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05. 04. 2008, 19:05

Ronronnements

Les traînées de bitume craquelées défilaient dans le rétro de Betty, tandis que s’alignait sous les roues le goudron qui parfois se décollait.
J’avais l’habitude d’avoir plus yeux sur ce qui se passait à l’arrière plus qu’à l’avant. Ca vous donnait l’impression de bouffer de la route en sens inverse. Drôle d’impression, mais comme toute habitude : on s’y habitue. Quelque part ça aide aussi à oublier un peu ce quotidien où les rayons du soleil ne transpercent les nuages de cendres qu’en rares occasions éphémères tels des spots publicitaires. J’adorais rouler en m’en grillant, fenêtre ouverte au vent quand je n’avais pas de clients.

Au fur et à mesure des années, Betty avait subi de nombreuses interventions chirurgicales. Pour une Cadillac Sedan de 1960, elle avait tout d’une minette qui allait à sa première sortie en boîte pour ses 16 ans. Et moi qui en ai une trentaine on peut croire que c’est un détournement de mineur.
Les gentes d’un alliage en platine-aluminium lourd offraient teneur et vélocité aérodynamique, mais quand j’en paumais un j’était quitte pour 10 000 Litres d'Organes Liquides. Pneus Crawlers, le top du top, increvables… sauf par un tir de lance-roquette ; capables aussi bien en tout terrain qu’en route plate. Les suspensions renforcées de Betty devaient bien aider à cela aussi. Le hic c’est qu’ils sont devenus introuvables depuis un bout de temps alors autant dire que la compote de fesses, je connais. Un jour je me déciderai à les changer. J’invoque la qualité pour Betty mais en réalité c’est de la pure et simple flemme.
Je ne vais pas vous faire l’inventaire total de mon carrosse, faut simplement savoir que l’intérieur de ce taxi quatre portes cache quelques surprises et de trop nombreux souvenirs : Modification de l’habitacle arrière pouvant devenir un four crématoire en cas de mauvais client, vitres pare-balles de 15mm, carrosserie faisant passée le plus gros des panzer pour un coquelicot, et puis enfin un moteur rotatif à ports latéraux multiples à compression sang azoté de plus de 500 chevaux.



Et là, il y avait un pu…n de flic qui surgissant dans les phares de ma Betty m’instiguait l’ordre de m’arrêter comme un mec voulait stopper d’une main un train lancé à pleine vitesse. J’eus que le temps de piler comme un malade en maugréant une fraction d’injure pendant le demie-seconde où les cris des pneus déchirèrent un arrêt d’urgence de travers, le pied écrasé la pédale de freins, les mains crispées sur le volant.

« Bonsoir… Vous savez que vous entrer dans un quartier privé ? »
C’était tout ce qu’il trouvait à me dire ce candidat au sucide ? Betty avait bien arrêté (et je crois que mon rythme cardiaque aussi pendant un instant) sa course mais la portière à quelques centimètres des couilles du stroumpf-commando. En tout cas, force est de reconnaître qu’il en avait dans le falsard.
- A parce qu’il y a des quartiers pas privés à Ultima ?
Le vieux flicard un peu bedonnant à la coupe impeccable et aux traits balafrés resta interloqué un moment. Ni lui ni moi n’avions baissé les yeux, soutenant le regard de l’autre dans un réciproque sentiment de défiance cordiale. Lui, restait penché le visage dans l’encadrement de la vitre baissée, moi les mains toujours scotchées sur le volant. Seule Betty continuait à ronronner tranquillement.

J’enchérissais le sourire en coin : « Je viens chercher ton boss pour une ballade ».
Après un court silence d’où s’élevait un filet de fumée venant de mon bas-ventre, il consentit :
- Ok, c’est bon… mais éviter la cigarette en conduisant monsieur, bonne soirée. Dit-il en se redressant en faisant un signe dans son dos.
« La clope ??? »
MERDE !
Je sursauta comme un chat surpris en proférant une série d’injures à mon égard tout en tapant frénétiquement sur ce qui pouvait peut-être encore me servir. Dans la manœuvre d’évitement je n’avais pas évité que le mégot me fût tombé sur l’entrejambe de mon jeans.
Joe_le_Taxi a envoyé l’image suivante :
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“Sic Gorgiamus Allos Subjectos Nunc”

« Nous » aimons nous repaître de ceux qui veulent nous soumettre...

