Je m'étirai et baillai longuement. Minuit. J'avais peut-être bien dormi un peu trop. Mais qu'importe, je m'étais auto-déclarée en vacances, pour cause de flemmardise aigue, et surtout parce que je ne voulais pas participer au rangement qui avait lieu à la bibliothèque. De toute façon, je n'étais pas d'humeur à être en "société". J'avais besoin d'air.
Le ciel noir ne laissait paraître aucune étoile. Un brouillard épais planait au-dessus d'Ultima, comme un voile d'amante oublié sur un corps endormi. La sombre cité paraissait fort calme ce soir-là. On n'entendait que vaguement le fracas des affrontements nocturnes. Les vampires, cette nuit, étaient aussi absents que les étoiles, et la brume lourde semblait vouloir remplacer le poids de la peur et de la menace dans l'atmosphère. Seule, la Lune réduite à un fin croissant se perdait entre les filaments fantomatiques qui lui faisaient un halo langoureux dans les sifflements vicieux du vent. Comme toujours, que ce fût l'eau, l'air, le feu, le sol, les astres ou le ciel, à Ultima Thule la Noire, tout semblait damné, vicié. Où était donc passé l'innocence?
Probablement dans mon estomac depuis mon dernier repas. Sales mômes... Quelle plaie ces trucs... Quelle idée d'en faire, vraiment.
Ne voulant pas être dérangée, et n'ayant aucune envie de croiser une connaissance, j'étais allée errer le plus loin possible de mes zones habituelles. Même le dôme si familier était invisible à l'horizon. Et le brouillard n'arrangeait rien.
J'avais trouvé un nouveau jeu pour passer le temps, intitulé "Crécherchezlesgenssanssefaireremarquer". C'était marrant de rentrer dans toutes ces propriétés plus ou moins grosses, de visiter, de piquer un ou deux trucs dans les frigos et autres garde-manger, éventuellement de dormir un peu, puis de partir l'air de rien. Jusque là, je m'étais découvert un réel talent pour cette discipline, même si une fois ou deux je m'étais retrouvée avec des chiens aux machoires claquantes collés aux basques. Envérité, à l'aube précédente, lassée de la facilité de la chose, j'avais jeté mon dévolu sur un bâtiment vide, un ancien cinéma, totalement désert, et où je pourrais déprimer tranquillement.
Après avoir cherché pendant plus d'une heure comment fonctionnait le truc pour les bobines (pour une fois, j'avais fait attention à ne pas tout casser), j'avais regardé un navet absolument navrant, avec des lycans ressemblant plus à des Teckels ébourriffés qu'à autre chose, et des humains encore plus pitoyables que ceux qu'on se coltinait déjà au quotidien, c'est vous dire la déchéance de ce truc. Finalement, je m'étais endormie dans un placard vide en prenant soin de bloquer la porte, et j'avais dormi plus que ma part.
L'odeur du sang vint me piquer les narines. Tiens, ce devait être l'heure de manger. Je sortis de ma cachette, réajustant mon bustier, faisant coulisser par habitude mes lames dans leurs fourreaux, et enlevant la sécurité de mon glock. Encore une nuit à mourir d'ennui en perspective. Si ça continuait à ce rythme-là, j'allais finir par aller bronzer, ne serait-ce que pour briser cette pathétique monotonie qui me tapait sur les nerfs. Tout était si lassant...
En haut des escaliers qui menaient au hall du bâtiment, je m'immobilisai. Le silence qui pesait sur le lieu était de ces silences sanglants qui règnent après les combats perdus et les vies envolées.
Le délicieux fumet venait directement de la pièce en dessous. J'avais du avoir des invités pendant le début de soirée...
Sans faire le moindre bruit, je descendis les marches, scrutant le palier qui se découvrait progressivement à mes yeux curieux. mais... rien du tout. Rien du tout à part une magnifique bécane qui m'arracha un sifflement d'admiration. L'engin faisait envie. mais j'avais plus urgent à faire pour l'instant. Je pénétrai dans la salle principale du rez-de-chaussée.
Oh oh... Joli vraiment. Un homme gisait face contre terre dans une marre de sang luisante, deux énormes carreaux d'arbalètes fichés dans le dos. Ses poings encore crispés sur ses poings américains étaient d'un rouge violacé sinistre. La couleur des brûlures chez nous les éternels... Il avait vraiment l'air en mauvais état. Je m'approchai sur la pointe des bottes, un sourcil levé exprimant mon étonnement. C'était qui ce gus? Pour s'être fait amoché comme ça, il avait pourtant du faire beaucoup de bruit... Pourtant, je n'avais absolument rien entendu... Ou alors celui qui avait joué aux fléchettes avec lui étaient du genre très discret.
