Vous n’êtes pas connecté.

Bonjour, visiteur, bienvenu sur les forums Forum BloodWars - www.fr.bloodwars.net. Si c’est votre première visite, nous vous invitons à consulter l’Aide. Elle vous expliquera le fonctionnement de cette page. Pour avoir accès à toutes les fonctionnalités, vous devez vous inscrire. Pour cela, veuillez utiliser le formulaire d’enregistrement, ou bien lisez plus d’informations sur la procédure d’enregistrement. Si vous êtes déjà enregistré, veuillez vous connecter.

1

12. 11. 2010, 00:28

La dernière nuit de William Versus.

William Versus, la mâchoire pendante et les yeux dans le vague, écoutait les pulsations erratiques de son cerveau. Nul doute, il ne lui restait que très peu de temps. La tumeur grossissait, désormais en dehors de toute forme de contrôle. Elle approchait à grands pas, nullement freinée par les incisions aux rayons gamma et autres subterfuges médicaux. La mort montrait une grande désinvolture à présent, presque une forme d'ironie.

William Versus, à prêt de 57, en paraissait 30, tout au plus. Reconstruit plusieurs fois, son corps n'avait plus grand chose d'humain, sinon l'apparence. Mais cloner des neurones, surtout les implanter, était encore au-delà des limites de la biologie actuelle. Lui qui était un prédateur, engagé par des prédateurs plus gros, ne se doutait pas qu'un jour il devrait payer son tribut à la Dame. Cherchant à repousser sans cesse celle qu'il servait, de manière indirecte, il ne restait qu'une faille dans sa carapace, finalement exploitée.

Dans les vapes, câblé, il s'adonnait à son unique vice : des clips d'électro de la fin du 20e siècle, monté des enregistrements de strip-teaseuse gothique, d'un réalisme hallucinant. Tel, en vérité, qu'il pouvait sentir le long de ses doigts la chair musclée de la danseuse lascive, vibrant le long de la barre, aérienne. En contrepoint résonnait le battement lancinant de ses neurones corrompus, résonnant comme un glas. Il n'était jamais entré dans un de ces clubs. Il n'en avait jamais eu l'occasion. Pas plus que celle de tisser un lien quelconque avec les vivants alentours. Toujours entre deux contrats, entre deux mondes, perdu dans un infini jetlag, perpétuellement déphasé. Comment, ainsi, parvenir à associer son existence, alors qu'il n'avait pour semblables que des adversaires ? Ou des concurrents ?

Malgré tout, il y était arrivé. Une fois. Quasiment par hasard. Sur une affaire complexe, qui avait nécessité une association plus ou moins forcée. Qui avait faillit finir d'une cartouche placée un peu trop proche de son cœur. Il passa six mois en unité de soin intensif, la tête farcie de morphine, le temps que les organes se ré-agrègent d'eux-mêmes. Que la blessure se résorbe, sans jamais vraiment se refermer. La rancœur était restée tenace, unilatérale et absolue. Conséquence, il ne lui restait plus d'espoir de ce coté là. Son habitat naturel, un confortable siège d'Airbus ou de Boeing, et une position de tir. Son point de chute, une petite chambre ravagée dans un immeuble d'une banlieue anonyme. L'odeur et la saleté aurait révulsé la plus tenace des intérimaires mexicaine en situation illégale. Déstructuré, comme son existence, comme ce qui restait de son corps d'origine.

Plaqué au fond de son fauteuil, arrivé à la fin de l'enregistrement, ses membres n'offraient plus aucune réponse. C'était prévisible. Il repensait aux rares moments où il pouvait croiser la route d'autres êtres humains, alors qu'il transitait d'un point à un autre. Attendant un avion, une autre cible, une autre forme dans le réticule de son fusil à rail. Chaque ville, chaque contrée avait sa saveur, toujours différente. Pourtant, au fil du temps, il s'en souciait de moins en moins. Il manquait de temps pour apprécier à leur juste mesure les lieux dans lesquels il s'exécutait. Pour ses contrats, c'était différent. Il liait avec ses cibles, de manière intime, une forme de lien très personnel. Juste avant de presser la détente.

Il les avait dans son viseur, vidait ses poumons améliorés, et attendait une poignée de seconde. Là, il savait.

Le cadre moyen, peu d'importance en lui-même, mais qui validait le budget de mise sur le marché d'une nouvelle technologie révolutionnaire. Portant un complet gris ou noir, passé, fatigué par une vie de servitude et de brimades. Rêvant sans doute, sous sa toison grisonnante, d'un avenir meilleur, plus libre, plus heureux. Des rêves qui s'effondraient en un instant, éclatés sur le mur d'un bureau sombre et froid, par l'intermédiaire d'une cartouche de tungstène.

