée, rongé par un acide qui suintait de son indécision et de ses doutes à grandes ondes fluides le long des ombelles brillantes et ondulantes de ses iris. Il s'en voulait, malgré tout ce qu'on lui avait appris sur le danger des états d'âme, malgré ce qu'on lui avait inculqué sur toute l'importance de la réussite d'une mission. Il n'arrivait pas à rester froid et déterminé, il déviait fatalement de son objectif, à chacun de ses sourires inondant de lumière, à chacun de ses regards flamboyants regard qui vous ébranlaient l'âme par leur franchise et leur piquant, par cette lueur singulière qui allumait des étincelles dans le flot froid de ses yeux d'iceberg, au regard pourtant si ardent. C'est pourquoi, il en était revenu à ses vieux principes. Jake avait décidé d'attendre, le destin déciderai entièrement à sa place, ainsi il n'aurait pas à s'en vouloir, les choses seraient comme elles devraient être.

Et les jours passaient, un lien étroit se tissait entre les deux jeunes gens, par la simplicité totale de l'un, et par la nature-même de l'autre. Eleanore, bien qu'égayée par cette amitié naissante, n'en était pas moins blessée pour ce qui était de son compagnon de toujours, qui ne lui adressait plus la parole qu'en de rares occasions. Mais se disant qu'elle avait son choix, celui de venir en aide à ces deux inconnus en suivant son instinct, le bon choix, elle ne forçait pas l'adolescent, et le laissait dans son mutisme volontaire, qui pourtant au fond lui faisait mal au cœur. Mais en comparaison de ce remord taraudant qui glissait autour d'elle tel un fantôme invisible et bruissant, l'angoisse de ne jamais voir le second inconnu s'éveiller était bien plus obsédante. Pourquoi, elle ne le savait pas elle-même, elle n'arrivait pas à se l'expliquer. Alors elle se disait que c'était simplement parce qu'elle ne voulait pas voir quelqu'un mourir "par sa faute", car il était certain qu'elle se serait sentie responsable. Un jour, alors que presque deux semaines déjà avait passées, elle posa la question qui lui brûlait la langue depuis plusieurs jours :

-Quel est son nom?
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

23

20. 05. 2008, 20:52

C'était sorti d'un coup, comme une bonde qui lâche sous trop de pression, un bouchon qui aurait sauté sous la force de son envie trop impatiente. L'autre sourit, un air amusé sur son visage au teint devenu doré par le soleil estival. Il lui semblait deviné une admiration male dissimulée, un trouble qu'elle n'arrivait pas à cacher entièrement, dès qu'il s'agissait du blond jeune homme.

- Je ne sais pas si je vais te le dire…

Le rictus moqueur qu'il affichait la fit bouillir et elle lui sauta dessus, tandis que lui s'esclaffait et la repoussait d'un seul bras. Sa faiblesse des premiers jours avait bel et bien disparue, et il n'était même plus pensable qu'elle le battit en utilisant la force, c'eût été prodigieux. En revanche, une chose lui donnait encore pour quelques temps le dessus sur lui : elle savait exactement où il avait mal, où les traumatismes dus à son passage de la Faille n'étaient pas tout à fait résorbés. Elle appuya sur une de ces zones, lui arrachant, victorieuse, une grimace douloureuse tandis qu'il chutait, et que, comme au premier jour, elle se retrouvait sur lui, l'immobilisant tout à fait par son poids et la pression sournoise qu'elle lui infligeait.

- Tu ne penses pas que c'est un petit peu excessif comme traitement? Souffla-t-il en serrant les dents. Je suis censé être en convalescence et toi tu me maltraite!! Quel piètre soigneuse tu fais…

Elle éclata de rire et lui lança que c'était aussi pour toutes les âneries qu'il lui déballait à longueur de journée. Ne se retirant pas le moins du monde pour autant, elle exigea sa réponse.

- Notre joli angelot, qui est loin, très loin d'en être un, porte le mAgnifique prénom, très courant, de Phobhos.

Elle le dévisagea un instant, puis sans mot dire s'enleva et l'aida à se relever, alors qu'il tâtait prudemment son abdomen douloureux. Songeuse, elle se dirigea vers l'entrée de l'antre, vers la lumière diluvienne du soleil qui se déversait par torrent sur la pierre claire du sol au-dehors. Quel étrange prénom… C'était comme si au son chantant de ces deux syllabes, une corde mélodieuse avait vibré. Puis, sous les insistantes boutades du "tas de muscles", comme elle l'appelait pour l'énerver et parfois lui faire remarquer son manque de réflexion, la gracieuse brune aux yeux de pervenche colla de nouveau un sourire rayonnant sur ses lèvres, et répondit avec son mordant moqueur habituel. La journée passa doucement. Ils n'avaient plus besoin de se cacher, les villageois ayant réduit leurs rondes et presque stopper les recherches, pratiquement convaincu d'une fausse alerte. La barrière de sécurité avait été réparée, et à nouveau ce petit monde dissimulé se sentait en sécurité. La vie avait repris son habituel rythme paisible et chantant, en harmonie avec les dieux. La seule chose qui avait changé aux yeux de tous, c'était l'amitié qui unissait les "deux inséparables". Mais même cette étrange car subite différence finit par ce fondre dans les habitudes, et personne ne se posa de questions bien longtemps. La vie avait repris son cours, et plus rien ne laissait présager le funeste destin de Träumerei, monde trop paisible pour exister en accord avec le reste de la Terre, rêve éphémère par son aspect trop idéal, qui devait disparaître à jamais.

Le soir, alors que les deux jouvenceaux étaient assis devant la grotte, qui devenait gouffre noir au couché du soleil, un grognement rauque les fit sursauter. Ils se retournèrent de concert, s'attendant au pire. Puis, Eleanore bondit sur ses pieds, tremblante, et se rua à l'intérieur. Oui, ça y est, enfin, il s'était éveillé.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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25. 05. 2008, 17:59

Un son étouffé, un rire peut-être, cristallin et chantant, mêlé à un bruit d'eau, mélodieux et ondoyant, les deux se mêlant en une symphonie sublime et délicate, tel un chant de rossignol un chaud matin ensoleillé. Une vague odeur, un discret parfum de terre chauffée par un sec et brûlant soleil d'été. Le léger poids d'une araignée courant sur sa main. Lentement, il se sentait émergé du gouffre noir où il était tombé. Petit à petit, il reprenait ses esprits, avec l'impression très désagréable d'avoir dormi pendant une éternité. Au travers de ses paupières encore lourdes, il percevait une douce clarté, à la fois proche et lointaine. Peut-être en fait n'était-il pas revenu dans le monde qu'il croyait…
Il sentait que son corps était affaibli comme jamais encore, que ses membres étaient gourds, son front couvert de quelque chose d'humide et froid. Bientôt ses souvenirs se désembuèrent, et ses pensées commencèrent à se démêler dans son esprit qui jusque là avait du mal à raisonner. Il sortait du néant dans lequel il était plongé depuis des jours et des jours déjà.
Le jeune homme ouvrit lentement les yeux, papillonnant, battant vivement des paupières. Mais sa vue restait floue, il ne voyait qu'une immensité sombre, sur sa droite un halo blanc, à la lumière drue, qui l'aveuglait encore plus. Il tenta de se redresser, en s'appuyant sur ses coudes, mais à peine avait-il relevé la tête, qu'il retomba avec un râle de douleur. Une chose au moins était sûre : il était bel et bien vivant.
La tête lui tournait, l'image floue qu'il avait de son environnement tournait vertigineusement. Sa bouche sèche, sa gorge brûlante, il n'arrivait pas émettre le moindre son intelligible. Il referma les yeux, pris une profonde inspiration, et tenta de se rappeler nettement. Où était-il déjà? Ah oui, en mission, dans un périmètre classé noir. Pourquoi avait-il aussi mal? Les terribles griffes du monstrueux plantigrade lui revinrent en mémoire. Mais où pouvait-il bien être, pour qu'il ne sente pas le contact humide et meuble de la terre sous ses mains, pour qu'il ne toucha que de la roche sableuse, pour qu'il se retrouva ainsi dans l'obscurité, sous ce qui semblait être une couverture? Aucune réponse ne lui vint à l'esprit. L'affaiblissement de son corps, l'incertitude, tout ce brouillard, bien que moins dense déjà, qui lui obscurcissait l'esprit, firent naître en lui une étincelle de panique. Le jeune homme d'habitude si maître de lui-même, si calme et si flegmatique, fut envahi par une peur poignante, qui lui enserra les entrailles avec une poigne de titan.
Un contact frais et doux vint mettre un terme à sa tentative de remise en ordre de son esprit, et aviva cette crainte naissante. Guidé par cette subite détresse, il commença à se débattre, agitant autant que lui permettait la douleur ses membres meurtris. Totalement désorienté, il ouvrit brusquement les paupières, cherchant du regard ce qui pouvait bien être à l'origine de cette sensation apaisante, qui pourtant faisait s'accélérer les battements de son cœur sous le joug de cet égarement.
Un visage se dessina, peu à peu, tout d'abord un contour harmonieux, puis des modelés délicats, des couleurs plus vives, moins sombres. Sa vue redevint nette, brusquement, ajoutant encore à son trouble. Et il put contempler la personne qui s'était penchée au-dessus de son visage, et qui semblait elle aussi le dévorer des yeux.
La sourde angoisse qui commençait à lui enserrer la poitrine se stoppa dans sa conquête. Il s'immobilisa, haletant. Il retint son souffle, et plongea son propre regard dans les yeux de la jeune fille qui le contemplait avec un air troublé. C'était comme deux fenêtres qui s'ouvrait sur une mer de glace. Comme ces ciels à la pureté divine qui planent, cristallins, au-dessus des océans profonds et embrumés. Deux fragments d'iceberg perdus loin de leur natal pays arctique, venu s'égarer dans les ténèbres de roche brune de l'endroit, au milieu de cet ovale d'albâtre à la forme tendre et fine.
C'était bien la dernière chose à laquelle il se serait attendu. La raison reprenant progressivement le dessus, il resta là, immobile, cherchant une raison à cette présence féminine, essayant de reprendre son calme.


Eleanore ne bougeait pas. Elle restait perdue dans la contemplation de ces yeux, qui tels deux lambeaux de voûte céleste par un après-midi ensoleillé, la fixait avec une intensité qui la troublait. Depuis que ces deux paupières pâles s'étaient soulevées pour révéler enfin le trésor qu'elles dissimulaient, la beauté rayonnante du jeune homme semblait irradier plus encore, comme portée à son apothéose par ces deux myosotis au cœur sombre qui luisaient doucement dans les ténèbres tièdes de la caverne.
Elle était restée saisie, devant lui, n'osant prononcer un mot, laissant simplement sa main sur son front encore brûlant. Et désormais, tous deux comme pétrifiés, ils se dévisageaient, sans un mot, sans un souffle, seuls dans l'immensité de leurs regards, captivés par la flamme bleue des iris de l'autre.
Le bruit des pas de Jake qui arrivait ne sembla pas les atteindre dans leur contemplation. Le jeune homme, quelques mètres plus en arrière, les observait en silence, intrigué par cette absence de sons et de mouvements. Il les voyait, leurs visages à quelques centimètres à peine l'un de l'autre, lui avec une expression étonnée, un air de peur figé qui peu à peu se transformait en une mine irrésolue, le front plissé d'une ligne soucieuse, et elle, troublée, tout simplement, fascinée, comme envoûtée par ce visage racé, le buvait du regard, hypnotisée.
Même le doux bruit de l'eau à l'extérieur semblait se taire, le chant des oiseaux ne parvenait plus à leurs oreilles. Le temps paraissait s'être figé lui aussi. Tout s'était immobilisé.
Jake mit fin à ce tête-à-tête silencieux et figé d'un raclement de gorge. Le musculeux jeune homme s'approcha à son tour, et s'étant agenouillé auprès de son compagnon, il lui sourit.
- Tu en as mis du temps, dis-moi! Quand je pense que c'est toi qui me disais qu'il fallait s'habituer au manque de sommeil… je crois quela prochaine fois tu pourras t'abstenir! S'esclaffa-t-il.
L'autre, ayant enfin détourné son regard d'Eleanore, le regardait avec un air de profonde incompréhension. Elle, s'arrachant à sa contemplation, souriait, en regardant les deux autres.
- Qui est-ce?
Phobhos avait repris totalement ses esprits, avec la rapidité et l'efficacité qui lui était coutumière. Déjà, il se posait les questions essentielles, échafaudait des hypothèses et les plans qui allaient avec chacune. Le jeune homme avait mis de côté son trouble, sa douleur, et s'imposait avec force l'état d'esprit auquel on l'avait conditionné : celui d'un agent de terrain, celui d'un espion, celui de quelqu'un qui arrive à se sortir de toutes les situations, celui d'un tueur.
Habitué à ce comportement froid, Jake sourit, rassuré sur l'état du bel éphèbe.
- Eleanore, la personne à qui nous devons tous les deux la vie.
S'en suivit le résumé de tout ce qui s'était passé. Phobhos, imperturbable, écoutait en silence, analysant les informations, réfléchissant ardemment.
Eleanore, ne se sentant pas à sa place, gênée par la froideur du blessé, se releva pour aller chercher une nouvelle compresse, sans un mot, laissant seuls les deux étrangers, préférant s'éloigner. Sautant sur l'occasion, Jake murmura vivement à l'oreille du jeune homme à terre, tellement bas qu'il était impossible que la Träumerish l'entendît :
- Aucune nouvelle de lui. Il n'a donné aucun signe de vie. Il semblerait également que l'endroit soit totalement dénué de forces armées efficaces. En revanche, je crois bien qu'il va être très difficile de ressortir d'ici… nous n'avons plus ni armes, ni équipement particulier, et le seul soutien que nous ayons ici pour le moment, c'est elle.
Phobhos le fit taire d'un signe de tête. Il n'avait pas besoin d'en savoir plus pour le moment. De toute manière, il avait déjà un plan. Il fallait juste attendre qu'il se rétablisse. Ensuite, si tout se passait comme il l'entendait, ils pourraient rentrer à la base sans trop de problème. Et comme il ne laissait jamais les évènements différer de ce qu'il attendait, il n'avait aucun doute sur leurs chances de réussite. Oui, il allait rattraper ce lamentable échec, et les ramener au moins tous les deux en vie, Jake et lui.
La présence de ce dernier, en bonne santé, le rassurait. Il n'aurait jamais eu la force et le courage de continuer sans lui. Que son seul ami soit mort par sa faute, et il aurait jeté très facilement dans la boue toutes les responsabilités et tous les principes qu'ont lui avait inculqué, et auxquels il restait pourtant fidèle en toutes circonstances. Mais maintenant qu'il n'avait plus de souci à se faire de ce côté-là, il pouvait à nouveau raisonner correctement en tant qu'agent en mission, sans émotion, sans état d'âme.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

