Une sirène retentie dans la brume du port au moment où l’inspecteur Brown écrase sa clope. Les camions de flics sont garés en cercle sur le port depuis un bon moment. La zone est bouclée. Le gros paquebot s'enfonce en hauteur dans les brumes comme un géant de fer qui rêve. Les gars du labo sont arrivés, et tout le monde n'attend surement plus que lui à l’intérieur.
Le boulot d’inspecteur, c’est essentiellement d’enregistrer. Les sons, les paroles, les visages, les faits. On doit rentrer dans une maison juste quelques secondes pour poser deux, trois questions et pouvoir dire en sortant de quelle couleur sont les poignées de la table de la salle de bain, si le locataire boit du thé ou du café et la marque de PQ qu’il utilise. En somme, on est des dictaphones humains. C’est le quotidien. Mais des fois il est aussi attirant qu’une démangeaison grattée et on est prés à tout pour l’oublier. Les dictaphones aussi font des cauchemars.
On a beau repousser, y’a un moment où il faut se décider. Il mets ses mains dans les poches de sa veste et rejoins les voitures. Ses pas font grincer le petit ponton jusqu'aux entrailles du monstre. A l’intérieur, les couloirs étroits sentent la sueur, la marée et le vieux plastique. Vous rentrez sur un bateau, vous avez beau être encore au port, vous êtes quand même dans un autre monde. Les craquements du bateau vous le rappel à chaque secondes.
L’inspecteur se faufile au milieu de toutes les professions qui font la police anglaise du 21 ème siècle. Scientifique en combinaison blanche intégrale, simple flic preneur de notes, sécurité… La porte qui donne sur la pièce du crime est à quelques mètres. On la repère vite car tous ceux qui sont à portés ont un mouchoir sur le nez, excepté la police scientifique. Ces gars sont insensibles. Les yeux aussi expressif qu’un périscope. Des yeux de camé. Mais là c’est pas l’héroïne qui leur lessive le regard, mais plutôt une vie entière à voir de la bidoche humaine dans toutes les situations possibles.
L’odeur se fait de plus en plus forte pour devenir insoutenable une fois devant la porte. L’inspecteur fait une pause pour se mettre un mouchoir sur nez puis jette un regard au chef des « blouses blanches » qui semble perdu dans ses papiers. Ce dernier lève finalement les yeux pour lâcher un :
- « C’est bon vous pouvez y aller, on a fini. »
Courage c’est que le cinquième du mois. Brown se glisse entre les deux gorilles et enjambe le pas de la porte. L’odeur forte lui prend la gorge à travers le mouchoir. La gamine est de type asiatique. Elle doit avoir dans les 20 balais. Elle est pendue au plafond par une corde qui lui tiens les bras dans le dos et le cou. Elle est nue, a une entaille nette en demi-cercle sous chaque sein, et plus de bassin ni de jambes. Son corps s’arrête sous son nombril, le reste a été arraché. Un boyau lui sort du ventre pour s’enrouler parterre dans la couche de sang et de viande pourpre et violacée qui recouvre tout le sol de la pièce. Un bâillon s’enfonce entre ses dents. Des traces de sel séché forme deux marques blanches sur ses joues qui indiquent qu’elle devait être vivante pendant la "séance". Ça, c'est ce qui vous saute en premier aux yeux (et aux narines). Ce qui marque tout de suite après, c’est les centaines de petits objets qui descendent du plafond, pendus à des ficelles jusqu'à un quart de la hauteur de la pièce. Des plumes noires, des bouts de bois sculptés, des figurines, des dents sales, des petits os, des cheveux tressés, des lanières de cuirs.
Brown sort de la salle. On le regarda comme quelqu’un qui affronte un cancer.
-"Joli ce coup-ci, n’es pas ?" tenta le scientifique à lunettes.
-" Je sais pas comment vous faites pour rester enfermé ici. J’ai besoin d’aller respirer dehors. "
La cigarette crépita entre les dents de l’inspecteur. Son regard se perdit un moment dans le brouillard matinal de l’horizon puis descendit dans l’eau entre la coque en fer et la berge du port en grosse pierre taché du vert noir des algues séchées. Vu de l’extérieur, on n’aurait put dire s’il réfléchissait ou s’il essayait désespérément de penser à autre chose.
-" Chef.. on veut vous voir. C’est l’armée... "
La voix de Peter, son jeune adjoint, le tira de ses pensés. Deux types habillés en costume noir été planté comme deux colonnes de pierre devant la porte. Un brun à la mâchoire carré et blond clair à la peau livide.
- " Inspecteur Brown ? Nous prenons le relais sur cette affaire. Désolé j’ai oublié de nous présenter.. je suis le sergent-chef McGuire et.. "
- " Inutile de vous présenter Sergent, en fait j’attendais le moment de votre venu, et pour tout vous dire, vous êtes en retard.
Après tout ce n’est que la 5 éme "affaire", si on peut encore appeler ainsi ces scènes de boucherie, que l’armée décide de prendre en main, n’es pas Colonel Finnstone ? "
Le blond au costume noir laissa échapper un sourire qui dévoila une arrogance non dissimulée teinté d'autosatisfaction. Sur chacun des cinq massacres qu’il y eu sur un des gros porteurs du port, l’armée récupéra l’affaire et mis son monopole sur les rapports des légistes, les témoignages, les relevés divers et variés etc.. et le tout fut scellé sous le tampon magique du secret défense. Et chaque fois le colonel Finnstone, un beau blond au regard froid d'insecte et au sourire moqueur, a été envoyé, accompagné d’un second pour lui porter les valises. Ce type, beaucoup trop pale pour être tout à fait vivant, lui donné des frissons dans le dos.
- " Je ne vais pas vous retenir plus longtemps messieurs, vous connaissez la procédure aussi bien que moi. Vous trouverez le légiste en chef pas loin du cadavre, comme toujours. »
Brown s’adossa contre sa voiture et vida son gobelet en plastique de café. A prés tout qu’ils se démerdent. Il pris une cigarette avant de tendre le paquet à son adjoint.
- " Vous savez quoi Peter, y’a quand même un truc qui me choc.. "
- " M’en parlé pas chef, j’ai rendu trois fois mon café quand j’ai vu la gamine. J’ai comme l’impression d’être un nouveau-née qui découvre la beauté du monde. "
- " Non, je ne vous parle pas de ça Peter.. mais des murs."
Devant le regard perplexe de Peter Brown enchaina :
- "Que personne n’est rien entendu peut s’expliquer par le fait qu’il n’y est aucune giclée de sang sur les murs, ce qui voudrait dire, aucune violence brutale. Tout a coulé en douceur.
Par contre, ce qui m’intrigue vraiment c’est toutes ces tripes et cette viande sur le sol. Une gamine de 20 ans ne peut pas contenir autant dans son ventre.. "
- " Justement chef, regardez ce que les gars on trouvé dans les placards. J'ai malencontreusement oublié de donner sa au gars de l'armée tout à l'heure""
Il sortit une pochette de photos de sa veste et la tendit à Brown.
- " Il y a donc bien deux cadavres."
L’énorme tête de l’homme noir été posée sur une des planches de l’armoire exigüe, typique des chambres de bateau. La lumière du flash faisait briller son monocle d’un éclat blanc. Son autre œil reposé sur la planche. Ente ses mâchoires une énorme pierre brillante avait brisé toutes ses dents en graviers blanc-jaune et s’enfoncée dans sa bouche béante, suintante de salive mousseuse et de sang comme dans une plaie obscène.
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