Poussant un soupir mi-figue mi-raisin, je m'assis sur mes talons à côté de lui, et je commençai à enlever délicatement les lames dépassant de son échine. Les lames sanguinolentes entre mes mains paraissaient semblables au premier abord, mais après y avoir regardé de plus près, on pouvait distinguer un symbole différent sur la pointe de chacune. Qui s'amusait encore à marquer bêtement ses lames de nos jours? Ridicule...
Jetant un peu plus loin les deux projectiles, j'entrepris de me lécher les doigts, ruisselants d'un sang qui piquait agréablement la langue, tout en réflechissant à ce que j'allais faire. Deux options s'offraient à moi tout d'abord : Profiter de ce sang absolument délicieux ou laisser en vie ce vampire. La saveur suave et acidulée de l'hémoglobine était particulièrement attirante... Mais en même temps, tout boire d'un coup n'était pas la meilleure option. Et puis je n'étais pas particulièrement affamée, ni d'humeur meurtrière, comme ce pouvait être parfois le cas. Bon, première option retenue.
Assise en tailleur à la limite du sang et de la pierre du sol, l'index dans la bouche, j'observais l'objet de mon dilemne. Devais-je partir ou rester? Prudence ou... me rendant soudain compte d'à quel point la question était stupide, j'entrepris de le soulevé en le prenant par les aisselles. je trainai ainsi mon fardeau dans la salle qui servait autrefois à visionner les films, pleines de fauteuils, éventrés et renversé pour la plupart. Une banquette restait toute fois relativement utilisable, et j'y étendis mon mystérieux inconnu masqué. J'entaillai une de mes paumes et faisait couler au goutte à goutte mon sang sur ses plaies. C'était moins efficace que de le lui faire boire, mais je n'avais jamais aimé donner mon fluide vital pour un oui pour un non. Surtout pour un type bizarre qui se faisait flécher comme un poulet dans un cinéma plein de films bidons.
Au vu de l'état déjà avancé de la régénération de ses plaies, ça devait déjà faire une ou deux heures qu'il était sur le carreau le gus. En toute logique, si c'était pas une fiotte, il n'allait pas tarder à se réveiller, et vu sa carrure, à mon avis, la belle au bois dormant allait même revenir parmis nous, enfin moi, dans pas longtemps. La curiosité me piquait, et je mourais d'envie de soulever son masque. Seulement, le peu de bon sens que j'avais me disait de n'en rien faire.
En attendant qu'il revienne à lui, je fis le tour du propriétaire. Le magnifique chopper trônait toujours à sa place, et j'avais de plus en plus envie de faire un tour avec. Un grognement me fit revenir dans la pièce d'à côté. Vu le timbre de voix et l'air ronchon, ça m'avait tout l'air d'être un seigneur des bêtes. Y avait que eux pour avoir cette tête-là au réveil. Des vrais nounours...
Je me plaçai juste au-dessus de lui, le visage plein d'innocence et fendu en un large sourire enfantin aux canines aigues. Ses yeux s'ouvrirent derrière son masque et me fixèrent étrangement. C'est bizarre de ne pas pouvoir déchiffrer une expression de visage du premier coup d'oeil. C'est même très énervant. Mais je n'y pouvais pas grand chose, et en l'occurence, cela n'importait pas beaucoup, étant donné que ses poings américains étaient planqués un peu plus loin, et que de toute manière, j'étais forcément plus rapide que lui, surtout vu les blessures à peine refermées qu'il se trimballait joyeusement. En plus, mon humeur morose ternissait légèrement mon expression innocente et niaise, ce qui, en théorie, devait limiter le niveau d'énervement engendré, habituellement tout du moins, par ce genre de comportement.
- ça va mon chou? Tu te remets? Pas trop mal? Sympa ton masque, très chouette... c'est pour le fun ou ils se sont loupés quand ils t'ont refait le nez? Tu t'es fait pas mal canarder dis-moi... eux-aussi ils avaient à se plaindre de l'absence totale de confort réel ici? Au fait, trop cool ton engin dans le hall!!! Je suis fan! Dis, ça va vite au moins? Il y avait une raison particulière au fait que tu fût vautré comme une crèpe dans le hall ou c'était par hasard?