25

11. 06. 2008, 17:45

Les jours avaient continué à passer, le soleil tapait de plus en plus fort sur les têtes et les toits, le vent paresseux de nature en cette aride saison, dispensait bien mollement sa fade tiédeur. Le bourdonnement des insectes raisonnait dans l'air, symphonie vrombissante et craquante que venait ponctuer le petit triangle clair des cigales tintantes. Les arbres vénérables élevaient fièrement leurs ramures chargées de verdure et de fruits dont le nectar sucré et suave faisait le délice des oiseaux aux couleurs estivales qui venaient s'y désaltérer un peu dans l'ombre vivifiante. Le verdoiement tantôt ombré tantôt éclatant sous la vive lumière du roi de l'été, formait une mosaïque émeraude à l'éclat pétillant et pur qui aveuglait les yeux par sa beauté végétale. Le doux glouglou d'un cours d'eau venait s'ajouter à la mélopée incessante des petits animaux ailés, entremêlant comme un enchanteur bruissement de harpe à la mélodie.
Tout paraissait paisible, heureux, rayonnant de bonheur.
La paix bienheureuse de cet Eden verdoyant n'était pourtant pas complète. En effet, dans la caverne, l'ambiance n'était pas des plus chaleureuse. Ce jour-là, une semaine après le réveil du beau jeune homme blond, Eleanore avait craqué. Impressionnée ou pas, intimidée ou non, elle ne pouvait plus supporter pareille situation.
Sept jours auparavant, Phobhos avait enfin ouvert ses deux yeux d'un bleu ciel froid, et avait posé pour la première fois son regard perçant sur la jeune fille, où elle avait pu plonger et lire un mélange étrange d'étonnement et de fascination involontaire. Il avait paru tellement innocent et fragile en cet instant… Depuis, ça n'avait plus été que coups d'œil aussi glacé que la couleur des iris et rictus méprisants.
Il s'était doucement complètement remis de ses nombreuses blessures, pour finir par retrouver toute sa force et sa vigueur. Mais ses lèvres ne s'étiraient pas plus, et son regard n'était pas plus lumineux. Il était aussi riant et chaleureux qu'une statue de marbre, dont il avait d'ailleurs la beauté et la majesté, ainsi que la froideur.
Comment pouvait-on être aussi glacial en permanence, et faire frissonner les gens d'un simple regard, malgré la chaleur étouffante qui régnait? La Träumerish ne comprenait pas. Ses paroles lorsqu'il lui parlait, étaient comme des poignards, et jamais il ne l'avait regardée dans le blanc des yeux, comme un prince trop précieux pour se rabaisser au niveau d'une simple petite paysanne. Ce comportement hautain l'avait mise hors d'elle, et chaque fois elle s'était promis de lui expliquer sa façon de penser sur les "petits prétentieux ingrats et méprisants" dans son genre. Rien de bien inhabituel chez elle. Mais jamais, pas à un seul moment elle n'avait réussi à ouvrir la bouche et à cracher son fiel. Chaque fois, elle restait figée, glacée par ce dédain et cette froideur. Et elle avait été plus blessée encore de ne pas arriver à le remettre à sa place. Et pourtant, à chaque remarque acide, à chaque silence pesant, malgré le vent de révolte qui lui soulevait la poitrine, elle s'était tut, se contentant de vriller de la flamme bleue de ses yeux le bel éphèbe, un désespoir sourd et incompris lui taraudant le cœur. Jamais personne jusque-là n'avait réussi à l'empêcher de s'exprimer, surtout quand il s'agissait d'un désaccord, pas même le chef du village ou ses parents. Mais lui, d'un simple regard du coin de l'œil, même simplement d'un souffle, il bloquait les mots dans la gorge, laissant gonfler la rage et le sentiment d'injustice dans le cœur de la jeune fille.
Et cette dernière avait fini par exploser, quand la goutte qui avait fait déborder le vase était tombée. Et les débordements, pour Eleanore, n'étaient pas juste quelques reproches lancés de vive voix. Non, cela tendait plus au hurlement courroucé, et à la gifle cinglante.
Et pour une fois, l'intelligence vive et le charisme imposant de l'agent de terrain n'avaient été d'aucun secours, contre ce flot tumultueux de remontrances et d'injures mêlées, pour le moins justifiées. Devant tant de conviction et de détermination, même lui était resté sans voix. D'habitude, les gens ne se permettaient que très, très rarement de lui communiquer leur désaccord. Encore plus rarement de le lui hurler. En fait, cela ne lui était jamais arrivé. Et quand il avait senti le fouet de la gifle sur la peau de pêche de sa joue, violent et innatendu, et que la jolie brunette au tempérament de feu s'était mise à vociférer qu'il n'était qu'un sal petit prétentieux crétin et impertinent, il n'avait rien pu faire d'autre que d'ouvrir grand la bouche d'un air indigné en une protestation silencieuse. S'il s'était attendu à ça…
Jake, à côté de lui, avait reculé d'un pas, ses yeux allant d'Eleanore crachant sa rage, à Phobhos qui se prenait pour la première fois un tel affront dans la figure. Et le grand brun avait de quoi s'inquiéter, certains étant morts pour bien moins que cela.
Trop étonné et interloqué pour réagir, Phobhos s'était vu traité ensuite de gros hypocrite, d'elfe avec manières et Q.I d'ogre, ainsi que de petit tyran imbu de sa personne et qui se croyait tout permis. Elle s'était offusquée, avait hurlé à l'injustice, avait clamé son incompréhension quant à ce comportement qu'elle qualifiait d'injustifié et de cruel. Elle avait tempêté qu'elle ne méritait pas qu'il la traitât de la sorte, comme une vulgaire esclave trop insignifiante et écœurante pour mériter le moindre égard. Elle avait demandé en quoi il trouvait juste, ou même seulement un tantinet respectueux de la traiter comme son chien.
Durant plusieurs minutes qui s'écoulèrent à une vitesse endiablée, elle vida sa rancœur, tandis que lui, ayant perdu son air de grand souverain tout puissant, paraissait totalement décontenancé.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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26

11. 06. 2008, 17:45

Enfin, à bout de souffle, elle arrêta de le tancer vertement, pour mieux le fixer avec un regard à la fois assassin, triste et blessé. Et un silence pesant s'écrasa sur les épaules, étouffant jusqu'au bourdonnement incessant du dehors. Bientôt il reprit son masque marmoréen, et la regarda à son tour bien dans les yeux, de nouveau impassible, attendant qu'elle renonce et plie devant son regard, comme chaque fois. Mais elle, bien décidée à ne plus succomber devant ces célestes cercles bleus, ne cillait pas, la tête haute, dans l'attente d'excuses qu'elle comptait bien obtenir. Et Jake, lui, ne voyait pas du tout comment sortir de cette situation, qui était une belle impasse. Comme il les connaissait, aucun des deux ne céderait à l'autre, et on risquait de rester ainsi pendant un bout de temps encore. Seulement, il ne se voyait pas intervenir, sous peine de subir les foudres des deux antagonistes à la fois. Vraiment, tout n'allait pas pour le mieux, et Phobhos ne faisait rien pour arranger les choses. Son coéquipier avait beau être le cerveau de l'équipe, un fin stratège et un brillant guerrier, son entêtement n'avait d'égal que son orgueil et son mystère. Et pour le coup, c'était réellement un gros problème.

Peu après son éveil, le beau blond avait communiqué ses projets à Jake. Un plan efficace, qui n'avait d'autre but que de les sortir de ce beau pétrin dans lequel ils étaient enfoncés jusqu'au cou. Un plan qui lui avait tout de suite déplu, par son côté trop… froid et sans pitié, dira-t-on. Mais il avait bien dû plier devant Phobhos, car il savait pertinemment que ce dernier avait raison. C'était soit ça, soit ils devaient rester cachés là-bas, comme des rats au fond d'un puits, dans l'incapacité d'agir. Et malgré l'affection qu'il avait pour Eleanore, Jake se devait de rentrer à la base, là où était son destin, son devoir, et Phobhos. Ce dernier savait d'ailleurs très bien que son compagnon ne résisterait pas longtemps et se rangerait bien vite de son côté. Et le plan avait été mis en route. Seulement voilà, les choses ne se passaient pas comme prévu, la jeune fille ne réagissait pas comme il l'aurait fallu. Décidément, elle semblait née pour faire sortir le bel ange marmoréen de ses gonds, ce dont peu de personnes pouvaient se venter, ce dernier étant plus prompt à la réaction froide et efficace qu'à la colère brutale et à la frénésie.

Maintes fois, Phobhos avait pesté et maudit cette insignifiante jouvencelle qui l'empêchait d'accomplir sa mission. Mais il n'avait laissé paraître quoi que ce fût, restant glacial, dédaigneux et plus que distant, pour que l'attention et l'affection de la Träumerish restassent focalisées sur Jake et ses beaux yeux de fougères.

Mais rien n'y avait fait, cela ne marchait pas, et désormais elle l'invectivait sans vergogne et le bravait avec une audace qu'on ne lui avait encore jamais opposée. Vraiment, cette fille ne savait pas à quoi elle s'exposait, et Jake craignait l'instant où Phobhos craquerait et mettrait fin à ses jours innocents d'une manière ou d'une autre. Il le savait capable d'un tel acte pour pareille raison, et c'est bien cela qui l'inquiétait, parce que sans elle, ils étaient fichus.

Eleanore, loin de penser à de telles conséquences, restait campée dans ses positions, fermement décidée à montrer à cet étranger que l'on ne bafouait pas ainsi ses hôtes et que l'on ne la traitait pas comme une servante à volonté, sans la moindre résistance. Elle le défiait du regard, avec impertinence et provocation, les deux icebergs de ses yeux brillant de colère, mais aussi de jubilation, de le voir enfin sans voix ni sarcasmes cuisants. Et dans l'azur en face, naissait l'orage, grondait le tonnerre, menaçait la foudre.

Et dans ce silence des dieux, l'immobilité des lèvres et des cœurs, la stupeur rageuse, laissèrent place au néant de l'esprit, à l'infini de l'âme, au règne de l'éternel évanescent. Un instant, un seul, mais comme une immortalité vécue soudainement, un éphémère éclair sans fin, un sentiment infini traversa le fil invisible de leurs regards, fugace et insaisissable. Le temps d'un souffle, l'immensément grand, l'insondable gouffre inconnu s'ouvrit sous leur pieds. Et chacun plongé dans le trou noir de l'autre, leur respiration interrompue, ils contemplaient, infiniment insignifiant de s'opposer, cette fugitive vérité, leurs visages dénués de toute expression de courroux ou de haine, simplement peints d'un absolu saisissement. Commença à ce dessiné le contour d'une évidence insensée et improbable.

Mais toute vérité n'est pas acceptée. Les vérités non acceptées font peur. La peur fait fuir. Fuir, c'est ne pas avoir de courage au bon moment. Le courage, c'est d'avoir peur, d'accepter sa peur, et de combattre, de rester quand même. Le courage manqua, et le lien se brisa, après cette précaire seconde d'éphémère impérissable.

Phobhos avait toujours eu peur de l'incontrôlé. Et cette sensation qui l'avait envahi était pour lui grande source d'incertitude et d'angoisse. Qu'était-ce? Alors, réunissant toute sa volonté, en appelant à toutes les valeurs d'impassibilité, d'insensibilité, de force de caractère ainsi que d'esprit, et de détermination qu'on lui avait inculquées, il avait rompu cet étrange contact visuel, qui l'avait ébranler profondément. Mais une fois n'est pas coutume, si peu ne le perturba pas plus longtemps. Vite, son esprit se remit en marche, et trouva une solution à ce mur que lui opposait cette opiniâtre jeune fille. Elle ne voulait pas de Jake pour briseur de cœur? Très bien, elle l'aurait voulu. Il n'aurait pas de pitié. Le résultat serait le même pour les deux agents. Et elle, finirait là où elle devrait finir, que ce soit morte ou vive.

