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27. 08. 2008, 17:52

[Personnel, première partie de mon bouquin]Annlombre

- Appelle-moi Ridi.
C’est comme ça qu’elle se présente, c’est plus simple. Ridi, en deux syllabes, ça sonne mieux qu’Iridia, trop long sinon. Faut croire qu’elle aime pas son prénom. Le gars au cheveux sombres acquiesça et commença a rouler. Un long cône remplit d’herbe et de tabac, saupoudré de poudre blanche. Une porte, un passage, vers une défonce totale. Joshua, le hacker toxico, le dealer, cala correct le carton histoire que ça tienne, puis alluma. Les vapeurs de cannabis emplirent toute la pièce. Soirée pépère dans le squat déglingué. La fumée voila un instant ses lunettes noires, puis le THC se chargea du reste.
- T’es fugitive ?
Elle le regarda quelques secondes, histoire de voir. Traître ? Indic ? Nan, pas son style. C’était pas trop son trip, fricoter avec la flicaille, pas bon pour les affaires. Pas pour les siennes. Trop impliqué le gars, trop profondément. Pas connu, sinon c’est la mort, mais assez pour qu’elle sache de quel bord il était. Si tant est qu’il y en avait un. Dehors, les superstructures de polycristal jetait une réverbération soutenue, pas forte mais constante, une demi-teinte argentée. La Tour, au loin, qui emplissait le paysage, comme partout en ville. Et le bruit de quelques gouttes, retombées acides. Classique.
- On va dire ça comme ça. Jsuis pas la seule. Et tiens pas à me faire remarquer plus que les autres. Le gars a qui j’ai demandé m’a simplement dit que tu fourguais une came correcte, il avait pas tort. Ça nous suffira, okay ?
Elle avait un léger accent japs, le genre qui reste en contre plan, ça faisait association avec ses yeux bridés et son teint clair. Les cheveux longs, attachés en une tresse impeccable qui lui chutait jusqu’en bas des reins. Jolie. Ce qui tranchait, c’était un genre de fusil d’assaut bien entretenu posé à coté d’elle. Cran d’arrêt relevé. Sûr, elle plaisantait pas, même en pleine pause fumette. Elle avait la dégaine d’une ancienne des forces spéciales d’un quelconque pays d’avant-guerre qui se retrouverait projetée ici, une décennie plus tard, sans trop comprendre pourquoi.
- No problème ma belle. Ça me regarde pas, donc on en parle pas. Profite, je lance le son.
Posé sur son fauteuil cybernétique, Joshua pianota sur un clavier incrusté dans un des accoudoirs. Quelques basses lourdes, denses, résonnèrent à leurs oreilles. Du vieux métal, tendance doom, vingtième siècle. Reposant, ptete un peu angoissant, mais pas bien méchant. Sous ses muscles jouaient les filigranes de quelques câbles implantés, aux extrémités des connectiques, des traces de piqûres aux coudes. Et dans son dos, le fantôme d’un tatouage complexe se devinait, se prolongeant sûrement bien plus loin. Difficile avec le manteau de cuir noir élimé qui le recouvrait jusqu’aux jambes, avec ses puces et ses appareils cousus un peu partout. Yen avais probablement pas la moitié qui servait à quoi que ce soit, mais ça envoyait le style. Dans la mouvance techno-ghost, une nouvelle dérive, une nouvelle révolte contre une quelconque autorité. Sous la patine de briscard des bas-fonds, Joshua avait quelque chose de la haute. On aurait dit un gamin balancé sans trop savoir pourquoi au cœur de l’enfer ordinaire qui régnait dans le coin. La fille, défoncée, rejeta sa tête en arrière pour contempler la vitre qui servait de plafond. Même si celle-ci avait été suffisamment clean pour qu’on y voit le ciel, les nuages de pollution aurait escamoté les étoiles et la Lune. C’était probablement triste. Un bâillement, elle laissa entrevoir un instant ses canines proéminentes, mais l’autre n’eut pas l’air de le remarquer. Une fois la musique bien lancée, il attrapa une bière qu’il décapsula, et lui en jeta une autre.
