La fuite (suite)
Chaque détail me revient peu à peu. Comment elle m’a appris ce qu’on peut manger, ce qui est mauvais, respecter le groupe, et surtout aimer la nature, je me souviens de nos longues ballades dans les prairies où elle me racontait que la nature nous prodiguait les soins dont nous avions besoin, et que sans elle, ben on ne serait pas grand chose…
Maman… En sortant de ma torpeur je m’aperçois que je suis sorti de la salle où j’étais enfermé, et alors, je ne sais pas trop pourquoi, mais instinctivement, un cri me remonte du fond des tripes : MAMAN ! MAAAAMAN ! Hurlai-je. Je reçoit en réponse d’innombrables cris, les voix de dizaines de mes semblables, certains me demandant de les aider, d’autres me demandant qui je suis, ou encore qui ils sont…
Affoler par ces appels cadavériques, je me dirige droit devant moi, me mettant à courir dans ce couloir interminable, entre deux rangées de portes toutes similaires et dissimulant, je le devine, des pièces semblables à celle où j’étais séquestré.
Courir, droit devant, ne pas écouter, ne pas entendre, aucune de ces voix n’est celle de ma mère, ou d’un autre membre de ma famille. De toutes manières, je ne peux rien faire tout seul, il me faut de l’aide, ceux qui nous tiennent ici semblent bien organisés, et ils doivent être nombreux, comment un enfant comme moi pourrait en venir à bout, seul conte tous ?
Le bout du tunnel, encore une porte, cette fois ça passe ou ça casse, c‘est du premier coup ou rien, pas le temps de faire dans la dentelle !
VLANCRACK ! Faut croire que j’ai les os durs, le verrou de la porte à fait voler le bois du tenant en éclat sous mon poids, me voilà enfin libre !
Premier choc avec l’extérieur : la lumière. A l’intérieur, seule la lumière blafarde des néons nous éclairait, et là, les rayons du soleil aveugle mes yeux trop longtemps habitués à la semi-obscurité de ce qu est en fait une sorte de hangar, un hangar où nous sommes parqués dans de minuscules pièces, sans que personne ne fasse où ne sache rien.
Et puis il y a l’air frais, celui du dehors, qui vient fouetter mon visage et m’apporte des odeurs que je croyais elles aussi oubliées : l’odeur fumée d’une forêt de pins, l’odeur grasse d’un champ de blé fraîchement moissonné, et l’odeur suave que dégage la terre humide après une pluie d’été.
La pluie… Y a t-il quelque chose de plus magnifique que de sentir ces milliers de fines gouttelettes dardées par le ciel qui viennent doucement lécher votre visage ?
En un mot tout ça sent la vie !
« Hola les gars ! R’gardez moi c’ui là, là bas ! »
Merde ! J’suis cuit ! Ils ont entendu le vacarme de mon évasion (pas étonnant entre nous, vu le ramdam dont je suis la seule cause) et déjà trois hommes en blouses blanches commencent à courir vers moi.
Courir ! plus vite ! toujours plus vite ! Sur cette terre encore humide d’une pluie antérieure c’et pas de la tarte, qu’est ce que ça glisse bordel ! Mais je crois que je commence à les distancer, la peur donne vraiment des ailes apparemment… Par contre, ils semblent guère disposer à lâcher l’affaire, évidemment, ils ne veulent pas que leurs activités soient ébruitées et dévoilées au grand jour, et ben vous pouvez courir mes salauds, parce que gamin ou non vous me mettrez pas le grappin dessus de sitôt.
Qu’est ce que… Merde ! Un engin motorisé surgit de derrière les dernier bâtiment du complexe, pour venir me bloquer la route ! Alors que je manque de m’aplatir contre le flanc du tas ferrailles, deux autres gusses blanchâtres en sortent et se dirigent vers moi, cette fois-ci, vieux, t’es foutu. Trois derrière, et deux devant, contre un gosse, sont vraiment prudents, ils ne laissent rien aux hasard… J’suis fait.
Alors qu’un premier essaie de me choper par le cou, un autre flash m’arrive en plein figure.
Images chaotiques d’une lutte, une sensation de grande peur, des mains s’emparant durement de moi, m’éloignant de ma mère, ce sont là les souvenirs de mon enlèvement !
Et la peur est vite remplacé par la rage, lorsque je vois clairement deux hommes en blouses blanches maintenir ma mère hors de ma portée à l’aide d’appareils électrocuteurs…Puis plus rien, souvenir d’une douleur vive à l’épaule, puis d’une chute dans un profond sommeil, un sommeil noir, tellement épais qu’il en est presque palpable, ce bourbier qui m’a fait perdre la mémoire.
Mais à présent c’est différent, je suis bel et bien éveillé, et je connais mes ennemis, j’assène un joli coup de tête à l’hurluberlu qui s’était mis en tête de m’étrangler. Il s’en souviendra longtemps ce con là, vu l’angle bizarre qu’a pris son nez…
Mais les quatre autres sont déjà sur moi, j’ai beau rué comme un beau diable, je suis dépassé, foutu, je plie sous le nombre. Ils me font entrer de force dans leur engin et montent à l’avant, après m’avoir enchaîné à la paroi… Je ne dois pas être aussi inoffensif que je le pensais, et eux aussi d’ailleurs.
Je les entend discuter à l’avant :
Ben c’ui là, ils nous aura bien fait courir le salaud !
Ouais, ben toi au moins t’a eu qu’à courir, j’te rappelle que cet enfant de putain m’a littéralement brisé le nez !
Du calme les gars, Charles j’t’amène direct à l’infirmerie, y vont s’occuper de toi là bas, t’inquiètes.
Ben oui justement je m’inquiètes, bordel, ça fait seulement dix jours que je bosse ici, et j’suis défigurer ! C’est ça les risques du métier, on s’fout un peu de ma gueule, en plus de me la ravager !
Arrêtes j’te dit, je sais de quoi j’parle, une fois une de ces saletés m’a peté la jambe, et j’suis pas mort, et puis si ça peut te rassure, c’ui là, il est dans le lot 412, il y passe aujourd’hui.
Ouais ben quand même hein, c’est pas ça qui me ramènera le nez dans le bon sens !
Bon dieu ! C’est quoi cet histoire de lot et de numéro ? Qu’est ce qui va m’arriver ? Pris de panique, je me met à hurler, avec ces entraves de métal, la voix est la seule pseudo-arme qu’il me reste… Je les supplies, leur demande de m’expliquer ce qui se passe.
Arrêtes de brailler, me lance le chauffeur, t’as déjà assez foutu le bordel comme ça aujourd’hui !
Tu vas voir le savon que va nous passer le patron !