Modulant son expression, il sourit, et, se pliant d'une légère révérence, il déclara, sa voix soudain bien plus suave, attrayante et charmeuse, une expression prévenante et douce sur son beau visage racé, ainsi qu'un léger air gêné instauré par un irrésistible plissement de ses fins sourcils :

- Pardonne-moi si je t'ai blessée, vexée, et courroucée. Pense bien que j'en suis tout à fait désolé! Mais comprend un instant ma mauvaise humeur et mon comportement acariâtre : je suis prisonnier loin de chez moi, à peine remis de graves maux, en un territoire ou seulement deux personnes ne me veulent pas de mal. Mais il est vrai que j'ai manqué à beaucoup de devoirs, et il est juste que tu m'en tiennes rigueur. Encore une fois, pardon…

Et il redressa seulement la tête, en un gracieux mouvement, la regardant d'en bas, un ravissant sourire étirant des lèvres fines, un lueur d'affliction attendrissante dans le regard.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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27

08. 08. 2008, 21:52

Enfin, l'air s'était fait moins lourd. La chape des silences glacés et des remarques acides s'était levée, laissant respirée Eleanore. Peut-être était-ce ingénu, mais elle avait l'impression que tout allait pour le mieux depuis, comme si son cœur ne pouvait battre qu'au rythme de celui du jeune homme.

Le givre de son visage d'ange avait fondu comme neige au soleil, laissant glisser sur ses lèvres fines l'onde de sourires ensorceleurs. Juste un léger mouvement du coin de la bouche, un sourire en coin qui aurait fait se liquéfier des montagnes. Ses paroles étaient passées de fiel à miel, et les cisailles acérées de ses mots s'étaient faites flûte au doux son enchanteur. Bref, il ne faisait plus seulement que ressembler à un ange tout droit descendu du ciel.

La seule chose chez lui qui semblait vouloir démentir cette amabilité charmeuse, qui obscurcissait le rayonnement qui émanait de lui, était ses yeux. Oui, semblables au premier jour. Deux lambeaux de voûte céleste, froids, cerclant deux puits de néant aux profondeurs insondables, et qui pouvaient vous glacer le sang d'un seul regard. Deux cercles entourant des pupilles ténébreuses où luisait toujours le défi, auréolé d'un halo persistant de mépris mordant.

Et la jeune fille, malgré ses efforts pour ne pas penser à ces yeux à la fois envoûtants et sinistres, ne pouvait s'empêcher d'y cogiter à longueur de journée, chaque fois que son esprit avait l'occasion de vagabonder. Et nombreuses étaient ces occasions…

Dès le matin, lorsqu'elle se levait, l'esprit encore embrumé de rêves étranges, et qu'elle devait aller arpenter les rues pour que personne ne s'inquiète de son absence durant la journée, lorsqu'elle ressortait du grenier à nourriture et du garde-manger de la maison, les bras pleins de victuailles fraîchement dérobées, lorsqu'elle allait jusqu'au chêne centenaire à la sortie du bourg, au creux duquel elle dissimulait son butin, quand elle retournait saluer des connaissances avant de prendre la route de la grotte, chargée de la nourriture subtilisée, qu'elle montait la pente qui menait au refuge des deux jeunes hommes. À ces moments-là, le doute l'assaillait, lancinant et insidieux.

Mais quand elle arrivait là-haut, quand elle le voyait, chaque matin, assis sur une pierre devant l'entrée, ou en train de plonger dans l'eau encore fraîche du point d'eau, les muscles de son torse luisant d'eau fraîche et ses longs cheveux d'or pâle collant à ses joues et à ses omoplates, ses incertitudes s'envolaient comme une nuée de sinistres oiseaux.

Mais une autre paire d'yeux étranges la fixait dans l'ombre, emplie de soupçon. Les yeux d'une personne qu'elle avait bien tort d'avoir oubliée. Un homme qui, à l'inverse du reste des Träumerish, savait ce qui se tramait, un homme qui connaissait les augures, qui savait quel sinistre destin attendait ce monde blotti au creux du ventre des cieux.

Le soleil de plomb semblait vouloir faire bouillir le monde ce matin-là. Malgré l'heure matinale, la température était déjà élevée, et l'air était lourd dans les rues pavées du village. Il voyait la jeune fille marcher devant lui, l'air le plus innocent du monde illuminant ses traits fins. Il la suivit, attendant qu'elle se soit tout à fait éloignée des habitations. Et alors qu'ils approchaient du vieux chêne, il s'arrêta, et lança vertement :


- Petite sotte!! Crois-tu vraiment que ce village n'est peuplé que d'imbéciles aveugles et sourds? Croyais-tu vraiment que ton petit manège passerait inaperçu longtemps? Tu me déçois beaucoup jeune fille… Moi qui pensais avoir trouvé, parmi ce ramassis de benêts, une élève digne de mon enseignement… Tu me vois bien sombre de constater que mes leçons ne t'ont servi à rien, et que ton crâne reste irrémédiablement aussi vide que celui des moineaux!

La Träumerish s'était stoppée net, une expression de stupeur sur le visage. Lentement, elle se retourna, pour faire face à celui qui la tançait de la sorte.

C'était le seul homme pour qui elle éprouvait un total respect, le seul également qui lui faisait peur. Un vieillard plus chenu que les pavés battus par la pluie, à la peau mate aussi sèche et plissée qu'un vieux papyrus. Ses bras noueux et épais comme les branches d'un antique chêne tenaient un grand bâton qui semblait leur prolongement et sur lequel le vieil homme s'appuyait. Son teint parcheminé, basané, halé par le soleil et les ans, donnait l'impression qu'il allait s'effriter au moindre souffle du vent, et pourtant son torse large respirait la force de ceux sur qui le temps n'a plus de réel pouvoir. Une longue crinière de cheveux fins et blancs comme neige tombait sur ses fortes épaules, encadrant un visage buriné monté sur un cou de taureau. Mais le plus troublant chez cet ancêtre qui dégageait une aura de force sage et dure, était ses yeux. Des yeux morts, recouverts du voile de la cécité, deux yeux au regard blanc, qui pourtant avait le tranchant de la plus affûtée des lames, et la profondeur de ceux qui lisent dans le livre des âmes.

Sa bouche tordue était barrée d'une fine cicatrice blanchâtre qui partait du milieu de sa joue droite jusqu'à la pointe opposée de son menton. Ce dernier détail donnait un air peu avenant à ce visage déjà émacié à l'expression peu engageante.


Mais Eleanore savait bien qu'il n'avait rien de méchant, malgré sa rudesse et sa dureté. C'était un ermite bougon, qui savait l'art du combat aux armes blanches et à mains nues. Il n'avait jamais accepté qu'une seule élève, elle. Et l'apprentissage du vieillard n'avait rien de tendre.

Pourtant, il avait conscience que cela n'aiderait pas beaucoup la jeune fille dans ce qui l'attendait. Mais mieux valait ça que rien.

- Petite idiote! Voilà des semaines que tu n'as pas mis les pieds dans ma hutte, et tu croyais vraiment que j'allais te laisser batifoler allègrement avec un étranger mignonnet et son joyeux compagnon, qui sont aussi bêtes que toi d'ailleurs? Rah, mes cochons, si mes jambes ne me faisaient pas souffrir tant, je serais bien aller botter vos sales derrières! … Mais voyons si tu mérites le silence que je suis toute fois disposé à t'accorder…


Sur ces mots, ne laissant pas le temps à l'adolescente de dire quoi que ce fût, il brandit son bâton, avec une célérité qui forçait l'admiration, et l'abattit vers les chevilles de la fautive.

Celle-ci esquiva de justesse le coup en faisant un bond en arrière. Heureux instinct. Après le coup d'envoi, les assauts redoublèrent d'intensité, le vieux guerrier venu d'un monde inconnu frappant avec une puissance et une dextérité qu'on n'aurait plus lui soupçonner. Il maniait son énorme bout de bois avec une facilité déconcertante, et attaquait sans pitié son élève indisciplinée.

Cette dernière tint bon un long moment, sautant en tout sens pour éviter le lourd gourdin qui aurait bien pu lui briser les os. Une roue à droite, un flip à gauche, une roulade en arrière, un bond en avant, roulé-boulé dans la terre battue, parade. Tout s'enchaînait de plus en plus vite, alors que la belle brune commençait à s'essouffler, la sueur perlant à grosses gouttes à son front et collant ses vêtements légers à sa peau dorée et moite.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

Ce message a été modifié 1 fois, dernière modification par "Evangéline" (08.08.2008, 22:00)


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08. 08. 2008, 21:54

Une feinte de la part de l'assaillant. Elle ne put que voir le bâton fondre vers ses jambes. L'épaisse tige de bois la faucha avec dureté, heurtant douloureusement ses tibias et lui arrachant un cri de souffrance. Elle s'écrasa face contre terre, mordant la poussière. Le bâton s'abattit une dernière fois, moins fort cependant, sur son flanc, percutant cruellement les côtes. Puis, l'arme, plus redoutable qu'il n'y avait paru aux premiers abords, se posa doucement sur la nuque de la vaincue qui gisait à terre, recroquevillée sur elle-même et se protégeant la tête de ses bras.

- Cela suffit pour ce jour. Relève-toi gamine, je n'en ai toute fois pas encore fini avec ta personne pour le moment. Fit-il de sa voix rauque et grave, aussi râpeuse que l'écorce d'un arbre.

L'adolescente, lui jetant un regard empli de crainte et d'excuses, se remit sur ses pieds, tant bien que mal, les points d'impact la faisant grimacer.

Il lui fit signe de le suivre, ce qu'elle s'empressa de faire, boitillante, réprimant des exclamation de douleur à chaque pas, une main massant ses côtes qui semblaient encore résonner du coup porté.

Il marcha ainsi jusqu'à sa hutte, à environ un kilomètre au Nord, sans même accorder un regard à sa victime qui peu à peu reprenait un rythme plus ou moins normal.

La demeure du vieil homme n'était qu'une cabane de bois, un petit chalet composé d'une pièce principale faisant office de cuisine et de salle de visite, d'une chambre à coucher et d'un tout petit entrepôt contenant les secrets du vieillard et son matériel destiné aux entraînements qu'il daignait parfois accorder aux jeunes hommes du village.

Il se dirigea de suite vers cette dernière partie des lieux, laissant la jeune fille encore endolorie dans la première pièce. Elle savait qu'elle n'était pas autorisée à pénétrer dans l'antre du vieux Tat'.

On ne savait point d'ailleurs son véritable nom. On l'avait surnommé ainsi en raison d'une étrange suite de signes qui ornait son avant bras droit et du mystérieux dessin situé à son biceps gauche.

La première était constituée de chiffres et de lettres et n'avait aucune signification particulière. Le second était un étrange serpent, presque un dragon, qui s'enroulait autour du membre jusqu'à l'épaule, où se trouvait la tête sifflante de l'animal peint sur la peau. Les couleurs du dessin s'était ternies avec le temps, donnant à la bête inanimée un air plus mystique, plus ancien, tandis que l'autre marque restait d'un noir éclatant.

Personne au village ne savait comment il était possible de teindre ainsi l'épiderme. Et le vieil homme désignait ces cicatrices de couleur par le nom de "tatouages". Ainsi, il était devenu l'irascible "vieux Tat' ", craint et respecté de tous. Il avait toujours été là, et semblait ne jamais devoir rejoindre la tombe, tant sa robustesse et sa vigueur était étonnante pour son âge. On avait l'impression que ses forces ne voulaient pas décliner et suivre le cours du temps jusqu'à s'éteindre.

Eleanore attendit, inquiète, au milieu de ce "salon" aux murs couverts de poupées d'argile et de paille. Cela aussi il lui avait enseigné. Maintenant elle connaissait le secret de ces petits êtres de terre sèchée au grossières robes de coton coloré. Mais jamais encore elle n'avait eu l'occasion de s'en servir, et espérait fortement n'avoir jamais à le faire.


Les questions l'assaillaient dans le brusque silence. Comment cette vieille carne pouvait-elle savoir pour Phobhos et Jake? Avait-elle été si naïve et indiscrète? Allait-il les vendre aux hommes du village, puisqu'une fois encore, le maître avait prouvé sa supériorité à l'élève?

Coupant court à cette vague d'interrogations paniquantes, Tat' revint, chargé d'un paquet enrubanné de linges pourpres.

S'approchant, la jeune fille effleura du doigt le tissus brillant. C'était une toile douce, onctueuse et glissante, de la soie d'un rouge sombre et sanglant. Mais voyant le regard courroucé du mentor, Eleanore retira vivement sa main et attendit la suite, l'air penaud. Le propriétaire de l'objet déroula délicatement l'étoffe, dévoilant bientôt deux fourreaux noirs ornés de gravures écarlates. C'était une matière de ténèbres nacrées, comme la plus sombre des obsidiennes polies, parcourues d'éclats de rubis, comme si les éclaboussures sanglantes d'un coup mortel avaient tenté de dessiner avec le pinceau de l'agonie, sur le néant de la mort, les fleurs de la vie. La beauté de ces lignes ondoyantes, qui ruisselaient sur la noirceur comme des rivières incarnates avec une grâce délicate et imposante à la fois, émanait autant des arabesques vermeilles que du noir infini et brillant.


Une envie subite de saisir les deux armes prit Eleanore à la gorge, alors que ses yeux caressait la garde de fer forgé qui évoquait une rose aux fins pétales d'argent sombre, et le pommeau bandé d'une étoffe noire sur laquelle sinuaient des fils coruscants qui semblaient tissés par les étoiles elles-mêmes.