- Bon, t’en veux combien ?
Iridia releva les épaules, enfumées.
- Un sachet. Si ya pas d’embrouilles, j’en reprendrait plus. Conso perso. Et on m’a dit que jpouvais te demander pour régler certains détails.
- Tout dépend. De quoi t’as besoin ?
Maintenant elle n’avait plus l’air explosée. Peut-être qu’elle jouait la comédie.
- Une planque correcte, pas connue. Une unité centrale, du matos, une connexion cybermonde. Des munitions, et un bon réseau d’amis.
Il attrapa le cône, puis réfléchit.
- Tu lâches combien pour ça ?
Elle fouilla dans la poche de sa veste, modèle ancienne Armée du Pacifique. En sortit une liasse de billets sales et poussiéreux. Mais corrects. Les bandes électroniques brillaient à la lumière feutrée de la lampe style européenne.
- J’ai 2500 Euro-dollar en coupure de 10. Comme acompte. Le reste plus tard, une fois que jserais installée. Cinq fois plus, et encore cinq de mieux pour le nom d’un contact à l’Inquisition.
Elle eut l’impression que les yeux lui sortait de la tête. A tel point qu’il faillit s’étouffer avec la fumée de son spliff. Mais il eut l’intelligence de vite se reprendre.
- Du lourd ma grande. Va falloir allonger. Mais peux te trouver ça, l’ami Joshua peux tout trouver, pour peu que t’ai la monnaie.
Le claquement des gouttes se fit plus insistant. Façon carillon mystique, yavait ptete que ça de beau dans cette ville, quand la pluie rebondissait sur chaque pont entre les édifices, sur chaque vitre. Le hacker tira une autre latte.
- Donne-moi trois jours. Le temps de voir ce que ça donne. D’ici là, tu te fous dans un hôtel à cercueil quelconque et t’attends. Et tu me files ton ID, que je puisses te contacter.
Elle secoua la tête, désolée.
- J’ai pas d’ID. Ni légale, et pas plus illégale. Jsuis nouvelle dans le coin. J’ai besoin d’un encodage passif de toute urgence, histoire de pouvoir me balader.
- On va s’en occuper. Cadeau pour la nouvelle arrivante.
- T’appâtes le client, non ?
Il sourit à pleine dent et fit tourner son siège vers sa console. Entra un mot de passe, l’écran s’illumina, ainsi que divers dispositifs. C’était un vieil engin trafiqué de partout, avec un boîtier qui venait probablement d’une quelconque start-up japonaise qui avait fait faillite depuis. Joshua y avait relié des tas de périphériques, des interfaces neuronexions, et également un banc de chirurgiens télé-monitoré. La fille s’installa dessus et effleura du doigt une broche implantée sur le côté droit de son crâne. Comme toutes les personnes sur Terre à présent. Le système était la carte d’identité et le téléphone portable du milieu du 21e siècle. Mais pour pouvoir l’utiliser, il fallait avoir un identifiant, ne serait-ce que pour se balader en ville. C’était même étonnant que cette fille ait pu rentrer sans se faire avoir par les flics, se dit-il. Un manipulateur s’accrocha aux augmentiques puis découvrit une broche qui s’enfonça dans dans le port électronique. Il envoya une série de donnée qui s’implantèrent automatiquement dans les fichiers de sauvegardes, puis acheva de crypter le tout. L’opération avait prit moins de dix minutes. Là où, avec un matériel ordinaire, une heure aurait été nécessaire.
- Voilà. Maintenant tu te nommes Natacha Aleksandrov. Tu es née en 2023 à Vladivostok, ton père était un diplomate russe, ta mère une riche chinoise. Tu as fait tes études à Moscou. Pour le reste, je te laisse gérer, retiens juste ça.
- T’es un rapide, le hacker. Merci, jte laisses. Oublie pas de me contacter quand t’auras ce que je veux.
Elle reprit sa veste et son flingue, ainsi que le pétard à moitié fumé que Joshua lui tendait en guise de salut. Puis elle lui fit un signe de la main, et sortit, sur un hurlement d‘un moteur.

