été 1986
Le vent frais de la nuit. L'aimable et confidente atmosphère anglaise accompagne le vampire dans sa sortie de concert. Encore enivré de sons étranges, fascinants, et parfaitement inaudibles pour les classiques, qui rythmèrent le concert, Xezbeth regarde passer une jolie jeune fille. Enfin, la vision trouble, c'est ce qu'il espère.
Sortant une cigarette d'un paquet usé, il l'accoste avec la facilité qui lui est propre lorsqu'il est sous les effets d'une quelconque drogue.
"Hey, miss, hav' ya got a light?
-Sorry little boy, but you shouldn't smoke, it's bad for ya!"
Et la malheureuse de lui prendre sa cigarette, la poser à ses lèvres et de se l'allumer. L'effet est immédiat, et ne plait guère à Xezbeth. De quel droit cette vieille peau se permet-elle de lui prendre son "tombeau"? Heureusement, personne dans le coin.
La femme se retrouve vite avec une main profondément plongée sous sa cage thoracique, et par réflex, le vampire saisit la cigarette avant que la victime ne crache du sang, ce qui ne tarde pas.
Dix minutes plus tard, le vampire au corps adolescent est perché sur un toit quelconque de la ville. Il a fini son cadavre et sa clope, et cherche maintenant de quoi s'occuper: les effets des pilules diminue et les dialogues avec Sustrugiel sont lassant au bout d'un moment. Par dépit, il choisit enfin de s'installer sur ce même toit pour la nuit, histoire de réfléchir au lendemain. Devant ses yeux défilent des images tirées pêle-mêle de ses désirs, de son passé, et de son imagination torturée. Le toute forme ce qu'un fou a appelé le "rêve", et ce qu'un autre fou a décidé d'interpréter. Si seulement Xezbeth avait pu boire ce Freud, voir ce qu'il avait vu, sentir ce qu'il avait mis à nu...
Rien ne servait d'imaginer cela, aussi voulu-t-il s'intéresser à ces rêves qu'il gardait en mémoire depuis toujours. Notamment celui-là, qui avait faillit pour la première fois le guider droit au bûcher: le voilà petit, il arrive dans le donjon et s'arrête au pied de l'escalier. D'en haut, un rire sonore éclate et un énorme rapace (ce qu'il assimila plus tard à un vautour) descend en cercles concentrique. Arrivé à son niveau, l'oiseau se transforme à grand renfort de fumée en une sorcière aux traits fins, et qui n'a d'effrayant que la tenue, le bâton de bois noueux et le titre de "sorcière". Cette dernière, chaque nuit, le met face à un défi, qui entrainera la mort de ses proche, ou du petit Siegfried (l'être humain qu'il est encore à l'époque). Et chaque nuit, le pauvre enfant échoue lamentablement, se réveillant en pleures, et au genoux une douleur foudroyante.
Malgré les années, Xezbeth se souvient de ces détails, mais pas du contexte dans lequel il évoluait, aussi la technique freudienne ne sert elle à rien. Mais si seulement il pouvait se souvenir... comprendre ce qui l'effrayait tant chaque nuit, le faisait hurler de douleur, une douleur bien physique...
C'est à ce moment empreint d'amers souvenirs que Sustrugiel refit surface. Comme une tête qui sort lentement de l'eau, soulevant une fine couche protectrice à la surface, les paroles de Sustrugiel ne sont pas claires pendant un instant, puis, une fois la membrane déchirée, Xezbeth comprend. Sustrugiel s'ennuie, il veut plus de sang, il veut plus de meurtre. Il veut s'amuser avec ses victimes.
Avant de laisser complètement le contrôle à cette bête, Xezbeth sort de ses poches quelques livres qu'il va dissimuler dans une cheminée voisine, avant d'effacer ce souvenir à sa mémoire commune. Au moins, lorsque la bête sera rassasiée pourra-t-il retourner à sa philosophie...