Prestement, le vieil homme rabattit les pans de tissus sur son précieux fardeau, une lueur de tristesse passant derrière le voile de ses yeux éteints. La flamme fascinée qui s'était mise à briller dans les yeux de la Träumerish, s'apaisa peu à peu, laissant de nouveau purs les deux icebergs de ses iris.

- Tu les lui remettras en mains propres, sans y toucher toi-même. Et tu lui diras : "six jours et une nuit". Il comprendra, même si ça ne va pas lui plaire. Et surtout, laisse-les comme je te les confie. Tu ne dois en aucun cas me désobéir cette fois. Sinon tu le regretteras petite impertinente!

Sur ce, il posa son bien le plus cher dans les bras de cette innocente qu'il savait condamnée à la plus cruelle des sentences : la nuit éternelle. Il poussa la jeune fille vers la porte et l'écouta s'éloigner, ses yeux d'aveugle fixant le vide, tandis qu'elle lui jetait des regards ahuris et pleins d'incompréhension. Il savait qu'elle lui obéirait sans réfléchir, ou tout du moins, sans trop remettre en cause la parole du vieil ermite, mais il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il aurait dû infléchir le cours de ce destin qui étranglait son vieux cœur de larmes amères, qu'il aurait dû l'emmener loin, pour que cet ange blond de malheur, ne puisse accomplir sa sinistre destinée. Sinistre, oui… À quels effroyables tourments devait être exposée une âme qui s'était sacrifiée, quand le trépas offert causait plus de douleur encore que la mort à la personne qui grâce à elle gardait la vie sauve…

- Bientôt ce sera ton tour, mon enfant. Bientôt, toi aussi tu pourras brandir les sabres sanglants, et vivre ton éternité en sentant leur froide présence battant ton dos ou ton flanc. Tu devras peut-être d'abord endurer milles morts, mais tu les auras, sanguinaires compagnons, seuls amis dans un monde où la rage et la solitude seront plus présentes que l'oxygène dans l'air. Un monde de nuit sans fin, qui sera le tien malgré tout, malgré le fait que le nom-même que les dieux t'ont choisi, rejette ce destin-ci...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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29

15. 08. 2008, 20:54

Il enrageait. Il n'en pouvait plus de cette chaleur étouffante, de cette constante impression d'être observé, de ce pressentiment qui lui enserrait la poitrine tel un sinistre étau, et de ces deux yeux d'une pureté de cristal qui n'en finissait pas de le hanter. Et d'ailleurs, que faisait donc cette niaise de malheur? Elle aurait dû être là depuis déjà un moment.

Une inquiétude sourde le taraudait, mais il aurait préféré rencontrer de nouveau l'ours plutôt que de l'admettre. Il savait ce qui rôdait dans la forêt depuis leur arrivée, c'était d'ailleurs surtout pour ça qu'il se tracassait.

Mais coupant court à cet agacement plein de mauvaise foi qui montait en lui, le caractéristique son des pas feutrés d'Eleanore se fit entendre dans le sentier en contrebas. Il était impressionné par sa discrétion (quand elle le voulait, sinon c'était une machine à bruit). Souvent, il s'était fait la réflexion que, s'il avait pu la ramener avec lui dans d'autres conditions, elle aurait pu faire un très bon agent. Réflexion chaque fois accompagné d'un pincement au cœur, qui d'ailleurs était de plus en plus appuyé.

Il se retourna juste pour la voir surgir de derrière l'angle de pierre brute. L'air courroucé, il lui lança âprement :

- Mais où étais-tu passée? Tu n'as pas pensé une seconde que j… que Jake avait pu s'inquiéter pour toi?

Et la jeune fille elle, en avait plus qu'assez de se faire tancer pour un oui pour un non et reprocher ses absences par tout le monde. C'est les lèvres pincées qu'elle lui posa rudement le paquet pourpre dans les mains et se dirigea droit vers Jake qui les regardait depuis l'intérieur de la caverne, un sourire amusé et attendri aux lèvres. Avant de s'asseoir à son côté, la Träumerish se retourna, avec une expression vexée et lâcha, sur le même ton qu'il avait employé :

- Et toi n'as-tu pas fini de parler pour lui? T'es pas sa mère que je sache. Ah, et ça c'est pour toi. On m'a aussi dit de te dire "Six jours et une nuit". Maintenant va faire mumuse plus loin avec tes nouveaux jouets.

Il avait un cadeau du vieux Tat' en personne, et bien il aurait également les fruits amères de sa jalousie et de sa frustration sur les épaules.

Phobhos la regardait, l'air ébahi, estomaqué, sans comprendre pourquoi elle réagissait ainsi. D'habitude, c'était lui qui parlait comme ça aux autres, non le contraire… Puis, sa nature fière plus qu'il ne l'aurait fallu reprit le dessus sur le reste, et il tourna les talons, écumant de rage.
Cette petite mijaurée osait le regarder de haut et lui parler comme à un vulgaire garçon de ferme! Elle ne perdait rien pour attendre… Quand ils la ramèneraient de force avec eux et qu'ils la livreraient au Q.G, elle ferait moins la dédaigneuse. Un sourire mauvais naquit sur les lèvres pâles du beau blond, qui arriva bientôt vers la petite cascade qui approvisionnait le point d'eau.

Il se faufila contre la pierre humide pour éviter d'être trempé par le flot qui allait s'écraser quelques mètres plus bas. Il se retrouva dans la cavité naturelle que l'eau avait creusée au fil des ans et des siècles. Les parois grises suintaient du liquide qui s'infiltrait à travers la roche.

Ici, l'agent se sentait plus en sécurité. Il s'assit sur une pierre relativement sèche et commença à déballer ce que lui avait remis la brunette. Les questions qu'il aurait tout de suite dû se poser affluèrent enfin à son esprit. Qui avait pu lui faire passer quoi que ce fût, puisqu'il ne connaissait personne? Et qu'est-ce qu'on avait bien pu lui donner?
La dernière couche soyeuse retomba sur ses genoux, tandis qu'il restait là, bouche bée, incapable du moindre mot.

- Par tous les saints… Murmura-t-il.

C'était deux véritables chef-d'œuvres qui reposaient sur ses jambes, deux bijoux d'esthétique et de finesse. " Le genre d'arme tout juste bonnes à rutiler à la hanche d'un quelconque militaire plein aux as" Pensa-t-il, moqueur. Alors voilà ce qu'on lui offrait? Deux sabres de majorettes, deux objets de décoration, de parade, des jouets de cérémonies désuètes? Il eut un ricanement acide tout en examinant les deux katana de la pointe de la lame jusqu'à l'extrémité de la garde.

Les nombreuses ciselures devaient fragiliser plus que de raison l'acier sombre, ce qui était déjà un inconvénient non négligeable quand on savait les armes désormais utilisées couramment. Oui, que pouvaient, de toute façon, deux coupe-chou face aux balles d'un sniper ou d'une mitraillette? Et il ne pensait même pas à un bazooka ou autre lance-missile…

La garde de fer forgé, en forme de rose, se recourbait légèrement pour mieux couvrir la main de l'utilisateur... elle devait se courber et se tordre au moindre choc au vue de son épaisseur et du manque de matière dû au motif. Très pratique de se retrouver avec sa propre arme enfoncée dans le poing…

Et tous ces fils qui semblaient si lisses, ne devaient pas assurer la moindre prise sur l'arme. Quel dommage que de mourir en plein affrontement parce que votre arme venait de vous glisser des mains…

Le jeune home saisit alors les deux sabres, et se mit à enchaîner une série de figures à une vitesse impressionnante. On entendait siffler l'acier qui tranchait l'air en tournaient et s'abattant dans le vide. Les lames se croisaient, s'éloignaient, fondaient de concert, piquaient, s'élevaient sans cesse.

Une exclamation de douleur. Le tintement du métal sur la pierre, le halètement d'une respiration rauque. Le fier blond aux yeux bleus avait lâché ses armes qui étaient allées s'écraser au sol. Elles n'avaient pas glissé, il les avait lâchées. Il se tenait le bras droit, le visage crispé et empourpré, moite.

À l'extérieur, on n'avait entendu que le fracas de l'eau.

Au bout de quelques minutes, il lâcha enfin son membre douloureux. Il n'était pas encore tout à fait remis de ses blessures, et mal lui en avait pris que de forcer ainsi sur ce bras qu'il avait d'ailleurs faillit perdre aux dires de la jeune Träumerish.

Un sourire illumina de nouveau ses traits. Un sourire satisfait et mauvais, qui n'avait rien de rassurant.

- Avec ça, je sens que je vais bien m'amuser… eh eh eh… Six jours et une nuit qu'il dit le mystérieux donateur? Parfait. D'ici là, j'aurais déjà entendu tous les airs de flûte que je veux… Et nous serons de retour au Q.G. Et avec un spécimen avec ça…

Sur ce, il ramassa les deux lames à terre. Il y eut tout de même une lueur étonnée et impressionnée dans son regard. Il n'aurait jamais pensé que l'équilibre eût pu être aussi parfait et la prise aussi fiable.

Pris d'un dernier doute, il fracassa un des deux katanas sur la paroi de roc, frappant de toutes ses forces. Il serait tout de suite fixé sur la crédibilité de l'objet.

La vibration du choc remonta dans son bras et à nouveau il sentit la douleur sourdre dans son épaule et au niveau de son coude. Encore une fois, il lâcha prise. Il observa un long moment la lame qui luisait des reflets que l'eau tonnante lui octroyait en filtrant les rayons solaires. Elle était intacte, sans même une éraflure.

Il eut un soupir, puis, ramassant le katana ouvragé, il se dirigea vers la sortie de son refuge. Ne restait plus qu'à retrouver toute sa mobilité et sa vitesse. Ensuite, il accomplirait ce qu'il devait… Sombre devoir dû à des querelles qui ne le concernait pourtant en rien…
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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15. 08. 2008, 21:05


Trois jours s'étaient écoulés. Et le bel éphèbe aux cheveux d'or pâle avait passé ces trois journées entières dans la petite grotte humide derrière la chute d'eau. Il n'en était ressorti que pour prendre de quoi manger, des baumes pour son bras et ses plaies qui étaient presque cicatrisées. Puis on ne l'avait plus revu. Pendant trois jours entiers, la jeune fille était restée avec Jake, prétextant auprès de sa mère qu'elle allait camper à quelques kilomètres à l'Ouest. Et durant ces 72h, elle n'avait pas quitté l'entré de la caverne, jetant sans cesse des regards inquiets et mortifiés en direction du rideau d'eau qui masquait tout bruit ou toute vision qui aurait pu leur parvenir. Parfois, elle croyait distinguer une ombre se mouvant derrière le liquide en perpétuel mouvement. Mais cela était tellement fugitif… Telle l'aile d'un colibri qui bat si vite qu'elle en devient floue, ou comme les arabesques mouvantes d'un feu où l'on croit distinguer des symboles alors qu'il n'y a que le brasier, muet de tout sens et vide de toute vie.

Elle s'en voulait tellement de lui avoir parlé de la sorte… Mais quelle mouche l'avait donc piquée? Il n'avait pas mérité un tel traitement! Mais quelle idiote elle faisait… Maintenant il s'était enfermé dans sa solitude pleine de mystère, et elle brûlait d'aller lui demander pardon sans toute fois se résoudre à braver la distance qu'il avait étendu entre lui et eux. Et Jake lui assurait qu'il valait mieux ne pas aller le déranger. * J'ai assez fait de bêtises, cette fois je reste à ma place…* avait-elle pensé. Et donc le temps avait passé, et malgré tous les efforts du joli brun pour la distraire, son attention était restée fixée sur la fente sombre qu'était l'entrée du refuge en bas de la petite falaise de l'autre côté du point d'eau.

Et enfin, après trois fois vingt-quatre heures de regrets et d'inquiétudes, une silhouette avait découpé les ténèbres épaisses de ce trou coincé entre granit imposant et eau implacable. La tache pâle d'un visage marmoréen surmontée par le halo blond d'une chevelure d'ange retenue en queue de cheval.

Se redressant d'un bond, Eleanore se précipita sur le sentier sinueux et escarpé, courant et dérapant sans cesse, au risque de se rompre le cou. Jake lui cria d'arrêter et de faire attention, mais elle ne lui prêta pas la moindre attention, continuant sa course folle parmis la rocaille et les herbes sèches, glissant sur les plaques de gravillons et s'entravant dans les racines racornies. Elle déboula comme une furie dans la dernière descente, et freina brusquement en voyant le jeune homme juste au bas de la petite pente. Mais trop tard. Emportée par son élan, elle dérapa à toute vitesse sur toute la longueur du talus, en équilibre précaire sur ses deux pieds qui raclaient la terre dans un nuage de poussière. Elle poussa un cri, et, incapable de s'arrêter, alla percuter le possesseur des sabres, qui d'ailleurs, rangés dans leurs fourreaux, battaient les hanches du bel étranger.

Le jeune fille ferma les yeux, craignant que son élan de les fasse basculer tous deux. Mais aucune chute ne fit siffler l'air à ses oreilles, aucun choc ne coupa sa respiration, et elle ne se retrouva pas à terre sur le torse de Phobhos. Non, elle se retrouva simplement plaqué contre lui avec force, sans qu'il ne reculât d'un pas ou ne penchât d'un centimètre en arrière.