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05. 04. 2008, 19:16

Après avoir passé trois cordons de sécurité de ces messieurs de la marrée chaussée armés jusqu’aux dents, je trouva facilement le refuge du client de ce début de soirée.
Faut dire que depuis que le monde est aux mains des vampires, les polices se sont trouvés une meilleure devise que « Servir l’Etat, Protéger les innocents & Faire respecter la loi ». C’était maintenant plutôt « Servir le plus offrant, Protéger ses intérêts & Faire respecter SA loi ». Personne ne peut leur en vouloir, tous les fondements de l’ancienne société, celle des hommes, s’en sont envolés pour le cimetière depuis l’avènement des ténébreuses créatures. Dans les heures où le soleil est censé être haut dans le ciel, l’humanité s’endort, épuisée par leurs travaux que leur incombent les seigneurs de la nuit… si ce n’est pas de finir dans leurs assiettes. Les flics font un boulot un peu décalé au reste de la populace, puisqu’ils renforcent leur surveillance durant ce temps là, les vampires étant plus… vulnérables en journée. Cela reste relatif toutefois, même quand ils dorment ils restent les ultimes prédateurs.

On ne peut pas dire que j’ai de l’admiration pour ces créatures, ni du dégoût d’ailleurs. A vrai dire, je suis sûrement le seul mortel à Ultima Thule pouvant s’offrir le luxe de s’en foutre royalement à leur sujet. Sans pour autant inverser les rôles de chasseur et de chassé, je bénéficiant d’une sorte d’immunité vis-à-vis des différentes races vampires. Mais je ne suis pas le mieux placé pour en causer, par contre je vous invite à aller dans ce bar pour y écouter un certain Turmac, il vous racontera ça mieux que moi…


Les Chroniques du Barde Sanglant


« Joe-le-Taxi je présume ? »
-A votre avis ?
Telles furent les premières phrases échangées avec le suceur que j’allais convoyé. Fallait toujours les vouvoyer. Tout du moins au départ. On ne sait jamais, y a un bon paquet de susceptibles chez eux.
Les vampires, comme vous avez pu entendre Turmac, sont regroupés en…. Rectification, ils sont divisés en plusieurs races. Ben pas pour moi. Il y a deux races de vampires, ceux qui se la pètent par la terreur, et ceux qui se la joue par la séduction. Soit un vampire est effrayant et dangereux, soit il est attirant et dangereux, dans les deux cas, ça reste un vampire et donc… un danger. Et malgré une apparente désinvolture, je garde ne perds jamais cela à l’esprit quand j’ai a faire avec quelqu’un pouvant me réduire en bouillie, que ce soit la plus magnifique des créatures ou bientôt la bête la plus immonde. Tiens, en parlant de garder un « au-cas-où » en permanence, je ne vous pas parler de la boîte à gant de Betty…
Une autre fois peut-être…





