Je me retiens de la prendre dans mes bras, ne serait-ce que pour la réchauffer un peu, et lui lance un petit sourire. Ton heure viendra, je ne t'ai pas emmenée pour rien tu verra. Un homme est en train de s'approcher de nous. Il est grand et élancé malgré les années de labeur qui ont buriné son visage de rides de sagesse. Vêtu de cuir souple, il s'approche de nous et s'agenouille dans la neige.
-Nous sommes très heureux de vous revoir Majesté, mais nous ne vous attendions pas de sitôt. Sven nous a prévenus à temps, tout est prêt pour vous et votre compagne, ô mon Roi.
Bonsoir Régisseur Svølfnnir. Vous pouvez vous relever.
Je me tourne vers la belle qui se tient silencieuse à côté de moi.
LuneRouge, voici Lars Svølfnnir, le maître de ces lieux en mon absence. Régisseur, je vous présente Dame LuneRouge. Veillez à satisfaire le moindre de ses désirs pendant notre court séjour. Suivez-moi, ma Dame.
Nous remontons le chemin bordé de torches.
Régisseur nous repartons dans quelques heures, veuillez préparer mon matériel de chasse, nous irons traquer l'ours, aux dernières nouvelles il en reste encore sur la banquise, je me trompe?
-Pas le moins du monde Majesté, vos traqueurs en ont aperçu un gros il y a à peine quelques jours, il semble vous être destiné.
Je capte son coup d'oeil vers la jeune femme qui marche à nos côtés.
LuneRouge nous accompagnera Régisseur, une chasse à l'ours polaire n'est pas un évènement auquel on échappe en ces temps où Yggdrasil nous fait don de ses derniers fruits. Voyez, même Ulva semble être de cet avis. Alors, quelles nouvelles de mon royaume?
La question est rhétorique, je suis évidemment au courant du moindre oiseau qui chie à des centaines de kilomètres à la ronde. D'ailleurs il le sait très bien, c'est lui qui m'en tient quotidiennement informé.
-La situation se dégrade avec les rebelles Rus Majesté.
Arrangez-vous pour propager la nouvelle de mon retour même si ce n'est que pour peu de temps, ça pourrait éventuellement les inciter à réfléchir à la proposition de traîté que nous leur avons envoyé la semaine dernière.
Sa voix se fait nerveuse, il bafouille presque.
-Majesté, je... Nous avons reçu une réponse, elle est arrivée il y a quelques heures. Sachant que vous arriviez j'ai préféré vous le dire de vive voix. Notre émissaire nous a été rendu.
Je stoppe brutalement notre marche dans la neige. Sentant mon trouble Ulva commence à grogner sourdement.
En un seul morceau?
-Non Majesté, uniquement sa tête. Il avait un morceau de papier plié dans la bouche. Le voici, Sire.
Il me tend une feuille froissée et ensanglantée. "Nous ne serons jamais les esclaves d'un tyran". Leur réponse est sans appel. Très bien. Ils veulent mourir, ils vont mourir.
Régisseur, convoquez immédiatement le Général Ragnarsson.
-C'est déjà fait Majesté, il vous attend dans votre bureau.
Bien. Je m'y rends de ce pas.
Nous arrivons à l'enceinte du château. Le bâtiment est sur le pied de guerre, les hommes sont rangés en bataillons, et derrière eux sont garées plusieurs Jeeps et un tank. Sur l'ordre de leur supérieur ils se mettent au garde-à-vous alors que nous passons devant eux.
Qui sont ces rebelles Rus, Brann?
L'emploi de mon prénom fait sursauter le régisseur.
Ce sont des descendants d'un peuple de vikings suédois qui unifia la Russie à la fin du premier millénaire. Ce sont eux qui ont donné son nom à ce pays. Après la guerre et le démantèlement des grandes puissances et l'émergence de nouveaux royaumes comme le mien, quelques illuminés se sont imaginé qu'il pouvaient me résister et ont fondé une principauté rebelle à mon autorité. Ils sont basés à Murmansk, peu nombreux mais bien organisés ils disposent d'ancien matériel soviétique. Ce n'est pas une force à prendre à la légère mais n'ayez crainte chère amie, je les écraserais comme des insectes, je les massacrerais tous, hommes, femmes et enfants, jusqu'au dernier.
Sans attendre sa réaction j'entre dans la tour. Les grands escaliers qui font face à la porte principale sont couverts d'un épais tapis rouge, et les couloirs qui partent de côtés fourmillent de serviteurs qui s'affairent aux préparatifs de départ des officiers qui logent encore ici. Nous prenons les larges marches en direction de mon bureau.
C'est un peu ma résidence personnelle ici, j'ai un palais dans ma capitale, Tromsø, mais je n'y vais que rarement. Les humains sous mon autorité sont gouvernés par le Haut-Conseil et l'Assemblée, j'ai mon mot à dire mais je ne le fait presque jamais, l'administration des humains ne m'intéresse guère. A l'inverse je prends mon rôle de Chef de Guerre très à coeur.
Ai-je laissé échapper un sourire cruel? C'est bien possible. Oh et puis après tout on s'en branle. Elle verra bien assez tôt quel genre de chef je suis, elle doit déjà en avoir un aperçu.
Nous entrons dans mon bureau, une rude pièce aux pierres froides couvertes par des tapisseries anciennes. Ragnarsson se lève à notre entrée et s'incline aussi bas que son embonpoint le permet.
-Majesté, j'attends vos instructions.
Général, vous prendrez le commandement des troupes situées à Port-Vladimir et vous attaquerez Murmansk dans 12 heures précisément. Rasez la ville, ne laissez aucun survivant, il ne doit plus rester beaucoup de monde là-bas de toutes façons. Nettoyez le secteur au napalm s'il le faut, mais je veut que dans 36 heures leur soi-disant Prince vienne à genoux me supplier de l'épargner.
-Il en sera fait selon vos ordres Majesté.
Le général sort rapidement de la pièce pour donner ses instructions et prendre la direction de l'Est. Je me tourne vers Svølfnnir.
Tout est prêt?
-Tout est prêt Sire.
Je regarde LuneRouge.
Chère amie je crois que vous allez devoir enfiler des vêtements plus chauds. Suivez le Régisseur, il vous montrera vos appartements et vous y trouverez de quoi vous équiper. Nous nous retrouverons à l'extérieur.
Une dizaine de minutes plus tard nous sommes en chasse . Quatre motoneiges, moi, LuneRouge (qui s'en sort très bien à ma grande surprise), mon Maître Chasseur et un de ses hommes. Ulva est allongée derrière moi, attendant mon signal pour sauter du véhicule et traquer notre proie. Le vent glacé me fouette le visage mais c'est tellement bon de retrouver la banquise. Une geste du Maître Chasseur et nous nous arrêtons.
-La piste est fraiche Majesté, nous devons continuer à pied pour ne pas l'effrayer.
Je saute de la moto et m'empare de mes haches, talonné par ma louve. C'est ce que l'on appelle la chasse à l'ancienne, pas d'armes à feu, nous allons chercher cet ours à pied et nous le tuerons à la force de nos seuls bras.