Il ne se laissa pas basculer, la retint simplement dans ses bras qui s'étaient enroulés autour d'elle, un peu trop vite peut-être à son goût, car il commençait à comprendre que l'instinct n'était peut-être pas la seule explication. C'était un vague pressentiment, et pourtant, même à l'état de bouton sur le point d'éclore, il n'arrivait pas à faner la rose, se retrouvait incapable d'éradiquer cette menace.

Alors il se laisserait aller, attendant que cette pousse trop fragile ne mourût d'elle-même par manque d'eau à ses racines.

Quelques secondes, ils restèrent collés l'un à l'autre, immobiles, retenant leur souffle. Lui, la tête légèrement levée vers le ciel, les yeux fermés, le visage serein. Elle, les mains sur sa poitrine musclée, la joue tout contre lui, écoutant les battements réguliers de ce cœur qui l'intriguait tant.

Et ainsi, l'espace d'un court moment, ils oublièrent les mots, ils laissèrent de côté tout ce qui les poussait respectivement à s'éloigner de l'autre, restèrent sourds à cette voix qui leur hurlait que seules des larmes en ressortiraient, fermèrent la porte à tout le reste.

Et il ne resta plus que le contact tendre de quelqu'un qui vous serre contre lui, plus que le doux réconfort des moments où l'on peut délaisser la réalité pour un suave rêve qui semble si réel qu'on a l'impression de le tenir au creux de la main et de sentir son souffle sur sa peau. Ces infimes moments où le temps semble s'arrêter, prit de pitié devant votre désespoir de vivre et face à votre subit et inespéré bonheur. Si bref enchantement… si vite brisé par ce même temps qui reprend sa fatale et impérissable course.

Il ne baissa pas la tête, elle ne leva pas la sienne, leurs regards ne se cherchèrent pas, leurs mains ne tentèrent pas de se saisir. Ils ressentirent simplement cette fugitive et tendre plénitude teintée d'amertume et de sucre. Un lent et pourtant fluide flot dans lequel on se laisserait bien engluer pour ne plus jamais en sortir. Cette douce pente qui vous fait glisser sur la chaude glace de l'espoir, cette caressante lumière qui est semblable au frôlement d'une main aimante sur votre joue. Comme cette brise qui les enlaçait comme pour les préserver encore un peu dans son étreinte faite du souffle des cieux. Cieux qui observaient ce monde qu'ils voulaient détruire, avec la mélancolie de ceux qui agissent comme ils le doivent, mais comme pas ils l'aimeraient. Avec le regret pour ceux qui souffriraient, le mépris pour ceux qui les poussaient à détruire.

Et ainsi, les secondes, les minutes se dispersèrent, sans qu'ils n'esquissent un seul mouvement. Et le vent semblait le pousser contre elle, tandis que les doigts de la jeune fille refusaient de s'ôter du torse dont ce même vent tentait de la séparer par son souffle brusquement froid. Contresens du destin, paradoxe du hasard, contradiction du cœur.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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31

15. 08. 2008, 21:20


Eleanore murmura un faible pardon troublé. Mais ce simple chuchotis réussit toute fois à briser le charme. Elle papillonna des yeux, revenant brusquement à la réalité. Et le simple pardon bredouillé se transforma en un flot d'excuses confuses et embrouillées auquel n'importe qui aurait été bien embarrassé de comprendre quoi que ce fût de clair. Elle s'était écarté de lui, laissant pourtant ses mains à leur place, mais se desserrant de son étreinte légère. Et elle se répandait en pardons et regrets, tout ce que son orgueil jusque là avait gardé confiné dans sa gorge. Elle s'était tellement inquiétée durant ces trois jours, pour rien, elle-même en était consciente, qu'elle ne pouvait s'empêcher de parler, parler pour combler ce silence oppressant qui menaçait à tout moment de lui écraser de nouveau la poitrine. Et elle parlait, disait chaque phrase qui lui pesait. Et même si le souffle lui manquait, elle continuait, suffoquait puis reprenait le plus vite possible, comme si chaque seconde dépourvu du son réconfortant d'une voix, lui coûtait et était aussi précieuse qu'un diamant.

Phobhos poussa un soupir agacé, les yeux toujours fermés et le visage toujours tourné vers le ciel. Puis lui aussi revint à la réalité, tiré à contre-cœur par ce flot de mots confus. Il fronça les sourcil d'un air insatisfait, et , voyant que la Träumerish continuait à être vocalement désolée, il la saisit fermement par les épaules, la faisant sursauter, et se taire par la même occasion, au moment où un "Et je crois bien que j…" s'échappait de ses lèvres tremblantes. Le jeune homme glissa sa bouche juste contre son oreille, frôlant la peau de pêche de ses joues qui rougirent. Et là, tandis qu'elle n'osait plus prononcer un seul mot, il lui susurra :

- Arrête… s'il te plait… Ascolta il silenzio e dimentica le parole… ascolta e sente…

Elle n'avait pas compris les dernières paroles du bel éphèbe, mais bizarrement, le sens ne lui semblait pas si trouble. Alors elle garda le silence, gênée et frémissante, le rose au joue et les mains tremblantes de quelque chose qu'elle avait du mal à appréhender. Ce souffle chaud dans son oreille lui donnait la chair de poule. Sa respiration s'accéléra, et son esprit se mit à tourner dans tous les sens, cherchant quoi faire, cherchant quoi répondre.

Phobhos sentait le trouble de la jeune fille, ce qui n'était pas pour lui déplaire, autant pour son orgueil que pour le fait qu'il percevait ainsi moins sa propre émotion. Il recula son visage des cheveux soyeux, laissant l'air frais remplacer les bouffées réchauffantes de sa respiration et de cette façon glacer l'oreille qui profitait de cette délicieuse chaleur. Et en se retirant, il passa près du visage angélique d'Eleanore, à une distance si réduite, que, succédant à la douceur satinée de sa peau, ses lèvres vinrent effleurer le bouton de rose de celles de la jeune fille, dans un mouvement teinté d'une innocence et d'un hasard dont on n'aurait pu définir avec certitude la couleur.

Le rouge velouté qui avait ainsi été touché s'étala jusqu'au reste de son visage, tandis qu'elle enlevait précipitamment ses mains du torse musclé où elles étaient plaquées depuis déjà un moment, se rendant seulement compte de ce détail.

Comment le plus doux des contacts peut briser la plus innée et la plus inconsciente des étreintes...

Ils se tenaient désormais à quelques centimètres l'un de l'autre, se toisant les yeux dans les yeux, l'un cherchant à comprendre, l'autre parcourant l'immensité d'en face en courant après il ne savait quoi, et tous deux espérant, plus ou moins inconsciemment, établir de nouveau ce fil invisible qui faisait paraître l'éternité plus petite que la plus brève des secondes, et sembler l'éphémère plus durable et sûr que la plus sincère des promesses. Ce fil qui avait fait vibrer deux âmes à l'unisson, pendant l'espace d'une infinité vécue en un instant, avant de se briser sous les ciseaux de la peur et de l'orgueil.

Puis, la réalité repris tous ses droits. Le jeune homme reprit son incessante réflexion, et lâcha, pour briser une bonne fois pour toute ce qui semblait peu à peu se cristalliser :

- Tu vois, ça fait du bien quand enfin tu daignes fermer ta bouche… et ce n'est pas souvent…

Eleanore s'empourpra, mais d'indignation cette fois, et se retourna brusquement en s'exclamant que ce garçon était le pire imbécile et le plus irrécupérable de tous ceux qu'elle avait jamais connu. Phobhos eu un sourire amusé, content de lui. Puis il rejoignit Jake qui attendait à une dizaine de pas derrière lui, adossé à un rocher. La jeune fille s'était éloignée dans les bois et on l'entendait pester, il pouvait donc parler sans crainte d'être entendu.

- Qu'est-ce que tu faisais? Questionna le brun, la tête relevée et l'air désapprobateur.

- Ce que je dois faire, Jake. Ce que je dois faire…

Il y eu un silence, puis les deux amis, sans un mot, se mirent à marcher en direction du point d'eau. Là, ils reprirent leur conversation. On pouvait lire sur le visage de Jake une inquiétude male dissimulée. Phobhos, lui, comme à son habitude, restait de marbre, impénétrable et impassible, ses traits aussi froids et calmes que la surface de l'eau au fond d'un puits.

- Il nous reste à peine trois jours. Apparemment, quelqu'un de très bien renseigné ici, sait ce qu'il se passe à l'extérieur de ce fichu périmètre… et d'après cette mystérieuse source qui m'a fait passer ces armes, les asiatiques vont débarquer dans trois jours et une nuit.

A ces mots, Jake pâlit. Trois jours seulement?

- Et… nous aurons le temps de plier bagages avant? … N'est-ce pas?

Phobhos eut un sourire. Il ne doutais pas une seule seconde de la réussite de son plan. Et de toute façon ,ce n'était pas dans ses habitudes de douter de lui-même. Il avait élaborer une stratégie, étudier toutes les possibilités envisageables, et la réussite finale serait à lui. Il ne pouvait en aller autrement.

- Bien sûr… Nous aurons le temps de partir et d'arriver, avec la fille. Et au pire, ils arriveront au moment où nous partirons. À partir de là, il n'y aura plus qu'à espérer que les renforts capteront la fréquence de la balise. Sinon il faudra s'enfuir à pieds en évitant les patrouilles.

- Mais… tu es bien sûr que c'est un traître? Peut-être n'a-t-il simplement pas traversé avec nous? Si cela se trouve, il est mort, et les orientaux ont tenus leurs accords…

- Ne rêve pas Jake! Tu as entendu la fille? Ma blessure au bras était due à une lame, pas au passage de leur "frontière". Et je mettrais ma main à couper que c'est la lame de cutter de ce fils de putain! … on t'a pourtant dit un million de fois au moins de ne pas être aussi optimiste et naïf…

L'autre se renfrogna, marmonnant que "la fille" avait un prénom et qu'il en avait rien à faire de ce qu'on lui disait. Phobhos le regarda du coin de l'œil, et fini par lâcher :

- Ne t'y attache pas. Ce n'est même pas sûr que le Q.G ne la livre pas à leur collaborateur par la suite, alors reste à distance. Ça t'évitera bien des remords.

- … Mouais… et quand est-ce qu'on se met en route?

- Bien assez tôt…

- Et, pour lui? Qu'est-ce qu'on fait?

- Qu'il vienne le chien, il sera bien reçu…
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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23. 08. 2008, 10:24

L'odeur du sang, la senteur de l'écarlate qui bouillonnait et glissait sous la peau comme un courant de soie ensanglantée sinuant dans les méandres infinis du corps telle une rivière de rubis dans son écrin de velours. Fermant les yeux, l'individu s'imaginait ce torrent de rouge éclatant, et un sourire malsain apparut sur ses lèvres fines dont on distinguait à peine le contour dans la pénombre des arbres. Ah… qu'est-ce qu'il aurait aimé pouvoir enfoncer ses crocs dans cette gorge aux modelés délicats, et sentir sur le bout de sa langue la saveur envoûtante de la vie qui se meurt lentement. Percevoir cette lente agonie sous son tranchant; le bouquet d'une peau innocente, mélange de sel et de tendre. Il eut un frémissement le long du dos, et rouvrit les yeux. Non, il ne fallait pas qu'il craquât. Il avait avant tout une mission à accomplir. Ensuite peut-être s'accorderait-il la délectation de cette gamine tout juste sortie des jupes de sa mère. Oui, ses supérieurs ne pourraient lui refuser ce cadeau. Une petite pucelle ingénue dont les cris d'épouvante et de douleur raviraient son âme souillée par la perversité et le sacrilège.
Sa poitrine fut agitée de soubresauts à cette pensée, un rire contenu et pernicieux. Oui, il aurait ce plaisir. Et si on ne le lui donnait pas, il le prendrait de toute façon.
Dans les ténèbres de la nuit, deux reflets pourpres aux consonances vicieuses luirent l'espace d'une seconde, grâce à une flamme vagabonde qui avait brûlé plus fort que de raison et dont l'aura flambante avait voleté jusqu'à lui.
Le voyeur observait l'entrée de la grotte, devant laquelle le feu brûlait entre les pierres de son rudimentaire foyer. Dissimulé derrière un gros rocher un peu plus haut, il arborait un rictus qui révélait un amusement enluminé de sadisme. Une assurance inébranlable également. Il savait qu'il triompherait, il ne pouvait en être autrement. De toute manière, que pouvait cette bande de gosses sans cervelle? Contre lui en plus…

* Vous n'avez aucune chance, pauvres âmes égarées dans les profondeurs de mes ténèbres… Bientôt vous rejoindrez tous l'enfer où je suis né…*

Un ricanement, non contenu celui-ci, accompagna ces sombres pensées. Oui, il avait hâte de découvrir la suite…
Bientôt la quiétude de la nuit se fit reine incontestée. Seuls restaient le crépitement du feu, le souffle tiède du ciel dans les feuilles, les bruissements animaux, et le silence de la lune. Les trois humains s'étaient retirés sous le couvert de roche que leur offrait la caverne, et tout semblait étrangement calme désormais que le son étouffé de leurs voix s'était tu. Une heure passa ainsi, sans que rien ne changea.
Alors, décidant qu'elle pouvait agir sans crainte, aussi silencieuse qu'une ombre parmis les ombres, la silhouette sauta sur la corniche en dessous d'elle, celle où l'entrée se situait. Elle atterrit juste à côté du feu, avec pour seul clairon le léger heurt de ses pieds contre la pierre sableuse, qui avait émis autant de son qu'un galet dans de la farine. Le grésillement des langues rougeoyantes couvrit ce léger bruit, rien ne bougea à l'intérieur de la grotte où l'obscurité régnait en maîtresse absolue. De nouveau, un large sourire étira le visage encapuchonné. Il allait pouvoir prendre ce qu'il désirait sans le moindre problème, puisque tous semblaient déjà dormir comme des loirs.

