Comme c'est étrange... tant de calme... tant de silence... tant de courants d'air qu'aucun sifflement de lames ou de balles ne vient couper... J'étais partie dans la fumée, le sang, les hurlements et la guerre. Je reviens dans une nuit claire, sous un clair de lune limpide, alors que l'on peut savourer dans la quiétude les mélodies de la nuit, dans une paix très relative, certes, mais qui semble dispenser une parodie d'équilibre plus ou moins jouable. J'étais partie aussi tourmentée que l'endroit que je quittais. Je reviens aussi calme et silencieuse que la ville nouvelle que je trouve à mon retour.
Les brumes grisâtres elles, sont restées les mêmes, simplement moins imbibées de l'odeur du sang et de chair brûlée, moins macabres, juste plus grises. L'âge d'or est passé, comme toute chose, car tributaire du temps. Même les vampires auront une fin. Certains en sont désormais plus ou moins conscients... et ont voulu empêcher que la race ne se détruise elle-même. C'est vrai que, comme fin, il y a plus glorieux. Enfin... allez trouver de la gloire dans tout ça... Tout juste un fond de pathétique, et beaucoup d'affligent...
Je laisse porter mon regard sur les kilomètres à la ronde de bâtiments délabrés, emplis de fantômes plus que d'ombres furtives. Ultima se meurt sous mes yeux. Ultima la fière, Ultima la sanguinaire, Ultima qui jamais ne baisse la tête, Ultima l'orgueilleuse... Ultima la grande est à genoux, vaincue par ceux-là même qui lui ont offert la gloire et l'ont élevée au rang de légende, au rang des dieux. Mais où es-tu tombée, jolie carnassière sans dieux ni maîtres, toi qui faisais ta propre loi, toi qui avais une âme dans tes murs rougis du sang de tes enfants, toi qui en vivais... Où sont donc les hurlements lugubres, les silhouettes dégoulinantes des mutants, les hordes hurlantes des lycans, les marres écarlates, les éclats de rire dans les bars, l'odeur d'alcool et de sang mêlés, les délicieuses effluves de la peur et de la méfiance, l'aura de la mort et de la sauvagerie que tu inculquais dès sa naissance à la chair de ta chair? Même le coucher de soleil a perdu de son éclat. Autrefois on pouvait voir le firmament naissant saigné, comme on aurait répandu le sang d'un nourrisson dans des flammes, et l'embrasement sanglant du ciel sonnait l'avènement de la ténébreuse nuit à venir, durant laquelle le sang et la rage, la folie, seraient une fois de plus les maîtres incontestés. Maintenant... Il n'y a plus rien de la gloire rougeoyante de l'astre mourant sonnant l'avènement des ténèbres, il n'y a plus cet esprit sauvage et indomptable, il n'y a plus rien de toi, maîtresse vénérée, que des braises refroidies, par les vents et la pluie...
Une amertume légère, tel un léger chuchotis, murmure à l'oreille de mon coeur tandis que mes yeux cherchent, en vain, des traces de la cité sanglante que j'ai connue. ... Jamais je n'aurais cru pouvoir éprouvé ne serait-ce qu'une once de regret pour toutes ces tueries et cette débauche insouciante... Un monde malsain qui pourtant avait gagné sa place dans bien des cœurs... Et à mon avis, c'était bien là le véritable pouvoir qu'avait eu cette cité. Et c'est bien de la nostalgie qui m'empoigne le coeur tandis que mon esprit vagabonde vers les souvenirs que j'ai gardés de mes longues et insouciantes années dans la grande capitale vampirique. Dans mon esprit, je me repasse les images de ceux avec qui... de l'amitié oui... un or impalpable bien plus précieux que l'or rouge...
Éclair dans mon esprit. Une odeur, familière, une gifle en pleine figure. Je ne suis déjà plus là avant même de m'en rendre compte. Mon instinct me pousse en avant sans me demander mon avis. Et ce n'est pas le sang. Non, cette précaution-là je l'ai prise en arrivant, grâce à un charmant bambin qui semblait perdu... Cela ne faisait pas assez longtemps que je n'avais pas vu un de ces affreux mioches.