Le chef d'une milice paramilitaire dans son treillis, le cigare au bec, un t-shirt crasseux du Che, dans une énième jungle sud-américaine. Qui prônait la liberté et la gloire avant de descendre, dans un camion pourri, dans un petit village pour massacrer, piller et violer sans aucune distinction. À chaque fois le même refrain. Parachutage. Intrusion. Découpage. Installation. Apparition. Disparition. Extraction. Pour la mainmise sur les plantations de pavot, les labos de transformation du produit. Pas d'illusion à se faire.

Les affaires privées. Une jeune femme. Belle, fraîche, vivante. Il leur réservait un traitement particulier. Parfois, il y passait un chargeur. L'arme était plus conventionnelle, les cartouches plus fines, pour en placer une dans chaque membre avant le coup de grâce. Aucune animosité là dedans, si ce n'est qu'il faut éviter de trahir, à notre époque, le grand ponte d'une transnationale tentaculaire. Parfois Versus se rendait au bar, les rencontrer, afin d'en savoir un peu plus. Elles étaient jolies. Mais au final, ça ne changeait pas grand chose.

Être pauvre en était presque une bénédiction. Sur le marché, les pauvres n'ont aucune valeur. Du moins, pas individuellement. Par jeu, il plantait parfois un clochard dans son axe. Mais n'actionnait jamais la détente. Économiquement, ça n'était pas rentable. Il se sentait proche de ceux-là qui, sans le savoir, échappait par leur indigence à la mort.

Du moins le pensait-il.

Car à la réflexion, tout ça n'avait-il pas été rien d'autre qu'une fuite effrénée, ininterrompue et vide de sens ? L'espoir un peu vain qu'en étant le porteur, le transmetteur de données, il frôlerait sans même la sentir la robe de la Dame ? De nombreuses fois il avait perçu cette étreinte mais, toujours, il avait sût y faire face. Esquivant les traits glacés de la faucheuse avec un certain style. À s'en croire invincible. À s'imaginer bénit, élu par sa maîtresse exigeante.

Mais il ne pouvait la tromper indéfiniment. Chacun, à son heure, payait ses dettes, nantis comme misérable. Les dispensateurs de joie comme les tueurs à gage. Et parfois il se prenait à rêver, lui aussi, d'être une de ces formes anonymes dans son réticule de visée. Une existence pour le moins insouciante. Des préoccupations ordinaires. Une famille. Une maison. Un crédit à rembourser. Un fils cocaïnomane. Une fille s'exhibant sur le Réseau. Tout plutôt que la solitude exclusive. Tout plutôt que de savoir.

N'avait-il pas droit, lui aussi, à une forme de tranquillité ? À une forme de paix, délivré de la connaissance ? Ne pouvait-il pas considérer les humains comme autre chose que des bougies qui brilleraient faiblement, avant d'être soufflées par l'ouragan ? Pouvait-on, en toute bonne foi, renier son histoire, devenir un autre ?

La sonnerie du téléphone, dans ces moments là, le ramenait à la réalité. Il ne chassait pas par envie, mais parce qu'il ne savait rien faire d'autre...

Ce soir là, pourtant, les choses avaient un peu changé. Une petite blonde, charmante, de ce qu'il en voyait. Au moment de s'exécuter, son doigt avait tremblé, sa main était tombée. Il avait compris. Il avait cessé de rejeter l'évidence. La traque arrivait à son terme. Il l'avait observé encore un moment, à trois cent mètres de là. Elle ignorait qu'elle venait de gagner un bon paquet d'heures supplémentaires, et tant mieux pour elle. L'ignorance appartenait bel et bien aux favoris des dieux. Puis, avec une parfaite maîtrise, il avait rejoint l'autel.

Ici, il se préparait à remplir son ultime engagement. L'univers n'avait plus rien à lui offrir de si intense. Dans ce fauteuil, les muscles tendus, le crâne brûlant de mille flammes. Regretterait-il quelque chose ? Devait-il mourir de peur, avant l'instant ? Lentement, son souffle s'échappa, une dernière fois. Bien après son trépas, entre les strates du réel son esprit agonisant riait encore aux éclats.


Traître™ n°1
Parce que nous n'avons aucune morale, aucune fidélité, aucuns amis et que nous aimons ça.