IIème Partie: La Colère D'Odin
Au coeur du pays Saami vers l'an 900
La nuit est tombée depuis trois semaines déjà. Après quelques heures de chasse je rentre à la misérable cahute que j'ai réussi à dresser dans cette forêt inhospitalière. Il fait si froid que j'ai du mal à découper ce renne, alors que la faim me tenaille quelle pitié! Je suis à deux doigts de le découper avec les dents tellement j'ai la dalle. Deux mois que je bouffe que des rennes et des baies, et pas un chat dans ce putain de pays, je suis trop au Nord. J'ai pensé redescendre un peu vers les nomades mais à quoi bon? Je dois avoir quarante ans à présent, je ne sers plus à grand chose.
Autour de moi, lande et forêts gelées. Des sapins immense, centenaires, et un sol de glace. Il fait trop froid pour neiger ici, je suis au bout du monde. Et je suis seul. Je cherchais Odin mais il n'est nulle part, j'ai cherché la Mort mais elle n'a pas voulu de moi. Hel m'attend quelque part, je le sais, mais où? Depuis combien de putain d'années j'erre dans ce trou misérable? Je finirais bien un jour par trouver une des racines d'Yggdrasil, ou croiser Fenrir au détour d'un sentier, mais jusque là, rien. Rien que le silence et la solitude.
Depuis deux ou trois jours il se passe un truc bizarre: je ne suis plus seul. Un matin (je dis matin mais il faisait toujours nuit), en me levant, j'ai constaté des traces de crocs dans un des cadavres de renne de la veille. Le sol est trop dur pour qu'il puisse s'y imprimer des traces de pas, mais vues les marques c'était clairement un loup. Ca semble être un délire car aucun loup ne se promène seul dans ces contrées, il n'y a aucune meute par ici d'ailleurs, mais les marques de crocs ne mentaient pas.
Et puis hier je l'ai vu. Enfin aperçu plutôt, se faufiler entre les sapins en me regardant de ses yeux jaunes, un grand loup gris, décharné, squelettique. Puis il a fui, aussi discrètement qu'une ombre, et je ne l'ai plus revu jusqu'à maintenant, où il se tient face à moi. Mais il n'est plus seul.
Un homme marche à ses côtés, et cet homme je l'ai déjà vu.
"Bonsoir Brann, ça fait longtemps n'est-ce pas?"
La dernière fois que je l'avais vu ses canines étaient ensanglantées, à présent elles brillent à la lueur de la lune. C'est l'homme de Gjesvaer, dont j'ai décimé les gardes il y a une éternité, et voilà qu'il se dirige vers moi comme si de rien n'était, comme si nous étions de vieux amis. Il a toujours ce sourire narquois, comme s'il s'attendait à ce que j'ai peur de lui. Eh ben tu te gourres mon pote, tu ne me fais pas peur, envoie-moi rejoindre Odin si c'est pour ça que tu es là, je ne demande que ça que ma vie s'achève enfin.
"Oh ce n'est pas demain que tu verra Odin mon ami, mais tu as raison sur un point, ta vie s'achève cette nuit."
Putain ce démon lit dans mes pensées? Ca c'est fort! Je suis sur le point de lui demander de m'apprendre à le faire mais après réflexion je me rend compte que ça ne servirait à rien, quelles pensées aurais-je à lire puisqu'il n'y a personnes à des centaines de bornes à la ronde? L'homme se lève brusquement:
"Je suis un malotru je n'ai même pas fait les présentations: Brann, voici Brann! Etrange coïncidence n'est-ce pas?" dit-il en s'approchant du grand loup resté à l'écart. "Je l'ai recueilli il n'était qu'un louveteau égaré, comme toi Brann, comme toi..." Sa main fine et pâle caresse le pelage du loup qui émet un grognement sourd et tend une langue râpeuse vers son maître. Celui se tourne vers moi, et commence à avancer, lentement.
"Ton ancienne vie est terminée, Brann, commence-t-il d'une voix profonde, métamorphosée. Tu ne parcourra plus les contrées glacées à la recherche d'une réponse car tu viens de la trouver, je suis ta réponse et tu sera ma question."
Sa dernière phrase énigmatique me laisse une impression étrange mais je n'ai pas vraiment le temps d'y réfléchir car il est sur moi. Je ne sais pas comment il a fait cette distance en un instant mais à vrai dire ce n'est pas le moment d'y penser, je suis en danger de mort et mes réflexes engourdis se réveillent enfin. Mes armes sont trop loin mais ils me reste mes poings. J'essaie de frapper l'homme dont je ne connais pas le nom mais il est insaisissable, évanescent, je ne peux frapper que le vide alors que je sens ses mains m'agripper. Sa bouche se pose sur mon cou et je ressent une douleur immense et profonde et tout mon corps est saisi d'une sorte de transe effrénée tandis que sa bouche est encore collée à moi.
C'est la fin. Ma conscience s'effondre doucement et dans mes derniers instants je repense à tout le mal que j'ai fait, à tous ceux morts par ma faute, Bjorn, Thorsten, mes parents, mes guerriers, mon peuple, et Helga, ma douce Helga, il me tarde de te rejoindre...
La dernière chose que j'entends est le rire dément du monstre qui vient de me vider de mon sang, et dans un tourbillon de ténèbres je disparais à jamais.
Ce message a été modifié 1 fois, dernière modification par "Eleonora" (13.09.2008, 21:59)