Traître™ n°1
Parce que nous n'avons aucune morale, aucune fidélité, aucuns amis et que nous aimons ça.

2

15. 10. 2008, 14:42

Dehors, c’était sombre. Comme d’habitude, deux heures du mat‘. Entre les immeubles polycristallins, on entendait rugir le vrombissement d’un moteur lancé à pleine vitesse. Un engin monoplace dépassa en trombe une supérette à la vitrine explosée. Arrivé à un embranchement, de petits réacteurs s’allumèrent, le faisant bondir au-dessus du trafic avant de retomber sur son unique roue gonflée à bloc. Puis l’appareil continua le long d’une ruelle. Esquive une poubelle, puis se retourna. Les deux mitrailleuses légères rougirent en s’échauffant, puis crachèrent une volée de métal scintillante. Au loin, deux formes volantes tombèrent en flammes. Trois autres suivaient. Des anges. Chacun armé de deux épées, filant comme des missiles. Le cockpit de l’unité mobile se releva, et une jeune femme en descendit. Elle releva un énorme flingue ouvragé. Un jouet unique, un accélérateur linéaire magnétique réduit à la taille d’une arme de poing. La cellule énergétique lâcha un éclair, suivit du hurlement du projectile qui traversa l’air pollué avant de descendre une nouvelle créature ailée. Plus que deux. Son arme vide, la fille dégaina deux dagues en titane, effleura une commande sur son engin, qui disparut, puis courut. Droit derrière elle, poursuivie par les deux anges, presque morte de rire. Un mur, cul-de-sac. Elle saute, prend appuis dessus, se retourne en vol et percute le premier de plein fouet, lui laissant la première lame dans le bras. Puis elle retombe et se relève, en sort une nouvelle. Une grenade à main écarlate. Elle éclata de rire, puis bondit sur le côté, échappant aux quatre lames qui menaçaient de lui décrocher la tête des épaules. Courant le long du mur, rapide, elle tira la langue à ses poursuivants avant de leur jeter l’explosif. Une bombe au plasma. La chaleur consuma toute trace des deux monstres.
Puis elle revint tranquillement à son origine. Une sorte de fée biomécanique l’attendait, comme assise dans le vide, mais ce n’était que le dispositif stealth qui protégeait son unité mobile des attentions indiscrètes. Une fiche et un câble vinrent se loger entre ses doigts, elle les brancha aux implants derrière ses oreilles de chat bioniques, et entreprit de faire son rapport.
- Inquisitrice Nequesh, pour quartier général Inquisitorial. Code de sécurité Ouroboros. Mission de routine, destruction de cinq créatures de type Ailées Mineures. Utilisation d’une cartouche de Ravage, d’une dague, d’une grenade plasmique et d‘un chargeur de Centauri. Dégâts mineurs aux bâtiments. Fin de transmission.
Mission de routine, ouais tu parles, encore une action pourrie, pensait-elle. Le genre dont personne ne veut se charger. La fée vint se poser sur son épaule alors qu’elle s’asseyait contre le mur. Une cigarette au bec, elle se remémora quelques détails.
Elle était née il y a 27 ans, à la fin de la crise économique qui s’était muée en guerre totale. Les sociétés d’import-export, principalement venant des nouvelles technologies de 4e génération, avaient réellement prit le contrôle de certains États. L’ONU ne voulait plus rien dire quand des businessmen cinquantenaires avaient assez de fric pour se payer un armement meilleur que n’importe quel pays. Ensuite ça avait dégénéré, une tête nucléaire était partie dans le vent, avait été interceptée au-dessus d’une petite ville au cœur d’une Amérique du Nord coupée en cinq. Vitrification pure et simple, ça avait été le signal d’alarme. Immédiatement, une forme de paix précaire avait été signée, mais autre chose se profilait. Les catastrophes climatiques. Les conneries humaines avait renversé le cours originel de la nature. Tempêtes, sécheresse. L’Afrique ne subsistait plus que par poches, complètement cramée. L’Europe avait perdu une bonne partie de ses terres, tout comme les îles d’Océanie et le sud de l’Asie. Alors le seul moyen de s’en sortir avait été montré par les sociétés autrefois honnies : les arcologies, sortes d’immenses cités en verre ultra technologiques, les ultimes repaires. Londres avait été transformé. Montréal aussi, et Seattle, et plein d’autres. Et dans tout ce merdier avait émergé Annlombre.