*Pauvres petites souris terrées dans leur terrier… le grand méchant loup est arrivé mes chéris… et il va manger vos graines pour que vous sortiez ensuite de votre trou à rats… sans défense… venez vous jeter entre les griffes du chat mes amours…*


L'inconnu s'avança dans l'orifice sombre, le bruit de ses pas émettant à peine un chuchotement. Mais il n'alla pas si loin que cela. Non, car à peine avait-il mit un pied à l'intérieur du refuge naturel, qu'il se fit percuter violemment en pleine poitrine. La force du coup le projeta deux mètres en arrière, et il s'écrasa lourdement sur le sol, soulevant au passage un nuage de poussière.
Le pied qui l'avait percuté resta en suspension dans l'air quelques secondes, puis se reposa au sol. Le gardien fit un pas en dehors de l'ombre du seuil, révélant à la lumière de la lune sa crinière d'un blond argenté et son teint laiteux.
À terre, l'autre se redressa sur les coudes et l'observa un moment, avec ce qui semblait être de la folie dans le regard et un sourire dément aux lèvres.

- La nuit te met à ton avantage, nabot. Finit-il par lâcher, moqueur.
Pour toute réponse, il reçut un deuxième coup, dans les côtes, qui le fit basculer dans le vide. Son corps tomba, percuta rochers et branches avec des craquements sinistres, avant de choir, pantin désarticulé, avec un bruit sourd, dix mètres plus bas.
Phobhos descendit le sentier d'un pas calme, le visage fermé et froid, ses cheveux défaits cascadant sur ses épaules et lui donnant ainsi un air d'elfe lunaire. Sans se presser, il s'approcha du corps apparemment inerte qui gisait au bas de la paroi rocheuse, les membres formant des angles inhabituels et la poitrine inerte.


- Ne joue pas à ça avec moi, Chizo, espèce d'ordure puante…

La tête de ce qui avait paru un cadavre se redressa avec un craquement macabre, laissant son capuchon à terre et révélant ainsi ses traits creusés à la diffuse lumière nocturne. Les pommettes émaciées, la teinte de pierre froide de la peau, les lèvres plus pâles encore que le teint, un menton prononcé qui donnait au personnage un air hautain et fier. Et au fond des pupilles ténébreuses, la déraison, le déséquilibre, le chaos de l'esprit.
Le corps cassé se redressa peu à peu, jusqu'à se tenir tout fait debout après une succession de craquements à vous soulever le cœur. Un sourire loin d'être rassurant et teinté de douleur, il cracha au sol le sang qui lui souillait la bouche.


- Ça fait mal sal gosse.

- T'es pas mort que je sache, créature satanique.

- C'est pas une raison pour me confondre avec un jouet pour chien, minus.

- Ta gueule, je fais ce que je veux avec les animaux.

Le sourire disparu immédiatement des lèvres filiformes et mua en un rictus courroucé et rogue. L'ombre de la folie brûla plus fort au fond de ses yeux avant d'être balayée par un calme froid et lucide où vibrait une rage haineuse contenue. La voix glacée, nasillarde et à la fois comme un chant étrange d'aberration, devint un timbre grave et posé que l'on sentait plein de détermination et d'intelligence dangereuse :

- Ne pousse pas trop loin, gamin. À mes yeux, tu es de l'espèce la plus monstrueuse qui soit, à l'image de ce que je suis sûrement pour toi. Alors mesure tes paroles, car tu sais ce que je suis capable de faire à un être de chair et de sang, quand on m'a autorisé à m'amuser, ou tout du moins lorsqu'on ne m'a pas interdit d'y toucher…

- Alors ainsi, j'avais visé juste : vous n'avez pas tenu parole… veules que vous êtes là où le soleil se lève! Je savais bien qu'on ne pouvait pas faire confiance à ces mangeurs de chiens!

- Intelligent, résistant, prévoyant, prétentieux et raciste avec ça… Ricana l'autre.
En effet, nous avons trahi les mangeurs de graisse bon-marché… Et alors? Ne me dit pas que tu t'offusques par loyauté envers ton corps armé ou par patriotisme! Non, je pense plutôt que c'est parce que tu t'es fait avoir comme les autres et que tu en as pris plein la poire… Au fait, en parlant de ça, ton bras a guéri? C'est impressionnant… Vous avez eu beaucoup de chance de tomber sur cette chérubine! Sans elle vous seriez soit dans le ventre d'un ours soit empalés sur des piques quelque part… Alors, qu'est-ce que ça fait à Phobhos le grand, Phobhos le magnifique, de devoir la vie à une femme, et même à une fillette qui ne sait même pas ce qu'est un revolver?
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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23. 08. 2008, 10:26

L'occidental ne pipa mot, se contentant de jeter un regard venimeux et fielleux à son provocateur. Il n'était pas décidé à céder à la tentation de l'abattre pour de simples bravades qui n'avaient pour d'autre but que de lui faire perdre son sang-froid. Il fallait qu'il arrivât à négocier avec ce monstre, car il savait que s'il avait réussi à l'affaiblir pour le moment, le tueur asiatique, lui, n'hésiterait pas à l'éviscérer dès qu'il aurait repris des forces, si aucun accord arrangeant n'était passé entre eux. Et il fallait qu'il posât ses propres conditions, pendant que l'autre était en état d'infériorité.
Soudain, le traître fit mine de bondir en avant. Déclic, éclair argenté. L'agresseur se stoppa net dans son élan, un canon brillant posé contre sa peau, entre ses deux yeux, alors qu'il était sur le point d'agripper le jeune homme pour le mettre à terre. Les deux antagonistes se figèrent dans une immobilité totale. Le dénommé Chizo était pétrifié, la bouche ouverte comme la gueule d'un fauve, dans une posture sauvage et déchaînée dont l'immobilité n'arrivait à estomper ni la violence ni la rage. Ses bras levés, prêts à frappés, étaient comme les branches de ces arbres morts qui semblent se tordre pour atteindre quelque douloureuse destination, et ses doigts crispés paraissaient ainsi les serres d'un rapaces fondant sur sa proie. Le tout en une pose théâtrale à faire frémir.
Mais le bel éphèbe à la chevelure ensoleillée de lune n'avait pas eu le moindre frisson, ni de peur ni de fureur ni de dégoût. Non, il était debout, bien droit, son bras tendu braquant son revolver sur son adversaire, le canon en plein milieu du front de ce dernier. Ses traits étaient plus glacials que jamais et son regard semblait de fer dans l'obscurité. C'était un tableau sombre, que la nuit immortalisait dans sa lumière divine, sous le regard de la lune et des étoiles, muettes dans leur linceul de brume nuageuse.


Brisant cette immobilité de statue, Phobhos plaça alors la lame d'un des deux sabres sous la gorge de son assaillant et lâcha :

- J'ai dit : ne joue pas à ça avec moi, Chizo, espèce d'ordure puante… Si tu te risques encore à un seul mouvement qui me semble vindicatif, tu as ma parole que je te tranche la tête sur-le-champ après t'avoir fait gicler la cervelle! Et ce, même si je dois ainsi provoquer une guerre entre nos deux pays. Est-ce assez clair pour toi?

Chizo se redressa et recula d'un pas, les mains levées pour montrer qu'il abandonnait. L'air plus sinistre encore, il ne semblait plus du tout enclin à sourire, et encore moins à faire des cadeaux.

- Qu'est-ce que tu veux Chizo? Du sang? Des armes? Nous avons encore la balise et nos armes à feu sont prêtes à marcher contre toi, alors ne te risque pas à tenter quoi que ce soit.

- Tu crois vraiment pouvoir me faire gober le fait que vous avez encore plus d'un revolver en état de marche et avec assez de munitions pour me repousser? Ne me fait pas rire… Et au départ, je voulais juste aller voir ce que vous aviez en votre possession. Ne te méprends pas sur mes intentions jeunes humain!

Ne croyant pas une seconde aux desseins pacifiques de la créature, Phobhos raffermit sa prise sur son sabre et visa plus précisément le front avec son 10mm qui renfermait encore quelques balles prêtes à jaillirent vers leur funeste objectif. Voyant que le jeune homme ne semblait pas décidé à parler tout de suite, Chizo saisit sa chance :

- Que vas-tu faire en sortant d'ici? Me dénoncer à tes supérieurs, et ainsi déclencher une guerre meurtrière? Je ne pense pas que tu sois assez entêté pour commettre pareille bêtise. Associons-nous, plutôt. Toi et moi y serions gagnants.

L'occidental fut pris d'un ricanement amer. Ce monstre buveur de sang le prenait vraiment pour un imbécile.

- Vraiment? Moi je serais un traître et toi tu userais du moindre prétexte pour me faire plonger. Jake finirait sûrement dans un de vos infâmes laboratoires et vous déclencheriez une guerre malgré tout. Parce que c'est bien ce que vous voulez, non? Une guerre pour montrer à tous votre supériorité et monter plus encore en puissance? Ne me prend pas pour un naïf, Chizo. Surtout que moi, mon organisme n'a pas été modifié pour devenir celui d'un être aux instincts bassement bestiaux.

Frémissement de fureur, grognement sourd, et regard assassin. Puis de nouveau ce calme enjôleur empli d'un pouvoir de convaincre loin d'être impuissant.

- Tu cherches la bagarre pour rien. Ce que je te dis est vrai. Car, de toute manière, si tu rejoins les Japonais et la coalition de l'Est, toutes les informations que tu pourras leur fournir et le reste feront de toi l'homme de la situation, celui qu'il faut garder avec soi à tous prix. Ton ami n'est même pas obligé de te suivre, et aucun des deux camp n'a d'intérêts particuliers à le tuer. Et si tu penses encore avoir du souci à te faire du côté de ma hiérarchie, tu n'as qu'à leur offrir un cobaye d'ici…

Froncement de sourcil, Phobhos abaissa son arme et s'adossa à un arbre proche, tandis que son interlocuteur faisait craquer ses membres endommagés pour tenter de les remettre en place, produisant une série de sons moins ragoûtants les uns que les autres.

- Qu'entends-tu par là? Que veux-tu en définitive? Parle, et ne me fait pas attendre avec un interminable discours fallacieux.

- Tu ne vois donc pas de quoi je veux parler?
Demanda Chizo, un sourire amusé et énigmatique étirant les deux fils de ses lèvres blafardes et les yeux brillant d'un éclat inquiétant.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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23. 08. 2008, 10:26

- Qu'est-ce que tu veux? Articula Phobhos, menaçant, la main sur la cross de son arme.

- La fille. Donne la fille, et tu auras tout ce que tu voudras…

- Et en quoi elle t'intéresse cette gamine sans cervelle?
Demanda-t-il, acide.


- Oh… moi? Pour des raisons peu orthodoxes… Mais nos "infâmes laboratoires" seraient sûrement ravis d'avoir un spécimen venant du fameux périmètre classé "noir"… Un être qui n'a connu ni la pollution, ni les épidémies… rien de tout ce qui fait notre chien de monde aujourd'hui. Tu imagines un peu? Et ne me dit pas que tu n'avais pas prévu de la ramener à ton propre Q.G pour qu'ils y fassent leurs propres petits bidouillages sur elle, je n'y croirai pas…

Un instant décontenancé, le grand blond redevint impassible, son visage de marbre rayonnant plus que jamais de la beauté glacée qui lui était coutumière.

- Jake et moi en sortiront indemnes, auront droit à des armes, et à un grade au moins aussi élevé que ceux que nous occupons actuellement. J'exige que tes hommes nous laissent prendre de l'avance et qu'ils ne portent aucune arme à feu, malgré le fait que la plupart ne fonctionneront plus de toute façon après qu'ils auront pénétré à l'intérieur du secteur concerné. Je veux aussi le double de la prime promise par l'alliance occidentale, pour chacun. Sans ça, mon trophée sera ta tête.

- Rien que ça? Et bien… tu ne te prives pas!

- Je le mérite.

- On m'avait bien dit que ce n'est pas la modestie qui t'étouffe…

- Au lieu de bavasser, parlons affaire sérieusement. Tu commences à me taper sur les nerfs avec tes réflexions puériles.

- Très bien… Alors mes hommes mettront le village sous contrôle, pendant que toi, ton copain et la fille prendront de l'avance, Il faut qu'elle fasse le plus de chemin possible de son plein gré, ça évitera certains désagréments, si tu vois ce que je veux dire… Ensuite, quand nous l'aurons, nous vous laisseront prendre encore un peu d'avance et sortir les premiers, pour ne pas éveiller les soupçons. Ensuite, quand la voie sera libre, vous nous ferez signe, et nous effectueront un rapatriement d'urgence en essayant de passer inaperçus. Cela convient-il à sa majesté?

Cette dernière question avait été accompagnée d'une moue frondeuse, et l'on voyait bien que l'obscur personnage jubilait d'avoir réussi à passer cet accord. Oui, car il aurait la fille, et en plus de ce cobaye de choix pour les scientifiques de la base, il ramènerait deux recrues ennemies parmi les plus brillantes, en les ayant ralliées à sa cause… Oui, avec ça, il aurait droit à beaucoup de récompenses, beaucoup…

- A merveille. Je compte sur toi pour tenir parole. Ne te vexe cependant pas si je prends mes précautions…

- Bien sûr… ce serait trop facile si tu me croyais sur paroles! Mais tu n'as rien à craindre tant que de ton côté tu respectes les clauses, tu as mon engagement!