« Nouveau en ville ? »
Ca faisait parti de mon job. Enfin… je pense. Je crois plutôt que c’était une sorte de vieille tradition chez les chauffeurs de taxi de l’ancien temps de faire la causette à leur passager arrière. A moins que ce comportement compulsif était dû à la solitude inhérente à ce boulot… où inhérente à tout être humain vivant dès lors à Ultima Thule.
-Nouveau en ville.
Ce type, enfin ce vampire se prénommait Gorgias, Gorgias de Noirestèle pour son nom complet. J’ignore encore d’où il vient, il n’est là que depuis peu. Ca m’a étonné d’ailleurs qu’en si peu de temps, quelques jours seulement, il s’est taillé une telle part dans les banlieues d’Ultima. Bah, ça reste quand même un provincial qui déboule en ville. Pour en revenir aux « races-vampiriques-d’après-Joe » il faisait parti des moches. Oh, pas le moche d’entre tous, j’en ai déjà vu des bien pire, si vous saviez…
Gorgias ressemblait à ces gars de la gestapo emmitouflés dans une longue guimbarde de cuir noire bien cintrée. Un col haut relevé cachait toute la moitié basse de son visage, ne laissant toutefois aucun doute sur la véritable nature du personnage. Chauve avec un tatouage drôle de tatouage rouge sur le crâne rappelant vaguement un symbole de danger radioactif. De grosses lunettes rondes fumées de couleur écarlate… ça m’a toujours fait rire ce style chez les buveurs de sang… des lunettes de soleil… en pleine nuit… je me suis toujours dis que pour passer inaperçu il manquait plus qu’un gyrophare et une sirène hurlante scandant « Je suis un vampire ! Je suis un vampire ! Je suis un vampire ! ». A moins que… ça peut être aveugle un vampire ? En tout cas je n’en ai jamais croisé avec une canne blanche et un chien.
Ce Gorgias était donc nouveau venu dans le coin. Il avait déjà un joli service de « police », ces humains que j’avais croisés, bardés de leurs anciens uniformes mais avec des fusils d’assaut à la place de leur pétard habituel, un gilet de combat ayant remplacé l’insigne UTPD. Le cuir de son manteau crissait avec celui de mes sièges arrière. Il claqua la portière et avant même qu’il me donna l’adresse, je le coupais en me retournant brusquement :
« C’est la première fois que je vous vois, aussi je ne sais pas si vous êtes au courant de comment ça se passe. Topo simple comme bonjour : Plus vous payez en Litres d’Organes Liquides, plus j’irai vite. Simple non ? Vous avez payez pour avoir mes services, en sang et en hommes, comme une sorte d’abonnement, mais la course en elle-même n’est pas gratuite. Voilà, question ? »
-Non. Répond-il sans broncher.
-On y va ?
-Oui.
-Ah, une dernière chose, avant de quitter votre quartier, faut déjà abouler quelques litres, et j’aurais un « truc » à faire à ce moment là. Ca vous pose un souci ?
-Non.
-Pas bavard, hein ?
-Oui.
« Et ben ça être gai » soupirais-je à moi-même en me réinstallant. Betty continuait de ronronner, et nous prenions déjà la route.
Je demanda au mon vampirique client de m’indiquer une rue à l’abri de tout regard dans son quartier. Il me montra une impasse à deux pâtés d’immeubles de là. Je garais donc lentement Betty dans la sinistre voie sans issue puante de quelques bennes à ordures éventrées et aux monticules de déjections plus ou moins organiquement récentes. Malgré l’odeur prenant le cœur, je sortais de la voiture et au lieu d’ouvrir la portière au client, je m’empressais de sortir le briquet et le paquet de clopes. Après deux taffes, Gorgias sortit silencieusement à son tour, ayant certainement compris que je ne ferai pas le boy.
« Comme je vous l’ai dis, j’ai un truc à faire, aller me chercher les Litres d’Organes Liquides, normalement c’est le tout payable d’avance mais là je vous fais une fleur pour la première fois, ce sera la moitié si vous ne pouvez pas vous le perm…. »
-Le tout.
-Ah ? … Ben… ok. Bon, ben à tout à l’heure alors.
Gorgias sembla alors s’effacer dans une ombre semblant venir à lui, l’enveloppant, l’engouffrant, il avait dès lors disparu lorsqu’un peu plus de lumière urbaine environnante reprit ses droits à l’endroit même.
Putain, je ne m’habituerais jamais à ça. Ils font ch… avec leur effet théâtral. Ils semblent que mes clients oublient toujours que je reste un humain, un mortel, un mec qui a peur ! Car ce qui différencie bien la proie du prédateur c’est qu’il y en a un des deux qui flippent et l’autre qui prend son pied. Enfin bref, « Gorgy » était parti, ne restait plus que Betty, moi, et l’odeur nauséabonde coincée entre les immeubles délabrés.
“Sic Gorgiamus Allos Subjectos Nunc”

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05. 04. 2008, 19:19

J’avais finis ma clope, et fis une dernière et prudente inspection des lieux afin d’assurer ma tranquillité. Il était temps d’entamer le Kham-Rati. Ce rituel transmis de père en fils dans ma famille depuis des siècles. Nous, les Rroms avons de tout temps survécut en nous cachant, nous substituant au nez et à la barbe de ceux qui ont voulu retirer notre liberté. Mais depuis là troisième Guerre Mondiale, la finalité du rite séculaire avait bien changé. J’ouvrais le coffre où y était planqué dans un double fond un jerricane de lourd métal noir ornés de runes cabalistiques angulaires semblant luire comme de l’or sur du charbon. Il pesait une tonne, et à chaque fois j’avais un mal de chien à le sortir de sa cachette. Il faillit m’échapper des mains lorsque le poids du jerricane dépassa le rebord du coffre, et tombant de toute sa masse au sol, son cul cassa le renfort armé du pavé. Jerricane de 4 litres mais en pesant plus de 80.
Soufflant un peu après l’effort, je me mis à genoux, assis en tailleur, les mains sur les cuisses, le bidon respectueusement entre les jambes, je m’apprêtais à ouvrir le bouchon. C’est le moment, où tout peut arriver, un risque sans précédant, un danger sans nom, une brèche qu’il va falloir amadouer autant que possible afin d’éviter une catastrophe d’une telle ampleur que les bombes tombées sur Ultima paraîtront avoir été un feu d’artifice à petit budget.
« kam phu yag pan’i, je vous invoque, chavoro manush chourine, je vous supplie, janvar chhon lacho drom, je vous conjure, yalo vasse, je vous honnis, kam phu yag pan’i, je vous invoque, chavoro manush chourine, je vous supplie, janvar chhon lacho drom, je vous conjure, yalo vasse, je vous honnis… » ce mantra m’étais devenu familier depuis mon enfance, mais à chaque fois, les anciens me prennent à témoin, il me fallait combattre chacun de mes muscles pour ne pas fuir chaque syllabe prononcée.
Je restais donc là, répétant inlassablement le mantra, luttant pour que ma gorge ne se noue pas, les yeux rivés sur le bouchon du jerricane qui tremblotait fébrilement. Les minutes s’écoulaient, passant, intemporelles. Jusqu'à ce que…
Le bouchon avait cessé de frétiller. Tout était alors immobile, calme, insoutenable.
Il me fallait faire vite, le Kham-Rati prenait parfois quelques secondes, parfois des heures entières, c’est selon… le client. Et cette fois-ci j’avais été surpris, j’avais pensé que ça m’aurait pris à peine le temps d’en griller une autre et j’ai du mettre une bonne demie-heure à ce que le mantra opère.
Je n’avais plus le temps, il fallait faire vite, prendre un risque inutile, mais qu’importe. « Inutile-de-prendre-des-risques-inutiles » me revenait en mémoire la leçon répétée des centaines de fois par mon grand-père. « Ouais, ben les temps ont changé papy ! » me dis-je en dévissant précipitamment le bouchon qui roulait à terre l’instant d’après.