Elle, elle avait cinq ans quand elle était arrivée ici. Ça paraissait idyllique, après les éruptions à moitié naturelles du Mont Sainte-Hélène qui avait emporté sa sœur. Seulement voilà, on ne sait pas comment, des créatures l’avait investie, et s’entretuaient. Des humanoïdes avec des ailes blanches et des épées, l’imaginaire collectif les avait vite baptisés Anges. Et en face, des créatures écarlates bipèdes, avec des griffes comme des poignards à la place des doigts. Des Démons, logiquement. Le même jour, une brume avait entourée les deux derniers étages de la tour principale, et personne ne pouvait plus y rentrer. Au début ça avait plein de noms emplit d’esprit, maintenant c’était la Tour Rayonnante, rapport à l’orage perpétuel qui sévissait autour. Ou la Tour, simplement, avec le T majuscule accentué, qu’on saches quand même de quoi on parles. En réaction, une nouvelle forme de milice avait émergée, financée par les dons des inquiets et des peureux : l’Inquisition, qui chassait ces manifestations de l’étrange. Et pour en revenir à la miss Nequesh, à sept ans, elle avait vu ses parents se faire mettre en miette par une de ces choses qui était entrée dans leur appartement. Planquée sous le lit, elle en avait quand même prit plein les mirettes. Un inquisiteur s’était ramené, avait mit en fuite la créature, l’avait probablement tué, s’était émue de la petite orpheline et l’avait élevé. Deux décennies plus tard, elle chassait ces bestioles pour le compte des grands pontes de l’organisation. Et certains soirs, ça la faisait quand même vachement chier.
Et en plus, une goutte d’eau empoisonnée venait de tomber pile sur le foyer de sa clope. Le genre de truc qui n’arrive que quand on en a vraiment pas besoin. C’était proscrit de la rallumer. Les agents chimiques réagissaient très mal à la chaleur, autant la pluie était peu toxique, autant la vapeur chaude pouvait être mortelle à cent pour cent. Dégoûtée, elle jeta le mégot et s’apprêta à remonter sur son engin. Natrelle, son paternel adoptif, devait l’attendre pour le débriefing. Oh et puis merde, ça pouvait attendre. Nouvelle Aube était pas loin. Le bar des bas-fonds, le repaire des jeunes loups et des anciens oubliés du système. La planque idéale pour oublier, le temps d’une soirée. Elle rechargea son flingue, prit quelques dagues et relança le mode stealth. La fée se planqua dans la poche intérieure de la veste longue qu’elle venait de mettre, du sur-mesure, avec un tissage de kevlar diamantin en interne. Elle s’évanouit.
Dix minutes plus tard, la voilà devant la porte du bar. Ça puait la came à cent mètres, un type complètement arraché traînait sur le sol, en compagnie de sa flaque de vomi. Crade. A l’intérieur, ambiance Cour des Miracles. Des jeunes gothiques décérébrés se trémoussaient sur une musique criarde qui n’avait plus grand-chose à voir avec le métal ou la darkwave du siècle précédent. Des vieux zonards, l’air mauvais, cuvaient au fond de la salle, des dealers posaient leurs étals à même le sol et fournissaient pour tout les âges. Ça sentait un peu la communauté forcée pour certains. Et au fond, le bar, en pièces de récupération genre béton armé. Le barman, Rebe_4, avec ses dreadlocks et son masque de cuivre, qui ne laissait voir que sa bouche et sa mâchoire inférieure. Ça lui suffisait pour gueuler. Ou sourire, dans le cas présent.
- Chaton rentre au bercail. Qu’en est-il de sa chasse ?
Nequesh s’assit sur une chaise haute rétro, et planta une de ses dagues dans le comptoir. Pure précaution, formellement acceptée.
- Comme d’hab‘, Reb’. Cinq piafs qui jouaient les durs sur Neotech Avenue. Jleur ait réglé leur compte. Envoie-moi un Jade Pourpre, j’ai soif.
Signe de tête, et il se retourne, pas inquiet. Faut dire que cinq de ses gars surveillent en permanence la salle, automatique anti-émeute sous la main, à chaque coin.
- Panthère, le Masque entend des rumeurs. La voix du Peuple Obscur lui dit que les choses vont de pire en pire. La voix dit qu’elle n’a jamais vu autant de Volants et de Rougeauds depuis la Fondation. C’est à la couvée de Panthère de s’occuper de ce genre de désagrément, n’est-ce pas ?
- On va dire ça. Mais tu sais ce qu’il en est. Ces salopards d’Angelots sont insaisissables, les Carmins sont bien fortifiés. On a essayé tu sais, mais les déloger, c’est la merde. Alors on sauve les meubles en attendant de trouver un défaut dans la cuirasse.
- Panthère, le Masque a peut-être un truc pour toi. Il se dit que ce genre d’histoire, c’est pas bon pour les affaires. Alors il se dit que si tu devais rendre visite à celui qui porte le même nom que son père. Il sait beaucoup, et pourra probablement t’aider.
- Et je le trouves où, ton gars ?
- Si c’était Rebe_4, le Masque, qui devait chercher, il irait du côté des aéro-docks. La solution se trouve part là.
- Et ça me coûte combien ?
- 300 yens. Un prix d’amis.
Elle lui jeta sur le comptoir la somme en pièces sonnantes et trébuchantes -le prix de la conso en fait- et se détourna. Sur la scène, de l’autre côté, un groupe de jeunes techno-punks venait d’attraper les instruments, et jouaient un air révolutionnaire à la mord-moi-le-nœud, qui tenait plutôt du complexe d’ado gosse de riche que de l’avant-poste de la contestation. C’était pas ça qu’il lui fallait. Elle se cassa.

Traître™ n°1
Parce que nous n'avons aucune morale, aucune fidélité, aucuns amis et que nous aimons ça.