- Sur ce, retourne te terrer avant que le soleil ne se lève. Et que je ne te revoies plus avant le jour J. Sinon, je prendrais ça comme une déclaration de guerre. Est-ce bien clair?


Pour toute réponse, un hochement de tête entendu accompagné d'un vague sourire carnassier qui révéla la pointe de deux canines de longueur inhabituelle. Phobhos jeta un regard dégoûté et méprisant à ce que les japonais nommaient un "absorbeur", un des rares presque parfaits en ces sombres jours. Il fallait qu'il se méfie, il ne pouvait en aucun cas faire confiance à cette vipère.
Jetant un dernier regard plein de défiance et lourd d'avertissements, il tourna les talon, sa longue traîne blonde voletant tel un aura argenté derrière lui. De son côté, Chizo se fondit dans les taillis pour aller trouver refuge où soigner ses blessures.
De retour dans la caverne, le jeune gradé alluma une bougie et observa longuement ses deux compagnons toujours endormis. Son regard s'attarda sur le visage de celle qu'il avait vendue, et il ferma son cœur aux remords qui frappait à sa porte. Cette jeune fille n'était rien, il n'avait pas le droit d'éprouver de la pitié à son égard. Il devait tout d'abord penser à lui-même, et à Jake. Le reste lui importait peu, le reste ne devait pas compter.
Et tandis qu'il se répétait sans fin ces mots dans sa tête, il se rendait peu à peu compte qu'il l'envoyait à la mort. Et si par miracle elle en réchappait, ce serait pour bien pire encore que la tombe. Alors on lui enserra le cœur, et une fois, une seule, il laissa une larme couler sur sa joue, symbole de ce qui n'avait pas le droit d'être, symbole de ce qui était bafoué pour la cupidité, symbole d'une vie entière qui vivrait sous le signe du sang. Rien ne pouvait plus enrailler les engrenages du destin, les dès étaient jetés.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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18. 03. 2009, 14:12

" - Tu n'es, Eleanore, qu'une Galatée au corps d'éternité, dont le coeur est resté de pierre..."



Chacun de ses mots devenait comme une nouvelle image. Des images terrifiantes, des images qui me paralysèrent cruellement dans ma douleur surgissante. La colère enfla en moi. Comment?! Comment pouvait-il savoir?! C'était impossible! Il ne pouvait pas! Il ne pouvait pas connaître, il ne pouvait pas conter cela, il ne pouvait pas! Je me sentais trembler de l'intérieur, tandis que je tentais désespéremment et rageusement de résister aux vacillements faisant faiblir ma fureur malgré moi. Personne!!! PERSONNE!!!!!! Personne, ne savait!!! Ne devait savoir!!! Pourquoi?! Pourquoi lui?! Comment?! ... Pourquoi...

Je frissonnais de la tête aux pieds, tandis que ma rancœur brûlante restait bien impuissante face aux mots qui l'attaquaient comme des langues de soleil impassible. Et, chose qui me désarçonnait par-dessus l'émotion qui déjà m'ébranlait, ce courroux s'éteignait peu à peu malgré moi, remplacé par l'évidence du vide en moi. ... Alors c'était donc ça? C'était donc à cela que ça menait? Toute cette lâcheté rabaissante, tout cet orgueil piétiné, tous ces châtiments volontairement infligés, tout ceci, ne menait qu'à l'échec? Cette hargne à tenter de s'éloigner du passé, cette obstination à fermer les yeux et les oreilles nous montrant notre intérieur, cet aveuglement volontaire, cette distance avec tout ce qui évoquait le mot "avant", tous ces sanglots contenus, ces insultes crachées, cette douloureuse indifférence, cette hypocrite impassibilité, tout ce foutu mensonge, ce n'était donc que ça? Juste cela? Du vent? Aussi inutile qu'un lambeau de soie face à une épée, aussi dérisoire qu'un cri contre la douleur? Ce n'était que ça? Rien? Rien du tout? Absolument rien? Non... Non. Non! Non, je ne pouvais pas le croire, je ne VOULAIS pas le croire... non...

"Non". Ce mot se répétait à l'infini à l'intérieur de mon être. "Non". J'avais toujours dit "non". Toujours et pour tout. J'avais dit "non" aux interdictions et aux règles, j'avais dit "non" aux obligations, j'avais dit "non" aux idées préconçues et aux pseudo-évidences, j'avais dit "non" quand on avait voulu me forcer, j'avais dit "non" à la raison, à la joie, au chagrin, j'avais dit "non" au limité, j'avais dit "non" à l'espoir, j'avais dit "non", encore et toujours, encore et encore, j'avais dit "non" à la résignation, j'avais dit "non" aux efforts, j'avais dit "non" aux sentiments, j'avais dit "non" à la fierté, j'avais dit "non" à l'orgueil, j'avais dit "non" à la faiblesse, j'avais dit "non" à l'infériorité, j'avais "dit" non à l'évidence, j'avais dit "non" à la mort, j'avais dit "non" à l'éternité, j'avais dit "non" aux dieux, j'avais dit "non" au Ciel, j'avais dit "non" à l'Enfer, j'avais dit "NON", non au destin, à la fatalité, j'avais dit "non", NON! Nooon! J'avais dit "non", mais au final, c'était comme d'avoir simplement fermé les yeux, et de les ouvrir finalement sur tous ces faux "oui", ces pseudo-"non", ces vraies impuissances, ces réelles, bien réelles, défaites, ces palpables échecs, tous ces "non" qui n'avaient servi à rien, simples hurlements humains contre la cruauté de l'éternité toute entière.

J'avais perdu, je le savais, je le sentais, j'avais échoué, j'avais cédé, j'avais perdu. Perdu... Sans pouvoir y dire non... Perdu... Perdue... Sans plus rien y pouvoir... Rien... Rien du tout... Absolument rien... Si c'était ce qu'il voulait, et bien il l'avait, ma rémission. Il avait gagné. Ils avaient tous gagné. Lui, Eux, tous, vivants ou morts, ils avaient tous gagné. Moi je perdais et me perdais, je jetais l'éponge, je baissais les bras. Tous, ils avaient gagné... Ils avaient gagné... Je ne voulais plus me relever. Je ne voulais plus tenter, une nouvelle fois, d'avancer un pas de plus, puis un autre, un autre, et un autre encore. Je voulais rester, assise là, sur le sol, et ne plus bouger, garder tout de même les yeux levés, et leur cracher leur victoire, avec tout le mépris et la rage qui restait encore dans ma pauvre âme supposée. Comme c'était doux... et immondemment cruel à la fois... Cruel, immonde, ignoble, inique, sadique, horrible, affreux... Dur... trop dur... Tant... tant et tant... pour peu... si peu... trop peu...

J'avais perdu, oui, mais ce que je ne voulais pas voir, ce que je ne voulais pas reconnaître par-dessus tout, ce que je me refusais à accepter, l'évidence contre laquelle je me débattais, me débattais vainement, c'était que, au fond, ma plus grande défaite était tout autre. J'avais perdu, oui... mais au fond, surtout contre moi-même. Et à ce moment-là, cette défaite-ci était bien plus humiliante, plus cuisante et plus cruelle que toutes les éternités du monde.

Complètement submergée, je me laissai glisser sur le béton humide et glacial. Mes yeux ne voyaient plus le ciel. Devant eux s'étendait tout autre chose que les étoiles mélancoliques sur le magnifique fond d'encre. Non, parce que je n'étais plus là, je n'étais plus moi. Non... j'étais là-bas... J'étais de nouveau elle...
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

Ce message a été modifié 1 fois, dernière modification par "Evangéline" (18.03.2009, 14:14)


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31. 07. 2009, 19:41

Le ciel… le ciel était obstrué par la fumée. Une fumée noire, lourde et asphyxiante, qui piquait les yeux, brûlait la gorge, affolait les sens, serrait le cœur, contractait les muscles. Disparu, la jolie voûte azure aux nuages souriants chevauchés par des dieux bienveillants. Envolé le Ciel de Träumerei.
Le chaos avait pénétré ce monde protégé du monde. Le monde mangeait un paradis.

Les yeux exorbités d'effroi, elle regardait, pétrifiée par cette horreur épaisse qui noircissait son univers, le ciel s'enfumant des brumes pesantes de la mort et de la terreur. Bien que les deux jeunes hommes l'eussent traînée de force loin du carnage, les hurlements raisonnaient encore dans ses oreilles innocentes. Elle avait cessé de se débattre depuis plusieurs kilomètres déjà. Maintenant, elle était amorphe, elle se laissait emmener sans la moindre résistance, trop sonnée par cette violence inhabituelle, trop terrifiée pour comprendre ce qui se passait vraiment. Trop tétanisée pour voir la mort recouvrir les siens, ou pour reconnaître parmi ces hurlements de souffrance et d'agonie, les voix de ceux qu'elle aimait. Elle était là, la main dans celle du bel éphèbe aux cheveux de soleil pâle, les jambes maladroites et les yeux agrandis d'épouvante.

Elle fit un énième essai pour ouvrir la bouche. Nouvel échec. Ses pieds cependant, répondirent à l'appel désespéré de son cerveau embrouillé. Phobhos se retourna vers la jeune fille au teint fantomatique, un air de reproche durcissant son beau visage marmoréen.

Ne prêtant pas attention à son estomac qui se tordait dans tous les sens, elle réussit enfin à parler.

- Je… je veux y retour… y retourner. Je veux… je… retourner là-bas.

- Tu voudrais faire quoi? Les sauver? Arrête d'être stupide pendant deux secondes, s'il te plait.

Derrière le voile épais qui l'enveloppait comme un lourd cocon noir, elle perçut qu'il la tirait de nouveau en avant sans témoigner plus d'intérêt à son refus d'avancer que cette acide tirade sifflée entre ses dents serrées.
Peur. Elle brillait dans ses yeux comme une cruelle étoile. Sa tête semblait aussi vide que les promesses d'éternité venues du ciel. Le Ciel les avait trahis. Ils avaient laissé pénétrer la mort dans leur monde, Ceux d'en haut les abandonnaient. Et que pouvait-elle face à l'impitoyable indifférence des dieux? Rien. Strictement rien. Mourir, juste mourir… ou fuir. Mais ses jambes ne la portaient que par miracle. Et elle refusait de partir comme une voleuse. Elle, ne voulait pas avancer. Elle voulait faire demi-tour. Elle ne voulait pas les abandonner.

Le regard dans le vide, Eleanore n'arrivait pas à comprendre. À comprendre pourquoi. Comment ces soldats étaient-ils entrés sur les terres de ses ancêtres? Comment avaient-ils su? Pourquoi? Pourquoi avait-elle entendu tous ces cris, ces hurlements de souffrance, ces râles, toutes ces plaintes, ces suppliques, qui finissaient immanquablement par un coup de feu, ou un ultime cri? Non, ce n'était pas… ils ne pouvaient pas… ils n'avaient pas le droit…

Et pourtant… tout ce qu'elle avait entendu lui prouvait le contraire. Mais c'était comme si le cerveau de la jeune Träumerish refusait de traiter ces informations. Les images de sang qui lui venaient n'avaient pour elle, aucun sens. Ce n'était que des cauchemars. Oui, juste des cauchemars. Elle allait se réveiller, c'était obligé. Tout cela ne pouvait être vrai. Cela ne POUVAIT PAS être réel… non…
La voix de Jake la ramena à la réalité. Elle releva la tête, l'expression un peu moins hagarde, mais les yeux toujours pleins d'une confusion terrifiée qui l'empêchait de réfléchir.

Soudain, elle s'arrêta, se stoppa net. La traction sur son bras se fit plus forte, plus violente. Mais même ainsi secouée, freinant des deux talons, elle refusa d'avancer. Relevant les yeux, elle croisa le regard de Phobhos. C'était lui qui la traînait donc ainsi en avant depuis tout ce temps… Pourquoi ne voulait-il pas la lâcher? Il lui faisait mal à force de serrer son poignet aussi durement. Elle avait l'impression qu'un étau de pierre l'enserrait à cet endroit. Et… pourquoi avait-il dans les yeux tant de colère? Avait-elle fait quelque chose de mal? Était-ce donc à cause d'elle toute cette douleur qu'elle avait entendue? Était-ce donc sa faute, ces colonnes de fumées et ce fracas de destruction, de mort? Ses yeux s'embuèrent de larmes.

- Je ne peux pas les laisser! gémit-elle, entre le cri et la supplique, et avec dans sa voix, encore quelques lambeaux de cette détermination si belle qui la faisait souvent briller.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

Ce message a été modifié 3 fois, dernière modification par "Evangéline" (31.07.2009, 20:47)


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31. 07. 2009, 19:45

Était-elle donc stupide? Le jeune homme se le demandait sérieusement.

- Tu as l'intention de te faire tuer? Demanda-il, âcre et brûlant de rage contenue.

