Après avoir passé trois cordons de sécurité de ces messieurs de la marrée chaussée armés jusqu’aux dents, je trouva facilement le refuge du client de ce début de soirée.
Faut dire que depuis que le monde est aux mains des vampires, les polices se sont trouvés une meilleure devise que « Servir l’Etat, Protéger les innocents & Faire respecter la loi ». C’était maintenant plutôt « Servir le plus offrant, Protéger ses intérêts & Faire respecter SA loi ». Personne ne peut leur en vouloir, tous les fondements de l’ancienne société, celle des hommes, s’en sont envolés pour le cimetière depuis l’avènement des ténébreuses créatures. Dans les heures où le soleil est censé être haut dans le ciel, l’humanité s’endort, épuisée par leurs travaux que leur incombent les seigneurs de la nuit… si ce n’est pas de finir dans leurs assiettes. Les flics font un boulot un peu décalé au reste de la populace, puisqu’ils renforcent leur surveillance durant ce temps là, les vampires étant plus… vulnérables en journée. Cela reste relatif toutefois, même quand ils dorment ils restent les ultimes prédateurs.
On ne peut pas dire que j’ai de l’admiration pour ces créatures, ni du dégoût d’ailleurs. A vrai dire, je suis sûrement le seul mortel à Ultima Thule pouvant s’offrir le luxe de s’en foutre royalement à leur sujet. Sans pour autant inverser les rôles de chasseur et de chassé, je bénéficiant d’une sorte d’immunité vis-à-vis des différentes races vampires. Mais je ne suis pas le mieux placé pour en causer, par contre je vous invite à aller dans ce bar pour y écouter un certain Turmac, il vous racontera ça mieux que moi…
Les Chroniques du Barde Sanglant
« Joe-le-Taxi je présume ? »
-A votre avis ?
Telles furent les premières phrases échangées avec le suceur que j’allais convoyé. Fallait toujours les vouvoyer. Tout du moins au départ. On ne sait jamais, y a un bon paquet de susceptibles chez eux.
Les vampires, comme vous avez pu entendre Turmac, sont regroupés en…. Rectification, ils sont divisés en plusieurs races. Ben pas pour moi. Il y a deux races de vampires, ceux qui se la pètent par la terreur, et ceux qui se la joue par la séduction. Soit un vampire est effrayant et dangereux, soit il est attirant et dangereux, dans les deux cas, ça reste un vampire et donc… un danger. Et malgré une apparente désinvolture, je garde ne perds jamais cela à l’esprit quand j’ai a faire avec quelqu’un pouvant me réduire en bouillie, que ce soit la plus magnifique des créatures ou bientôt la bête la plus immonde. Tiens, en parlant de garder un « au-cas-où » en permanence, je ne vous pas parler de la boîte à gant de Betty…
Une autre fois peut-être…
« Nouveau en ville ? »
Ca faisait parti de mon job. Enfin… je pense. Je crois plutôt que c’était une sorte de vieille tradition chez les chauffeurs de taxi de l’ancien temps de faire la causette à leur passager arrière. A moins que ce comportement compulsif était dû à la solitude inhérente à ce boulot… où inhérente à tout être humain vivant dès lors à Ultima Thule.
-Nouveau en ville.
Ce type, enfin ce vampire se prénommait Gorgias, Gorgias de Noirestèle pour son nom complet. J’ignore encore d’où il vient, il n’est là que depuis peu. Ca m’a étonné d’ailleurs qu’en si peu de temps, quelques jours seulement, il s’est taillé une telle part dans les banlieues d’Ultima. Bah, ça reste quand même un provincial qui déboule en ville. Pour en revenir aux « races-vampiriques-d’après-Joe » il faisait parti des moches. Oh, pas le moche d’entre tous, j’en ai déjà vu des bien pire, si vous saviez…
Gorgias ressemblait à ces gars de la gestapo emmitouflés dans une longue guimbarde de cuir noire bien cintrée. Un col haut relevé cachait toute la moitié basse de son visage, ne laissant toutefois aucun doute sur la véritable nature du personnage. Chauve avec un tatouage drôle de tatouage rouge sur le crâne rappelant vaguement un symbole de danger radioactif. De grosses lunettes rondes fumées de couleur écarlate… ça m’a toujours fait rire ce style chez les buveurs de sang… des lunettes de soleil… en pleine nuit… je me suis toujours dis que pour passer inaperçu il manquait plus qu’un gyrophare et une sirène hurlante scandant « Je suis un vampire ! Je suis un vampire ! Je suis un vampire ! ». A moins que… ça peut être aveugle un vampire ? En tout cas je n’en ai jamais croisé avec une canne blanche et un chien.
Ce Gorgias était donc nouveau venu dans le coin. Il avait déjà un joli service de « police », ces humains que j’avais croisés, bardés de leurs anciens uniformes mais avec des fusils d’assaut à la place de leur pétard habituel, un gilet de combat ayant remplacé l’insigne UTPD. Le cuir de son manteau crissait avec celui de mes sièges arrière. Il claqua la portière et avant même qu’il me donna l’adresse, je le coupais en me retournant brusquement :
« C’est la première fois que je vous vois, aussi je ne sais pas si vous êtes au courant de comment ça se passe. Topo simple comme bonjour : Plus vous payez en Litres d’Organes Liquides, plus j’irai vite. Simple non ? Vous avez payez pour avoir mes services, en sang et en hommes, comme une sorte d’abonnement, mais la course en elle-même n’est pas gratuite. Voilà, question ? »
-Non. Répond-il sans broncher.
-On y va ?
-Oui.
-Ah, une dernière chose, avant de quitter votre quartier, faut déjà abouler quelques litres, et j’aurais un « truc » à faire à ce moment là. Ca vous pose un souci ?
-Non.
-Pas bavard, hein ?
-Oui.
« Et ben ça être gai » soupirais-je à moi-même en me réinstallant. Betty continuait de ronronner, et nous prenions déjà la route.
Je demanda au mon vampirique client de m’indiquer une rue à l’abri de tout regard dans son quartier. Il me montra une impasse à deux pâtés d’immeubles de là. Je garais donc lentement Betty dans la sinistre voie sans issue puante de quelques bennes à ordures éventrées et aux monticules de déjections plus ou moins organiquement récentes. Malgré l’odeur prenant le cœur, je sortais de la voiture et au lieu d’ouvrir la portière au client, je m’empressais de sortir le briquet et le paquet de clopes. Après deux taffes, Gorgias sortit silencieusement à son tour, ayant certainement compris que je ne ferai pas le boy.
« Comme je vous l’ai dis, j’ai un truc à faire, aller me chercher les Litres d’Organes Liquides, normalement c’est le tout payable d’avance mais là je vous fais une fleur pour la première fois, ce sera la moitié si vous ne pouvez pas vous le perm…. »
-Le tout.
-Ah ? … Ben… ok. Bon, ben à tout à l’heure alors.
Gorgias sembla alors s’effacer dans une ombre semblant venir à lui, l’enveloppant, l’engouffrant, il avait dès lors disparu lorsqu’un peu plus de lumière urbaine environnante reprit ses droits à l’endroit même.
Putain, je ne m’habituerais jamais à ça. Ils font ch… avec leur effet théâtral. Ils semblent que mes clients oublient toujours que je reste un humain, un mortel, un mec qui a peur ! Car ce qui différencie bien la proie du prédateur c’est qu’il y en a un des deux qui flippent et l’autre qui prend son pied. Enfin bref, « Gorgy » était parti, ne restait plus que Betty, moi, et l’odeur nauséabonde coincée entre les immeubles délabrés.