Je me relevais mu par la force du désespoir, le temps jouait, courait contre moi, et pas facile de rattraper un cheval sauvage lancé au galop quand vous avez des fourmis dans les jambes. Les dents serrées, j’attrape le noir bidon d’une main et d’un mouvement de balancier le fit voler jusqu’à l’épaule en faisant péniblement quelques pas comme un type venant d’échapper à un obus de mortier tombé trop prêt. Et tel un martyr pour sa croix, je me tint debout devant le capot de Betty, suant à grosse goutte pour enfin procéder à la fin du rite ancestral. Le moment crucial était arrivé…

Je regardais Betty, lui demandant pardon une nouvelle fois, les yeux dans les phares avant. Il était trop tard, le Kham-Rati s’achevait et j’entendais déjà le bourdonnement familier venant du jerricane sur l’épaule.

Un silence, un rien…

Et soudainement déferla une nuée de formes vaporeuses, hurlantes, furieuses, spectrales, une légion de ces formes sortit en un éclair aveuglant du sombre récipient. Déversant un raz de marée vomissant une horde de peine, de tristesse, de frustration, gerbant des morts et des morts par dizaines de dizaines, essayant d’agripper son prochain, tentant de mordre, griffer son voisin, tendus par la puissance, aux visages difformes, allongés par la douleur, une souffrance que l’on ne peut entrevoir à travers leurs orbites dénués de raison, remplis de néant, une avalanche fantomatique qui cessa… tout aussi soudainement, absorbée par le capot de Betty.

J’avais horreur de ce passage. Ca ne durait jamais longtemps mais qu’est-ce que j’avais horreur de ça.

Betty ronronnait…
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05. 04. 2008, 19:20

Un peu plus tard, les pas bottes ferrées de Gorgias claquèrent une à une dans le lointain de l’impasse.
Je l’attendais, appuyé contre Betty, je venais juste d’en allumer une.
Il tenait dans une main une grosse sacoche s’ouvrant comme les médecins du XIXème. Et voyant l’état de la sacoche et la familiarité avec laquelle il la tenait, je me suis fais la réflexion que ce vampire ne devait pas être un gamin d’une semaine ou deux.
Il avait le col toujours relevé et boutonné, comment il arrivait à s’exprimer pour que je puisse l’entendre aussi distinctement est un mystère, mais après tout, je m’en foutais.
-Vous avez les litres ?
-Oui.
-Ok… toujours pas trop envie de causer à ce que je vois.
-Non.
Il me tendit la sacoche. On pouvait y aller…

Toutefois, j’étais méfiant à présent. Le Kham-Rati liait les âmes défuntes des victimes à leur meurtrier afin de le protéger malgré elles, le rendant impossible à repérer par qui que ce soit. Alors autant dire que pour un vampire, y a souvent un paquet de revenants mécontents qui attendent en Enfer. Mais bon, c’est mon boulot, emmener un client d’un point A à un point B et ce, sans encombre. J’avais fais un Kham-Rati pour ce fameux Gorgias… cependant pour un nouvel arrivant, il y eut beaucoup d’âmes, il y avait un peu trop d’âmes…

Oui, je devais me méfier. Je trouvais que Betty ronronnait vraiment fort…

[A suivre…]
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