- Ce sont les miens! Cria-t-elle d'une voix déchirée de chagrin. Ce sont les miens, je ne peux pas les abandonner! Je ne peux pas! Ils vont… Ils vont…

Le blond éphèbe laissa alors libre cours à la fureur qui arpentait jusque là en silence ses artères battantes de rancœur. Cette enflure de Chizo l'avait trahi, il avait fait massacrer les villageois. C'était ça qu'il appelait "mettre sous contrôle"?! Et maintenant cette cervelle de moineau voulait se jeter dans la gueule du loup! Il explosa, tandis que la jeune fille palissait. Trop désemparée, elle endura le flot agressif, tremblante, des larmes perlant dans ses jolis yeux pervenche.

- Ils SONT morts! Tu m'entends?! Ils sont MORTS! Tu veux mourir aussi, espèce d'imbécile?! Tu veux que ces bouchers te fassent subir le même sort qu'eux?! Qu'est-ce que tu crois pouvoir faire, petite idiote!? Les sauver? Pauvre inconsciente! Faire demi-tour ne servirait qu'à te faire tuer, et de manière d'autant plus pathétique et inutile que tu as pour l'instant une chance de t'en sortir! Alors tu avances maintenant! Parce que si tu y retournes, pauvre sotte, tu ne réussiras qu'à mourir! Et ça ne les sauvera ni ne les ramènera! Alors sauve ta vie! Il n'y a plus rien à sauver là-bas! Non seulement tu PEUX partir, mais en plus tu le dois! Avance! S'il le faut, je te traîne par la peau des fesses jusqu'en lieu sûr, mais je ne te laisserai pas mourir aussi pitoyablement, tu m'entends?! Alors cours! Et arrête un instant d'être stupide!

Écumant de rage, il n'osa pourtant pas la regarder dans les yeux. Se détournant, il la tira de nouveau en avant. Quand elle se dégagea, il ne se retourna pas. L'entendant courir derrière lui, il ne fit aucun autre commentaire, bouillonnant de colère contre lui-même, et contre ce monstre, qui, il le savait, n'avait jamais promis de ne pas faire de mal aux habitants de la zone. Qu'il se haïssait d'avoir été aussi stupide! Quel imbécile il faisait… Mais étrangement, ce n'était pas le fait d'être indirectement responsable de la mort de tous ces gens qui lui serrait le cœur…

Tout le temps que l'escouade asiatique mettrait à finir sa sale besogne leur donnerait de l'avance. Et c'était non négligeable. Surtout que la fille semblait trop déboussolée pour faire autre chose que les ralentir. Le jeune homme avait été tenté de la lâcher, de l'abandonner là, mais sa main avait catégoriquement refusé de desserrer son étreinte. Putain mais pourquoi réagissait-il comme ça à la fin?

C'est épuisés et courbatus qu'ils s'arrêtèrent, au coucher du soleil, sous le couvert d'une butte et des arbres. Jake alluma un feu, dormit un moment, puis partit en éclaireur, laissant seul Eleanore et Phobhos, dans le silence troublé de la forêt. Il ne reviendrait pas avant le lendemain matin. Mais Phobhos ne s'inquiétait pas pour lui, il le savait endurant, et relativement prudent. La jeune fille était prostrée dans son coin fixant les flammes de ses yeux aux profondeurs emplies de larmes et d'effroi, le visage crispé de chagrin. Le bleu des yeux de l'étranger restaient posé sur elle, avec une froideur au travers de laquelle filtrait une lumière étrange. Et le silence semblait les glacer tous deux, comme un flash s'attardant dans l'air et le temps.

Et soudain, elle releva la tête, le regarda. Et ce regard, si vivant, si triste et si brûlant de haine malgré sa couleur de glace, lui fit l'effet d'un coup de poing dans le thorax. Cette lave bleue qui flamboyait fièrement et s'agrippait en langues désespérées à son propre regard, lui donnait l'impression d'être un rocher gelé en train de fondre. Était-il donc si froid? Était-il si insensible que jusque là, jamais il n'avait senti le soleil sur sa peau?Avait-il jamais éprouvé, lui, la moitié de cette passion de vivre qui étincelait dans cette eau limpide aux parfums de droiture et de détermination? Avait-il jamais su ce qu'était vivre? Aussi loin qu'il essaya de se souvenir, il ne trouva que cette froide indifférence qu'il s'était forgée, au sortir d'une enfance sans tendresse. Avait-on le droit de renier cette lumière qui en cet instant, l'aveuglait soudain? Avait-il seulement le droit de faire semblant de ne rien voir? Il ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, mais en vérité il n'avait rien, rien du tout, à prononcer. Il mesurait le vide à l'intérieur de lui, et il mesurait soudain à quel point il était dénué de vie, à quel point il avait froid, sous son masque de marbre éclatant de beauté et de mépris.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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31. 07. 2009, 19:50

L'espace d'un instant, il ne fut plus cette statue de marbre froide sur laquelle les flots amers de la vie ne faisaient que glisser. Non, au fond il n'était qu'un jeune homme de trop peu de printemps pour pourvoir prétendre avoir vécu et qui déjà évoluait dans un monde de sang qui injectait dans ses veines le venin de l'inhumanité. Pourtant, il l'était, humain, ou au moins il l'avait un jour pleinement été… Mais maintenant, au nom de quoi pouvait-il prétendre à la compassion, celle des autres autant que la sienne? Il n'était au fond qu'un pion qu'on déplaçait le cœur confiant car il n'avait aucune envie de vivre et de ce fait n'avait aucune raison de trahir tant que l'on comblait la soif qui le dévorait. Une de ces soifs qu'on tente d'étancher en flattant l'orgueil et l'ambition mais qui bizarrement ne s'atténuent pas si facilement. Était-ce parce qu'en fait, elle ne venait pas de là? Ce besoin rongeant était-il en fait celui de vivre, et non pas le cri insidieux d'une fierté trop grande demandant plus de mépris que ne l'aurait voulu la raison? La réponse était-elle si simple, si évidente?

Il se sentait agressé par tant d'émotion en un seul regard. Qu'est-ce que cette fille avait de particulier au fond, à part cette énergie si… vivante? Humaine? Pourquoi avait-il l'impression d'avoir tort, alors qu'il savait pertinemment qu'il avait fait le meilleur choix possible? … Non, il fallait être honnête, ce n'était pas le "meilleur" choix, juste le plus arrangeant pour lui. Le plus égoïste. Le plus lâche. C'était d'ailleurs bien cela qu'il avait l'impression d'être en cet instant, sous les intenses flammes bleues de ce regard qui le troublait trop profondément, un lâche. Un immonde traître, un monstre. Qui prenait des vies sans se soucier le moins du monde du reste de l'univers. Avait-il seulement le droit?

Perdu. Pour la première fois depuis bien longtemps, il se sentait perdu, il n'était plus sûr, il hésitait. Pourquoi? Pourquoi donc ce trouble en lui? Lui qui avait si souvent tuer, qui jamais n'avait laissé filtrer ses émotions, au point de les oublier, souvent, pourquoi tout d'un coup devait-il rendre des comptes à sa conscience? Ne l'avait-il pas scellée, il y avait bien longtemps déjà?

Comme s'il rouvrait soudain les yeux sur la réalité, il se rendit compte qu'elle était contre lui, qu'elle sanglotait, et qu'il avait passé ses bras autour d'elle, la tête bien droite et le regard plongé dans des horizons cachés. Ses larmes lui mouillaient le torse à travers sa chemise, ses mains s'agrippaient à lui et tremblaient. Elle était là, si frêle, si fragile, brisée de détresse, échouée contre la chaleur réconfortante de son corps, et pourtant, c'était lui qui se brisait à chaque nouveau pleur, se sentant voler en éclats de l'intérieur, sans même comprendre d'où venaient ces coups fatals qui lui courbaient l'échine.

Alors il serra doucement sa tête contre sa poitrine, la gardant tout contre lui, étouffant étrangement ses sanglots. La jeune fille hoquetait, tentant de retenir son chagrin qu'elle n'avait plus su contrôler et qui maintenant refusait de se taire de nouveau. Pourquoi était-il si froid dans le fond? Pourquoi avait-elle l'horrible impression que ses sourires n'avaient été que de la poudre aux yeux depuis le début? Pourquoi prenait-il bêtement la peine de la serrer ainsi contre lui alors que la compassion, et même la pitié, ne semblaient pas être sans ce qu'il était capable d'éprouver? Pourquoi, puisqu'il ne se complaisait que dans le mépris?! Et ces tristes pensées ne faisaient que redoubler ses sursauts déchirants, tandis qu'elle s'agrippait avec plus de douleur encore à cet homme qui ne semblait aimer rien ni personne à part lui-même. Y avait-il de la place pour autre chose que cet orgueil trop grand pour lui? Trop grand pour le monde?

Quand elle sentit sa main lui caresser les cheveux, elle se sentit perdre pieds dans le puits sans fond des ténèbres qui la happaient. Allait-il enfin cesser de jouer avec elle maintenant qu'elle n'était plus rien? Eleanore ne retint même plus ses gémissements saccadés. Ils étaient tous morts, elle n'avait plus rien, et même cette douce hypocrisie sur laquelle elle avait jusqu'ici fermé les yeux ne faisait que la poignarder un peu plus.

- Chut… Du calme… Calma ti…
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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31. 07. 2009, 19:51

" Le corps tendu par ses grands airs, ses doigts collés à sa nuque... "
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...

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31. 07. 2009, 19:51

La douceur dans sa voix la fit presque sursauter. Elle avait envie de lui dire d'arrêter de faire semblant, qu'elle ne voulait plus croire à rien, qu'elle voulait qu'il la laisse là par terre sur le sol et qu'ils s'en aillent tous, la laissant mourir seule de chagrin. Mais elle n'arrivait pas à parler, les mots ne sortaient pas, et elle ne pouvait s'empêcher de boire ces mots comme si c'eut été vital. Quand ses tourments allaient-ils enfin cesser, si on la forçait à s'agripper au moindre lambeau de lumière? Pourquoi voulait-elle vivre à ce point? Qui lui imposait cet écrasant devoir? N'était-ce pas son droit de dire qu'il était temps pour elle de cesser de vouloir sourire bêtement aux nuages pleins de pluie? Pourquoi voulait-elle vivre encore à ce point?

Elle frissonna quand elle sentit sa main se poser sur sa hanche, avec une légèreté trop lourde d'envie pour ne pas l'écraser de doutes. À chacun de ses hoquets paniqués, à chaque fois qu'elle aspirait une goulée d'air, son odeur lui emplissait la gorge et les narines, entêtante, puissante, si suave.

Lentement, sa respiration s'apaisa un peu, parfois encore agitée de quelques soubresauts d'affliction, et plaquée tout contre son corps sculpté d'ange silencieux, elle écoutait les battements de son cœur, toujours si réguliers, si apaisants, si profonds, et qui semblaient immuables.

Sa main d'habitude si sûre semblait hésiter. Qu'y avait-il? Était-ce encore cette colère étrange et sourde qu'elle avait vue dans ces yeux un peu plus tôt? Lui en voulait-il? La méprisait-il autant que le reste du monde? Pouvait-il oublier qu'elle était… différente? Que leurs mondes, opposés, étaient voués à se détruire?

Ses lèvres entrouvertes caressèrent sa joue, tourmentées, tandis qu'il se dégageait un peu. Elle le vit alors, comme pour la première fois. Il n'y avait plus de morgue, plus de hauteur écrasante. Sa beauté marmoréenne et solaire semblait soudain bien désolée. Mais qu'il était beau… Il lui aurait dit qu'il n'était qu'une âme descendue du ciel qu'elle l'aurait cru. Le menton d'Eleanore se mit à trembler. Pourquoi la regardait-il de cette façon? Elle ne voulait pas le voir avec autant de souffrance dans son âme, qu'elle avait l'impression soudain de distinguer parfaitement.

- … Tu me hais?

Les mots étaient sortis avec un arrière goût de supplique auquel elle ne s'attendait pas du tout, moins encore qu'à ces paroles elles-mêmes. Était-ce encore un mensonge, une douce illusion? Quelles raisons auraient bien pu être assez immenses et horribles pour qu'elle en vienne à le haïr? Elle plongea dans le ciel torturé des yeux de ce visage qui restait si noble, même dans le doute et la douleur. Mais il n'y avait plus cette froideur qui pourtant lui avait parue aussi éternelle que les neiges glacées du sommet des montagnes. Non, il n'y avait plus rien de cela, à part peut-être encore l'ombre immense d'un orgueil déraisonnable un instant tu. Juste un sincère vide aux affligeantes consonances attristées.

Ses lèvres se plaquèrent contre les siennes, pour toute réponse et pour toute sentence. Ses mains s'accrochèrent à son cou tandis que celle du jeune homme glissaient sur elle, animées d'une fièvre intense et douloureuse. Elle ne voulait pas croire qu'il pouvait partir sans elle. Lui ne voulait plus penser à rien d'autre que cette douceur brûlante blottie contre lui.

Pour un moment, fierté et pureté se turent, laissant parler peut-être les cœurs au milieu du chant assourdissant de la passion des corps, sous le regard prévenu des âmes, qui savaient et qui avaient toujours su. Un seul tout se mêlant, tourbillon de désespoir et de plaisir, brouillant tout, aiguisant l'autre seulement, sous le couvert des étoiles aux tristes sourires de destinée.
Que sonne le glas de la Mort, que résonne la colère des cieux déchaînés, que s'élèvent les hurlements de désespoir et les suppliques vaines, que déferle le torrent des flammes infernales, que coule le sang de ces vies impies, que perlent à leur paupière le regret de leur vie souillée. Mais que cesse enfin, cet insipide et insidieux battement dans ma poitrine...