J'étais partie sans prévenir, sans un mot, sans une explication. Je reviens sans rien de tout cela non plus. Juste avec une non-vie, deux sabres... et une langue un peu moins pendue qu'avant peut-être. En même temps, je n'ai pas eu beaucoup l'occasion de parler ces temps-ci. Mon retour fait l'occasion de voir si je n'ai pas perdu mon babil... Bien que, chose étrange, j'ai pris goût au silence de la nuit... et à l'observation.
J'ai honte au fond, de revenir comme je suis partie. Et j'ai peur surtout, de retrouver la même solitude et la même distance froide qui avaient été mon lot la première fois que j'étais arrivée dans cette ville. Par une même belle nuit de Lune montante... à l'époque où la cité noire était encore un enfant monstrueux plein de démence, incontrôlable et encore jeune. Mais à moi, même s'il elle semble maintenant une vieillarde au panache déclinant, à moi elle fait toujours peur, car elle seule connaissait et connaît les véritables tourments de mon être. Et je sais quelle n'hésitera pas à me punir de l'avoir abandonnée, si l'envie lui en prend. Pourtant c'est avec frénésie et hâte, presque de la joie, que je me précipite vers la source de ce fumet non inconnu, entre tabac et alcool douteux. Sentant que ma cible est proche, je ralentis, me faisant silencieuse et invisible comme une ombre par une nuit sans lune. Oui, il est là en contre-bas... comme autrefois...
Je me souviens de toutes ces fois où je les suivais, aussi concrète qu'un courant d'air sur leur pas, et que je les observais, un bouffée douce au cœur, les nuits où le silence m'étouffait. En général, quand rien ne me poussait à sortir de l'ombre, ils ne me voyaient pas. Sauf peut-être Bloody, qui je ne savais trop comment, sentait toujours ma présence. Ce soir, c'est un peu comme avant... la fumée monte vers moi et me donne une envie irrésistible de lancer un "Tu t'abîmes encore les poumons tête de nœud?" ou de lui jeter un mégot sur la tête, comme je le faisais parfois, pour lancer une nuit de chamailleries. Oh comme je me souviens des poursuites, des grognements rageurs, des carreaux dans l'arrière-train, des coups de bottes à talons dans le nez... des sourires en coin, et de l'insouciance, un peu de cette paix que seule la bibliothèque parvenait à apporter en dehors des moments de jeu ou de discussions amères. ... Firunbel, Cryzer (un peu moins toute fois), Bouf même à une lointaine époque, Smyrni, Lucia, Iri, Turmac, Bloody, Nighty et Pamela, Cycy, Joe aussi...
Je me couche à plat ventre, la tête dans mes mains, et je regarde, je respire la fumée et les senteurs de sa flasque, qui même fermée empeste à des kilomètres pour qui connaît déjà l'odeur du liquide (de l'horreur devrais-je dire) qu'elle contient, je me souviens, et je souris à l'intérieur. Il n'a pas changé. Pas en apparence tout du moins. Revoir les courbes familières de son dos musclé me rassure. Ultima ne sera pas morte tant que ceux qui l'on connu et l'ont vécu vraiment ne seront pas morts et enterrés eux aussi, tant que la bibliothèque tiendra debout, tant qu'il restera une once de vice dans un cœur de la cité.
Pourquoi suis-je si angoissée à l'idée de perdre ce nid de crime et de pêché? Parce que c'est le seul port auquel mes souvenirs se raccrochent? Peut-être... Dans tous les cas, je décide d'oublier un peu toutes ses pensées. Je sors en silence un bout de papier déchiré, un vieux stylo mâché et sans bouchon, et écris de mon écriture penchée et brouillonne, quelques mots qui font sourire mon cœur immobile dans le flot du temps. Portant mes mains en coupe à ma bouche, je souffle doucement sur le frêle lambeau de papier qui s'envole comme une feuille d'automne sur un zéphyr complice. Elle tourne, doucement, inégalement, virevolte, vire et chavire sur l'océan de l'air, avant de se poser sur...