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La cité était froide et sombre, comme à son habitude.

Le bruit de ses bottes battant le pavé était le seul son qui parvenait à ses oreilles. Parcourant les rues sinueuses des quartiers pauvres, elle repensait à ses années de jeunesse, ces années de misère où elle n'était qu'une novice, à l'époque où Ultima Thule n'en était encore qu'à ses balbutiements.

Ces temps étaient révolus à présent, elle le voyait bien, les bâtiments autrefois grouillants de vie étaient maintenant réduits à l'abandon, et le peu de vampires qui habitaient encore là avaient déjà fui en sentant sa présence. Elle le savait pertinemment, elle avait fait partie des premiers anciens à peupler les beaux quartiers. C'était ce qu'elle était maintenant, une ancienne, même pire, une revenante. Revenue d'entre les disparus, ombre fugitive parmi celles qui parcourent les artères désolées d'Ultima Thule, fantôme parmi les fantômes, morte pour les morts-vivants. Il semble que l'on puisse mourir deux fois. Il lui semblait même qu'elle aurait pu mourir plusieurs fois, et revenir encore sans jamais se sentir à sa place.

Pourquoi avait-elle seulement fait ce chemin inverse, ce retour vers un passé révolu? Cherchait-elle quelque chose, une réponse à une question qu'elle ne se posait pas encore? Où était-ce uniquement par nostalgie? Sûrement pas, cette ville n'avait jamais été la sienne, ce n'était pas sa patrie, sa terre était un petit village gorgé de soleil qu'elle n'avait pu contempler depuis des siècles. Voilà la pire malédiction des enfants de Caïn, vivant dans un spleen baudelairien, à poursuivre des chimères dans les ruines d'un passé qui ne vit plus que dans leurs souvenirs. L'immortalité est un fardeau dont les immortels tentent de se débarrasser sans jamais pouvoir y parvenir car leur nature vindicative les empêche résolument d'embrasser la mort comme il se doit. Et elle ne faisait pas exception à la règle. Son retour dans la Cité Maudite en était une preuve de plus.

Elle arrivait finalement aux portes de son vieux manoir. Il était en parfait état, mais ce n'était sans doute pas l'oeuvre de cette vieille brute norvégienne. Ah ça! Pour faire la guerre il s'y entendait, pour semer mort et destruction, pour instiller la plus profonde terreur jusqu'aux tréfonds du coeur des hommes il n'y en avait pas deux comme lui. Elle seule savait de quelle tendresse il était capable, elle seule connaissait ses faiblesses et ses peurs, mais tout le monde savait que ce n'était ni un bon diplomate, ni un bon gestionnaire. En fait sa capacité d'interaction sociale se réduisait à une simple équation: seuls ceux dont il sentait qu'ils étaient capables de le tuer avaient droit à son respect. Pour les autres, échapper à la mort tenait du miracle.

Elle pénétra dans l'immense parc qui bordait son ancienne propriété. Tout de suite elle sentit une présence incongrue: Ulva était là, tapie dans un fourré non-loin d'elle. La belle vampire s'accroupit et de sa main froide caressa l'herbe humide qui tapissait le sol, appelant de ce signe l'animal à la rejoindre, ce qu'elle fit. Pourquoi l'avait-il ramenée de sa froide contrée natale? Sans doute en avait-il assez de sa solitude. C'était étrange, très étrange même. Un sombre pressentiment l'envahissait insidieusement.

Accompagnée de la grande louve elle se dirigea vers la porte d'entrée du château, et elle frappa à la porte. Après quelques secondes d'attente la porte s'ouvrit sur son vieux majordome, qui, à l'instant où il la vit, sembla s'affaisser. Les yeux clignotants il courba l'échine.

"Maitresse... Veuillez me pardonner nous n'avaions pas été avertis de votre venue, je m'en vais quérir le Maître et..."

Ce n'est pas la peine Peter, il sait que je suis là.

L'homme semblait très étonné qu'Ihsahn soit au courant de ce genre de choses et pas lui. Elle rit intérieurement, les humains avaient encore beaucoup de choses à apprendre.

Il ne devrait pas tarder à se montrer d'ailleurs.

Toujours aussi perspicace, à ce que je voit.

Ihsahn s'approchait d'eux, descendant l'immense escalier que l'on apercevait depuis la porte d'entrée. Sa haute taille et son air barbare lui conférait un charme indéniable qui lui faisait toujours le même effet, bien qu'ils soient officiellement séparés depuis des années. Il devait en être de même pour lui se dit-elle, à en voir par son air amusé il avait dû formuler la même pensée.

Eh bien Eléonora, que me vaut le plaisir de cette surprise?

Il s'inclina devant elle et ses lèvres touchèrent délicatement la main qui était tendue devant lui. Barbare.

J'aimerais revoir ceux que j'ai abandonnés. Kefka, Urule, Silk, Sorshea, que deviennent-ils?

Son visage s'assombrit presqu'instantanément. Les nouvelles étaient mauvaises.